Dies academicus 1999

 

Docteurs honoris causa

 

Mme Françoise Héritier

professeur honoraire au Collège de France, directeur d'études honoraire à l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales de Paris

 

Laudatio

A l'africaniste et à l'anthropologue de la parenté, à la chercheuse qui a profondément renouvelé nos représentations sur le corps et les rapports sociaux de sexe et qui a été pionnière dans la réflexion sur les nouvelles technologies de procréation et de clonage.

 

Jusqu'à sa récente retraite Madame Françoise Héritier était titulaire de la chaire d'étude comparée des Sociétés Africaines au Collège de France où elle a succédé à son illustre prédécesseur Claude Lévi-Strauss.

Après des études d'Histoire et de Géographie puis d'ethnologie à la Sorbonne, une mission de recherche d'un an, en 1957-1958 en Haute-Volta, l'amène à décider de son orientation ultérieure comme ethnologue africaniste. Depuis, elle a accompli une série de neuf missions en Afrique, totalisant près de cinq années de travail sur le terrain.

L'œuvre de Françoise Héritier est remarquablement riche et multiforme, tout en faisant preuve d'une très grande unité. Elle traite des questions essentielles de la parenté, du corps et de ses humeurs, des rapports sociaux de sexe, et des nouvelles techniques de procréation assistée.

Tout d'abord sa mise en évidence de l'inceste du deuxième type. En incluant, outre les rapports de consanguinité, les interdits portant les relations entre alliés, François Héritier a élargi notre compréhension de cette règle fondamentale de la vie sociale qu'est la prohibition de l'inceste. Sa théorie montre que cette règle est d'abord fondée sur l'interdiction de mise en contact de substances identiques, du même avec le même, ouvrant par là de nouvelles perspectives pour une anthropologie de l'identité et de la différence.

Un autre élément important qu'elle a dégagé de ses réflexions sur la parenté est ce qu'elle a appelé la «valence différentielle des sexes». Elle montre tout d'abord que cette valence est universelle et qu'elle exprime un rapport conceptuel orienté, sinon toujours hiérarchique, entre le masculin et le féminin.

Elle montre ensuite que la valence différentielle des sexes, traduit moins un quelconque handicap du côté féminin, que l'expression d'une volonté de contrôle de la reproduction de la part de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir particulier. Fondée sur des observations empiriques, cette théorie vient renforcer la nouvelle perspective, féconde dans les sciences sociales, selon laquelle le genre n'est pas une catégorie naturelle, mais une catégorie socialement construite.

Ceci nous amène à parler de la procréation et plus précisément des nouveaux modes de procréation assistée. Les travaux de Françoise Héritier dans ce domaine ont montré que toutes les sociétés humaines sont fondées sur une commune exigence: celle de leur reproduction, et qu'elles sont toutes confrontées au même problème: définir ce qui fonde la légitimité de l'appartenance au groupe. Évoquant les «nouveaux modes de procréation», Françoise Héritier n'a aucune peine à montrer que les questions dont nous avons à débattre aujourd'hui n'ont rien de nouveau, et que ce qui nous fait problème a toujours fait problème dans toutes les sociétés.

Enfin, les dernières réflexions de Françoise Héritier sur le clonage nous rappellent que celui-ci correspond à un rêve archaïque, le rêve de l'entre-soi. Si la majorité des autorités compétentes, nous précise-t-elle, a très vite condamné les pratiques du clonage pour l'homme c'est, de manière anthropologiquement évidente, que l'entre-soi du genre y culmine. Par la perte de la procréation, par la perte de l'altérité nécessaire dans la reproduction, se reconstruiraient des unités séparées, vite closes sur elles-mêmes et leurs peurs.

Françoise Héritier, parallèlement à vos recherches et à votre enseignement, vous avez toujours insisté sur le fait que non seulement l'anthropologie peut avoir le monde contemporain comme objet d'étude, mais que de plus il lui est possible de s'y impliquer et d'y jouer un rôle. C'est ainsi que vous avez mis votre compétence au service de la Cité en présidant notamment le Conseil national du Sida, en siégeant dans le Comité consultatif national d'Éthique pour les Sciences de la Vie, au Conseil économique et social et au Haut-Conseil de la Population de la Famille.

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