Mesdames et Messieurs,
Par cette adresse peu protocolaire, je tiens, au nom du Gouvernement, à
honorer et féliciter d'abord celles et ceux dont la distinction témoigne
de l'excellence de l'enseignement dispensé à l'Université
de Lausanne et contribue à porter sa réputation et son rayonnement
bien au-delà du cercle de la communauté vaudoise.
Jour de fête, le Dies Academicus offre au "ministre de tutelle" de l'Université une tribune à la fois privilégiée et redoutable. Responsable hiérarchique de l'Université par la volonté démocratique, son pouvoir est-il pour autant légitime, s'agissant de garantir la poursuite désintéressée de la connaissance, première mission de l'Académie ? C'est une question fondamentale que je n'ai pas la prétention de résoudre, mais qui s'inscrit nécessairement en toile de fond de toute la réflexion sur le développement des connaissances et de la transmission du savoir.
Cette heureuse tradition prend cette année une importance encore plus grande, puisqu'il s'agit de remercier le Rectorat sortant et de saluer le nouveau.
L'usage veut que l'on rende hommage à ceux qui abandonnent une charge qu'ils ont assumée avec dévouement et compétence. Le recteur Pierre Ducrey et les vice-recteurs Jean-Claude Bünzli, Eric Junod et Fred P accaud méritent pleinement les quelques louanges que je leur adresse. En un peu plus de dix-huit mois, depuis mon entrée en fonctions, j'ai eu à différentes reprises l'occasion d'apprécier leur engagement en faveur de l'Université de Lausanne et de la cause universitaire en général. D'emblée, nous avons noué des relations où la franchise et la cordialité des rapports ont été la note dominante. Nous avons pu, ensemble, résoudre quelques-uns des problèmes de multiple nature liés au développement d'un établissement complexe, où cohabitent plus de huit mille étudiants et près de deux mille collaborateurs.
Après douze années passées au Rectorat, quatre ans comme vice-recteur et huit comme recteur, le professeur Pierre Ducrey, homme d'ouverture, de dialogue, de contact, aura marqué profondément l'institution universitaire vaudoise, la préparant à affronter les défis qui l'attendent à ce tournant de millénaire. Il aura tracé une voie que pourront suivre sans crainte ses successeurs, dans une université "internationale, féministe et écologiste", retrouvant pour lui le temps de la passion archéologique, du golf et des desserts. Allez savoir!, dirait si bien le magazine de l'UNIL qu'il a contribué à créer, contre vents et marées budgétaires.
C'est avec une vive admiration que je le remercie, ainsi que ses collègues vice-recteurs, de la foi qu'ils ont mise dans l'accomplissement de leur mandat. C'est avec une égale franchise que je présente mes vux à celui qui reprend le flambeau, M. le Recteur Eric Junod, qui au cours des quatre dernières années aura été à bonne école et en toute complicité ! Avec ses coéquipiers, MM. les Vice-recteurs Pascal Bridel, Oscar Burlet et Jacques Diezi, il assure la haute direction de l'Université à un moment particulièrement difficile où notre canton traverse une crise financière majeure qui touche aussi de plein fouet l'institution universitaire. Des choix douloureux devront s'opérer. Je crois à votre succès, M. le Recteur, parce que vous êtes un homme de décisions, sachant prendre ses responsabilités. Soyez assuré de mon appui et de celui de mes collaborateurs, comme de celui de tous ceux qui travaillent avec vous.
Mesdames et Messieurs, l'année académique qui s'achève a été marquée par trois faits importants:
1. la réflexion pour une nouvelle loi sur l'Université;
2. le développement de la collaboration interuniversitaire dans l'Arc lémanique;
3. la démarche Orchidée II et ses implications pour l'Université.
Ils marqueront encore notre activité au cours des prochains mois.
1. Nouvelle loi sur l'Université de Lausanne
Soucieux de doter l'UNIL de structures modernes et efficaces, le département a engagé une réflexion en vue de l'élaboration d'une nouvelle loi sur l'Université. Après avoir consacré l'été 1994 à une première consultation, un rapport intermédiaire a été adressé en janvier 1995 au Conseil d'Etat, présentant quelques lignes directrices. En juin 1995, un groupe de travail restreint a été mis sur pied, composé de personnalités extérieures et de représentants du Rectorat, du Sénat, du Conseil académique et de la Fédération des associations d'étudiants. Ce groupe prépare un avant-projet de loi à l'intention du Département puis du Conseil d'Etat; il fera l'objet le moment venu d'une large consultation. Les caractéristiques principales en sont les suivantes:
une loi cadre complétée par un véritable contrat de législature entre l'Etat et l'Université;
le renforcement du pouvoir central. Le choix du recteur restera l'affaire de l'Université, mais son autorité sera renforcée et garantie par le Conseil d'Etat;
l'élargissement des compétences du Conseil académique;
le maintien de la participation;
l'introduction d'enveloppes budgétaires.
