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Université de Lausanne        
    Dies Academicus 2000

 

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Discours de Mme Francine Jeanprêtre,
cheffe du Département de la formation et de la jeunesse (DFJ)

 

Madame Francine Jeanprêtre

 

Mesdames et Messieurs,

L’Université plus que jamais fait parler d’elle, et retient presque quotidiennement l’attention des médias. De tous ces débats, un point au moins ressort qui semble faire l’accord de tous les observateurs du monde académique: c’est que le système universitaire traverse une phase de profonde remise en cause et qu’un certain modèle d’institution a aujourd’hui atteint ses limites. Cet état de crise ne m’inquiète pas; au contraire, je serais tentée de dire qu’il me rassure, à plus d’un titre. Au moment où tant d’aspects de notre société sont rediscutés, rien ne me paraîtrait plus préoccupant qu’une université continuant de fonctionner imperturbablement selon des schémas considérés comme immuables. Cette mutation me paraît ainsi la meilleure preuve que l’université est vivante, et qu’elle est dans l’arène.

L’Université est une institution séculaire, profondément enracinée au cœur de notre civilisation. Du Moyen Age à l’époque contemporaine, elle n’a cessé de questionner la société, à la fois comme l’un de ses acteurs essentiels et comme un miroir lui renvoyant sa propre image; c’est probablement d’ailleurs cette tension permanente entre adaptation et remise en cause qui fait sa principale caractéristique, d’institution à la fois au service de la cité et critique de cette même cité.

Une fois encore, l’évolution du contexte environnant contraint l’Université à revoir son modèle, et à reconsidérer autant ses modes de fonctionnement que son rapport aux autres. A ceux qui voudraient préserver à tout prix le modèle d’institution actuel, et qui considèrent sa perte ou son dépassement comme un dommage irréparable, je rappellerai que cette université-là est déjà le résultat d’un compromis né de conditions qui ne sont plus celles d’aujourd’hui, mais qui a dû correspondre à un moment donné à un certain état de la société. Un tel modèle, préconisant une institution locale complète, suffisante à elle-même, coïncidant exactement avec les besoins d’une entité politique aux frontières étanches, est aujourd’hui périmé et largement inadéquat.

A l’opposé, il ne saurait être question non plus d’envisager une université détachée de son environnement, coupée de ses racines et diffusant, dans ses amphithéâtres comme sur ses sites "on line", un savoir mondial standardisé et interchangeable, dépourvu de signes identitaires et d’ancrages culturels forts.

L’Université, si elle veut trouver ses marques, doit se repenser en fonction des nouvelles frontières qui, dans tous les domaines, sont en train de redessiner la carte des échanges humains. Elle est confrontée à cet égard aux mêmes défis que la politique. Car le système politique, d’une manière étonnamment parallèle, est lui aussi est en mutation et se trouve questionné en profondeur par de nouvelles conceptions qui remettent en cause ses contours traditionnels - qu’ils soient géographiques ou institutionnels - sous la poussée de nouvelles cohérences et de nouvelles convergences. Notre situation régionale est significative à cet égard : alors que se dessine, à travers le "projet triangulaire", une nouvelle carte académique qui transcende les exclusivismes cantonaux, se posent de manière pressante au niveau politique des questions analogues sur la pertinence des frontières cantonales, ou du moins de leur étanchéité, comme l’illustre tout le débat actuel autour de la fusion Vaud-Genève ou des questions de régionalisation.

On peut se risquer à espérer que les milieux académique et politique, tous deux hautement concernés par cette tension, se reconnaissent comme solidaires dans leur attachement à définir, autour d’un système de valeurs proches - la responsabilité, la participation, la pluralité, la confrontation d’idées - le sens et le devenir d’une société, et décident ensemble de faire contrepoids aux ambitions envahissantes de la pensée marchande et à la domination des logiques de profit sur les valeurs humanistes et citoyennes.

Je ne puis dès lors qu’appeler de mes vœux la reprise et l’intensification de ce dialogue, au sortir de la crise de confiance qu’ont traversée l’Université et son canton, et qui a culminé au moment de la Table ronde. Longtemps considérée comme un fleuron du système, l’Université a pu soudain sentir le politique tenté de l’écarter de ses priorités et de lui regretter ses moyens, lui reprochant de fonctionner en vase clos, sans répondre de manière suffisante aux attentes de la cité.

