Discours de M. Laurent Bridel, président du Sénat

 

Mesdames, Messieurs,

L'année écoulée a été riche en événements importants pour l'Université, mais, de ce passé récent, je ne mentionnerai que deux aspects qui touchent de près au rôle du Sénat:

La part active que les étudiants et les assistants ont prise à la politique universitaire, notamment par la grève du mois d'avril, et l'indispensable appui que fournissent les membres du personnel administratif et technique des services centraux et des facultés témoignent de la nécessité de renforcer la participation dans les organes de travail et de délibération de l'Université, en particulier au Sénat. Cette évolution nous apparaît d'autant plus souhaitable depuis que les bureaux élargis du Conseil de l'Université de Genève et du Sénat de Lausanne ont pris l'habitude de se rencontrer.

Dans le rapport du Conseil d'État sur les motions Bonnard et Rochat et sur la situation générale à l'Université, je salue donc avec plaisir, l'intention affichée de renforcer les compétences du Sénat, en le transformant en un organe délibératif plus compact et mieux équilibré entre les quatre corps qui y sont représentés.

Pour le reste de cette allocution d'ouverture, je me situerai du point de vue de l'aménageur et du géographe, dont l'un des thèmes centraux &emdash; vous le savez &emdash; est la notion de distance. Non pas que je veuille me distancer de l'actualité politique, ni m'éloigner des contraintes financières, mais bien plutôt parce que je souhaite m'approcher de nos soucis et espoirs quotidiens.

Sommes-nous plus proches du pouvoir universitaire suisse maintenant que le responsable fédéral de la culture et de la science provient de notre canton? Les revendications du CLOU ont-elles été mieux exaucées lorsque les manifestants étaient devant le Château? Non, car nous savons que le pouvoir n'est pas une question de proximité ou de distance, mais un problème de relation et de rapport de forces.

Sommes-nous plus près des c¶urs des collègues genevois parce qu'il n'y a que 50 kilomètres à vol d'oiseau d'une alma mater à l'autre, alors qu'il y en a 55 jusqu'à Fribourg et 60 jusqu'à Neuchâtel? Non, dans des ensembles sociaux, la collaboration pas plus que l'affection ou l'enthousiasme ne sont déterminés par la proximité.

Sommes-nous plus proches les unes et les uns des autres une fois assis devant un écran et branchés sur Internet? Les réseaux nous approchent des informations, des stimuli, des images, des sons et nourrissent nos représentations; ils peuvent susciter des émotions, mais ils ne remplacent pas, sauf à de fugitifs moments, la proximité pleinement vécue, pour autant que nous tenions à une existence autre que virtuelle.

Je plaide donc pour une politique universitaire qui prenne au sérieux la distance concrète et vécue. Il faut alors l'associer immédiatement et indissolublement au temps.

Nous sommes immergés dans les considérations financières, nous croulons sous les déficits, nous pensons l'emploi en termes de salaires et de coûts. Nous associons budget à argent. Je souhaite ici évoquer le budget espace/temps, sans pourtant entrer dans le sujet du partage du temps de travail, thème ô combien important mais impossible à traiter en quelques mots.

Chacun de nous dispose d'un budget temps, à diverses échelles &emdash; l'existence toute entière, l'année, la semaine, la journée. Suivant les moyens de locomotion utilisés et les contraintes liées aux activités, la distance critique &emdash; c'est-à-dire celle qui délimite notre rayon d'action &emdash; variera. Ainsi, à l'échelle de la semaine, vos contraintes sont différentes si vous devez vaquer à vos activités professionnelles ou si vous êtes en congé ou en vacances.

Partons de l'échelle la plus immédiate, celle de la journée. Chaque membre de la communauté universitaire organise son budget espace/temps de manière à arriver sur son lieu d'activité au bon moment et à revenir à ses lieux d'habitation, d'emplette ou de loisirs en disposant encore d'un confortable budget en heures. Ces milliers de stratégies individuelles sont canalisées à la fois par le système des transports et par les horaires de l'institution universitaire, qui sont &emdash; avec la gestion des locaux &emdash; l'un des casse-tête permanent de la maison. Beaucoup de personnes concernées &emdash; enseignants, personnel ou étudiants &emdash; ont investi un gros budget temps dans le déplacement et ne peuvent l'étendre vers d'autres destinations de manière régulière. Ce même raisonnement est valable pour les universitaires vivant dans les agglomérations de Genève, de Fribourg ou de Neuchâtel. Ceci signifie qu'il n'est pas pensable de créer une sorte de pool d'enseignements communs à deux, trois ou quatre universités sans bouleverser les budgets espace/temps de plusieurs milliers de personnes, sans même parler des questions écologiques et financières qui s'y greffent.

Comment, dans ces conditions, faciliter la mobilité découlant des rapprochements entre nos hautes écoles de Suisse occidentale? Deux types de mesures doivent se combiner, par une gestion adéquate des budgets espace/temps et par la mise à disposition de locaux correctement situés.

En premier lieu, les prestations d'enseignement ne doivent plus être pensées seulement en termes de journées, mais de semaines-blocs, voire de semestres, afin d'optimiser les budgets espace/temps, en réduisant le nombre de déplacements et la distance parcourue par tranche de temps. Il faut absolument éviter un système dispersant les heures des différentes institutions aux quatre coins de la semaine, en entrelardant un programme de base par des ajouts pris dans des lieux différents. Des considérations similaires valent évidemment aussi pour les activités de recherche, de gestion administrative ou de pilotage des hautes écoles.

En deuxième lieu, disposer d'un volant de locaux adéquatement localisés. Chacun de nous le sait pour l'avoir expérimenté, le temps qui compte, d'une ville à l'autre, ce n'est pas d'une gare à l'autre, c'est d'une porte à l'autre ou, plutôt, de la gare à la porte. Certes des transports publics plus rapides et plus fréquents à Neuchâtel, Fribourg, Genève et Lausanne ont considérablement rapproché les facultés des gares, mais ce n'est pas suffisant. Les durées peuvent souvent dépasser une heure simple course. J'estime donc indispensable que les hautes écoles investissent dans un certain nombre de locaux à côté de leur gare centrale. Ces locaux devront demeurer modestes &emdash; échappons au mythe trop enraciné en Suisse selon lequel de beaux bâtiments font de bonnes universités &emdash; mais ils sont aussi indispensables que ceux qui existent à Dorigny, à Ecublens, à Pérolles, à l'Espace Louis-Agassiz ou à l'avenue Carl-Vogt. Nous souhaitons vivement que, par exemple, notre université puisse se concerter avec l'EPFL sur l'avenir des locaux du Département d'architecture à cinq minutes de la gare de Lausanne.

J'espère avoir ainsi montré que notre Université se veut souple, mobile et soucieuse du contact direct entre partenaires.

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