Cette loi devrait doter l'Université de l'autonomie de gestion et des compétences indispensables pour affronter un monde toujours plus concurrentiel, où seules les institutions de haut niveau prouvant leur excellence joueront un rôle déterminant. L'Université restera donc une institution publique. Les velléités de décantonalisation voire de privatisation relèvent en effet de l'utopie. Elles contredisent la tradition séculaire des universités du vieux continent, qui dépendent étroitement de financements publics. Mais cela n'exclut bien sûr pas la recherche de voies nouvelles de collaboration avec l'initiative privée.
Le Conseil d'Etat, conscient de ces enjeux, a décidé d'inscrire ce projet de nouvelle loi dans les "Orientations du Gouvernement vaudois 1995-1997".
2. Collaboration inter universitaire
Le renforcement de la collaboration inter universitaire, en particulier dans l'Arc lémanique, est devenu, en très peu de temps, une nécessité vitale pour l'UNIL. En effet, ce monde de concurrence dont je viens de parler, nous ne saurions l'affronter seuls. Si nous voulons que nos universités demeurent des centres d'excellence, il est indispensable que pour certains domaines, nous mettions en commun nos atouts. En Suisse occidentale, des signes très réjouissants se manifestent. Je pense en particulier aux actions lancées dans le cadre de BENEFRI et de l'Arc lémanique.
Les rapprochements Vaud-Genève s'inscrivent dans la volonté exprimée par les deux Conseils d'Etat de mettre en commun certaines de leurs ressources afin de garantir et de favoriser le développement des secteurs de pointe et vitaux pour l'avenir des deux cantons. Au premier rang de ces secteurs figurent les deux Universités. Nous considérons l'enseignement supérieur et la recherche comme une haute priorité, sans désespérer de voir la Confédération la reprendre aussi à son compte.
Actuellement, deux exemples illustrent déjà ce rapprochement:
1. le projet visant à la création d'une Ecole de médecine et d'un ensemble hospitalier communs, qui permettra de conserver au début du siècle prochain la place qui est la nôtre parmi les centres européens et internationaux de référence en la matière;
2. le projet de création d'une section commune pour les Sciences de la terre dans l'Arc lémanique (UNIL UNI GE - EPFL), qui préfigure un rapprochement encore plus important des Facultés des sciences des deux universités, sans oublier l'Ecole polytechnique.
Les premiers rapports adressés aux responsables politiques sur ces deux projets sont des plus réjouissants et les perspectives encourageantes. Certes, le développement de cette nouvelle forme de collaboration n'est pas aisé. Il faut convaincre, motiver, modifier des habitudes et des procédures de gestion, ne pas craindre de se libérer d'un carcan administratif par trop rigide qui caractérise le fonctionnement actuel de nos institutions.
Convaincre les parlements et, en définitive, l'opinion publique équivaut en fait à changer les mentalités, les adapter à l'évolution toujours plus rapide d'un monde en pleine mutation: la tâche est immense, mais l'existence même des hautes écoles et leur influence déterminante sur le développement social et la qualité de la vie en dépendent. Il s'agit d'une chance à saisir. Les chefs des Départements de l'instruction publique des cantons de Genève et de Vaud en sont convaincus, tout comme le nouveau président du Conseil des EPF.
Un quotidien titrait récemment: "L'Uni du Léman prend corps". Peut-être est-ce encore une fiction, mais qui demain pourrait bien devenir réalité; c'est dans ce sens que nous déployons nos efforts, qui s'inscrivent également dans la perspective du redimensionnement des engagements financiers de l'Etat. Mais que l'on se comprenne bien: il n'est paset il ne sera jamais question de brader les institutions existantes ni de les sacrifier sur l'autel des économies pourtant nécessaires. Au contraire, il s'agit de mettre en commun les ressources dans tous les domaines où l'évolution des techniques et le développement de la recherche ne permettent plus de faire cavalier seul, ceci à la seule fin de conserver et d'acquérir des positions de pointe dans les domaines où la concurrence impose aux unités d'enseignement et de recherche un niveau de compétitivité et d'excellence qu'elles ne sont plus en mesure d'atteindre seules. Mais dans tous les domaines où la taille critique est atteinte, il ne sera jamais question de fusion qui alors conduirait à l'obésité qui est aussi dangereuse pour l'Université que pour l'être humain. Trop d'exemples en ont montré les effets catastrophiques sur la qualité de la formation. Je puis vous assurer que je n'engagerai jamais l'UNIL dans cette voie-là.
3. Démarche Orchidée II
Le Conseil d'Etat a pris ses responsabilités. Dans la procédure de redressement des finances, il a décidé d'une première série d'économies pour un montant global de 156,6 millions. L'Université participe à l'effort commun de manière non négligeable puisque l'objectif qui lui a été assigné est de 18 millions. C'est important, je le sais et j'en mesure les conséquences, mais avec la conviction qu'il s'agit d'une démarche indispensable pour éviter des coupes budgétaires beaucoup plus drastiques. Les décisions qui seront prises poseront inévitablement des difficultés d'application; elles auront des conséquences parfois pénibles aussi bien pour le corps enseignant que pour les étudiants; je pense en particulier au risque d'une péjoration du taux d'encadrement en premier cycle. Mais c'est le prix à payer aujourd'hui pour éviter d'autres sacrifices qui mettraient alors en cause la substance même de l'Université.