Dans ce contexte, la crise que j’évoquais tout à l’heure paraît salutaire; l’Université, si elle veut conserver sa place et continuer à jouer son rôle, devra sans tarder faire face aux questionnements qui lui viennent de l’intérieur comme de l’extérieur. L’attitude la plus souhaitable serait qu’elle prenne l’initiative et devienne l’actrice prioritaire de sa réforme. Je suis convaincue qu’elle est la mieux équipée pour réussir cette mutation, en la prenant à son compte comme une expression de son autonomie, plutôt qu’en devant la subir. Une autonomie qui, à l’opposé d’une indépendance désengagée, se trouverait responsable au premier chef devant la cité.

Pour lever les incompréhensions, il faut établir un nouveau contrat entre l’université et la société, qui définisse des objectifs et des missions et détermine des moyens adéquats. La reconstruction de ce lien, c’est l’attente du politique envers son Université, en échange de la poursuite d’une relation privilégiée qui en fait, au sens le plus élevé, une institution de service public. De son côté, le politique devra formellement s’engager à soutenir de manière massive le développement des connaissances et à inscrire dans les faits, par ses contributions, la primauté vitale de la formation dans la société du savoir qui se constitue aujourd’hui. Nul doute que la convention d’objectifs que je m’apprête à signer, au nom du Conseil d’Etat, avec l’Université constitue un premier pas important vers la réalisation de cet enjeu socio-politique majeur. Le Grand Conseil l’a bien compris, lorsqu’il a décidé de soutenir l’idée de cette Convention, tout en souhaitant être associé à la définition de son contenu.

La société n’a peut-être jamais eu autant besoin de son université, et ne lui a probablement jamais demandé autant d’efforts à la fois. Elle devra d’une part être capable de dispenser une formation de base à des étudiants de plus en plus nombreux, pour répondre aux besoins croissants de la société en compétences professionnelles de haut niveau; il lui sera également demandé de développer, de manière intensive, son offre en matière de formation continue; il faudra en outre qu’elle assure une recherche de pointe toujours plus performante, afin de faire face à une compétition accrue. Elle devra enfin participer à l’élaboration des valeurs destinées à orienter et à contenir les connaissances produites dans une dimension éthique, indispensable au développement équilibré et bénéfique de la science pour toute l’humanité.

Une réforme aussi ambitieuse ne peut simplement se décréter. Le succès ne sera possible que si tous les acteurs se reconnaissent dans ces défis et s’y engagent. Comme en démocratie, la passivité des acteurs risque d’être l’un des obstacles majeurs. Ce constat, d’ordre général, devrait nous inciter par ailleurs à repenser les modes de gouvernance de nos institutions, et nous engager à trouver des équilibres nouveaux sachant allier des directions fortes à un système démocratique plus participatif.

L’Université, si elle veut gagner ce pari, ne devra surtout pas ressembler à une école, ou des maîtres enseigneraient à des élèves sous la surveillance de la direction. Elle devra rester &emdash; ou redevenir - un lieu de création, de débat, voire de contestation, un laboratoire social et intellectuel à haute capacité de stimulation. Dans cette perspective, deux choses me préoccupent en particulier: le statut du corps intermédiaire et le rôle des étudiants. Je mesure bien la difficulté de certaines ambitions, au moment où la courbe des moyens semble s’écarter de plus en plus de celle des besoins. Toutefois, dans la mesure où leur pertinence les rend incontournables, nous devrons absolument y répondre de façon satisfaisante.

Le rapport publié en 1997 par la CUS, le Fonds National et le Conseil suisse de la science et rédigé par une équipe de chercheurs sous la direction du professeur René Lévy, de notre Université, a montré que la politique scientifique suisse ne remplissait pas sa fonction en ce qui concerne le corps intermédiaire; je partage pleinement ce constat : l’accroissement des tâches de formation et d’enseignement n’a cessé de péjorer la situation de cette catégorie d’enseignants, dont la contribution est largement sous-reconnue, le statut mal défini, et qui est en outre soumis dans certains cas à une précarité intolérable. La relève souffre immanquablement de cet état de fait, et toute politique en la matière ne saurait être efficace sans une révision en profondeur du statut de ce corps. Je souscris également aux mesures proposées - heureusement relayées aujourd’hui au niveau des instances fédérales destinées à combler le "trou noir", comme l’a désigné un doctorant, existant actuellement entre le statut d’assistant et celui de professeur, ainsi que le développement des études doctorales. Il faudra également des moyens supplémentaires et des incitations concrètes pour encourager la relève féminine et augmenter le nombre d’enseignantes. Le programme fédéral "Egalité des chances", prévoyant un système incitatif pour l’engagement de femmes professeures, des actions de "mentoring" et des structures d’encadrement pour les enfants constitue un premier pas positif.

Il importera également d’écouter attentivement les revendications des étudiants, et de répondre de manière substantielle à leurs interrogations. Il ne serait pas admissible, par exemple, d’exiger d’eux souplesse et mobilité sans entrer en matière sur l’attribution des moyens correspondants à ces exigences: prise en charge des frais de transport, amélioration du système de bourses, meilleure prise en compte des situations fragiles d’étudiants et de leurs familles. Il s’agira également de prendre en compte les réflexions fondamentales des étudiantes et des étudiants sur les choix de société à venir, d’entendre leurs craintes et d’entrer en matière sur leurs propositions, notamment en matière de diversification des approches et de développement d’enseignements alternatifs. Je me réjouis à cet égard de la pourvue récente de la première chaire d’études genres à la faculté des sciences et politiques. Ce n’est qu’un modeste début, et il me paraîtrait particulièrement opportun de saisir l’occasion des réaffectations prévues par le projet triangulaire pour réaliser des avancées significatives sur ces questions.

Pour gagner ces divers paris, la seule réforme des structures ne suffira pas. Dans ce genre de situation, ce sont les femmes et les hommes, davantage que les structures, qui sont déterminants. C’est sur eux d’abord que repose la nécessaire réforme de la pensée qui permettra de franchir le cap et de dessiner un nouvel avenir. Certaines catégories ont fait long feu; est-il encore pertinent par exemple de parler aujourd’hui de recherche appliquée et de recherche fondamentale? Avec le développement de l’interdisciplinarité - et maintenant de la transdisciplinarité - avec l’interpénétration des méthodes scientifiques, y a-t-il vraiment encore des sciences dures d’un côté, des sciences humaines de l’autre? Y aurait-t-il d’une part des sciences rentables, alors que d’autres ne le seraient pas - et selon quels critères? N’y aura-t-il pas bientôt plus que des sciences de l’Homme, intégrées dans un nouveau système dont la pondération, l’équilibre doit encore être défini et négocié. C’est précisément l’un des enjeux du projet de développement "Sciences, Vie, Société", que de questionner en profondeur nos modèles et nos conceptions.

Le défi est ambitieux, dans la mesure où il faut à la fois revoir beaucoup d’aspects et le faire à un rythme soutenu. L’on devra à la fois réussir la mise en réseau des Hautes Ecoles et gagner le pari des biotechnologies - carte de visite mondiale de l’Arc lémanique -, concevoir un matériel d’enseignement à distance capable de concurrencer les meilleures offres publiques et privées, tout en réadaptant les structures et les modes internes de fonctionnement. Il faudra resserrer les liens avec la cité, développer des synergies avec l’industrie, avec le secteur des services, privés ou publics, en veillant encore à mettre sur pied une politique de communication efficace sur tous ces changements. Je salue à ce titre le projet «Festival Science et Cité», qui devrait au printemps prochain contribuer, selon les termes de ses responsables, à "réenchanter la science et à l’intégrer dans la culture".

Mais le pari n’est pas impossible, à condition que tous les membres de la communauté universitaire décident de s’impliquer dans ce que l’on peut, à bien des égards, considérer comme une révolution. Il faudra pour cela créer des lieux et des occasions de rencontre, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’université. Car c’est seulement dans l’intensification des échanges autour de projets communs que pourra se construire, pour l’Université de Lausanne, un avenir à la mesure de ce qu’elle a su réaliser jusqu’ici. Le projet " Sciences, Vie, Société " porte dans son titre même toutes les espérances que l’on pourrait nourrir. C’est à nous tous qu’il incombe, ensemble, de les accomplir.

 

   

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