Un souci que je ne saurais passer sous silence, c'est celui qui touche aux bourses d'études et d'apprentissage. Le canton a réalisé ces dernières années un effort important pour atteindre au budget 199518 millions. Le Département, en collaboration avec différentes associations dont la FAE, a préparé un projet de révision de la loi qui aurait permis d'améliorer de façon plus sensible encore les prestations de l'Etat en faveur des jeunes en formation. Ce projet n'a pu être réalisé pour l'instant. Je comprends les inquiétudes exprimées par les étudiants et les apprentis et je ferai en sorte que la révision de la loi puisse intervenir prioritairement, au gré des améliorations structurelles et conjoncturelles que nous appelons tous de nos voeux.
Mais la démarche Orchidée II comporte aussi des effets positifs; elle débouche sur de nécessaires restructurations et réorganisations, dont l'Université tirera profit, comme par exemple l'introduction d'enveloppes budgétaires. Cette démarche invite encore à la réflexion sur la nécessité de maintenir tel ou tel domaine scientifique que nous pourrions abandonner à d'autres mieux adaptés et plus performants. Les défis qui nous attendent sont nombreux et impliquent l'engagement de la communauté universitaire tout entière que je remercie d'ores et déjà de sa motivation.
Vous me permettrez, Mesdames et Messieurs, de revenir brièvement à la question de la nécessité de concilier l'exercice du pouvoir démocratique avec l'aménagement nécessaire des conditions indispensables à la recherche de la vérité scientifique, à la poursuite désintéressée de la connaissance et au développement des attitudes plutôt que l'enseignement des savoir-faire, selon le résumé que l'on peut faire de la mission de l'Université.
Les analystes d'aujourd'hui s'accordent à reconnaître l'importance déterminante de la formation dans le maintien sinon le développement de la société. Avec l'économiste Mc Rae, on peut prédire je crois sans risque de se tromper que le savoir sera toujours davantage la richesse des nations. Pour la Suisse, c'est une évidence depuis longtemps. Il faut donc se réjouir des développements extraordinaires des universités et du nombre de diplômés. Seuls quelques esprits conservateurs et chagrins n'en mesurent pas encore l'importance. Mais comme les institutions démocratiques, l'université n'est qu'un des moyens à la disposition des collectivités; elle n'est pas un but en soi. Malgré sa vocation d'universalité, elle ne saurait revendiquer le monopole de la connaissance sans risquer de se retrancher dans une tour d'ivoire, davantage menacée que protégée par les barrières élitistes que certains voudraient maintenir contre vents et marées, et surtout contre tout bon sens. L'ouverture vers les autres domaines de la connaissance est probablement le meilleur gage de survie de l'université. C'est aussi, me semble-t-il, sa meilleure défense contre la médiocrité, qui inquiète toujours davantage, lorsque les moyens font défaut et que le nombre des étudiants augmente, poussés à sa porte par l'absence d'autres débouchés et non par vocation ou choix véritable, sous la seule pression d'un illusoire monopole de la réussite sociale.
L'accès universel du savoir passe aussi par la reconnaissance des autres voies que l'université. C'est l'une des raisons de se réjouir de l'ouverture, par exemple, des Hautes Ecoles Supérieures, qui correspondront mieux aux qualités personnelles de beaucoup d'étudiants. La diversification de l'offre de formation me paraît être l'une des conditions du maintien de la vocation et de la spécificité des universités. Elle devrait offrir à chaque étudiant la voie la mieux adaptée à ses compétences pour les développer et les mettre ensuite au service de la communauté.
Dans cette diversification, l'autorité a un rôle essentiel à jouer: aider l'université à trouver son équilibre entre l'efficacité, c'est-à-dire un objectif économique et social direct par opposition à une vision plus large et plus humaniste qui doit en rester la première caractéristique. L'université doit être le lieu où l'analyse et la critique du monde matérialiste s'exercent, au risque de remettre en cause certaines certitudes politiques et économiques qui régissent les sociétés modernes. Elle ne pourra le faire qu'en maintenant la diversité de ses recherches et de ses disciplines et justifier ainsi les remises en question essentielles au développement d'une société humaine, humaniste et solidaire. En un mot, l'université pourra rester "agaçante", pour reprendre la jolie formule du vice-recteur Pierre-Luigi Dubied de l'Université de Neuchâtel. C'est ainsi qu'elle sera peut-être en mesure, pour une modeste part, de répondre à Platon qui ne voyait de remède à la malice des temps que dans la sagesse de ses gouvernants. J'ai la conviction que c'est, au-delà des dispositions légales, l'une des missions auxquelles doivent s'astreindre les Hautes Ecoles. Cela justifie, en contrepartie, un engagement sans réserve de ces mêmes gouvernants à son égard. Le mien et celui du Gouvernement vaudois sont acquis à l'Université de Lausanne.