Hansjörg Albrecher

En quête de la structure dans le hasard

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Felix Imhof © UNIL

Hansjörg Albrecher est professeur de sciences actuarielles, une science qui applique les techniques mathématiques à la finance et aux assurances, à l’Université de Lausanne. Actuellement, il collabore au projet pluridisciplinaire européen IMPACT2C, qui étudie les conséquences de l’augmentation des températures de deux degrés sur le continent européen. L’objectif de sa recherche? Quel sera l’impact du changement climatique sur les crues et les inondations, et les compagnies d’assurances pourront-elles continuer à assurer ces risques ? 

Impressionnant. Le professeur en sciences actuarielles Hansjörg Albrecher est impressionnant par sa présence, la clairvoyance de sa pensée et son charisme. Et c’est dans son bureau, devant un thé aromatisé aux amaretti, que notre discussion se déroule. Les sciences actuarielles consistent à appliquer les méthodes mathématiques et statistiques aux domaines de la finance et des assurances, notamment pour l’évaluation des risques. Hansjörg Albrecher explique ce choix de vie. C’est vers l’âge de 15 ans que se décide sa vocation pour les mathématiques. «Elles reflètent une pensée très structurée, et cela me convenait, raconte le professeur. Mais surtout, elles représentent l’élégance et la vérité.» La vérité? «Les mathématiques ne laissent aucune place pour l’interprétation, mais uniquement pour le vrai et pour le faux, explique-t-il. Quant à leur élégance, elles sont capables d’expliquer des concepts très complexes à l’aide de formules simples.» C’est l’Unantastbarkeit der Wahrheit, dit cet Autrichien d’origine en recourant à sa langue maternelle. L’intangibilité de la vérité.

Les mathématiques, oui, mais toujours avec l’idée, pour Hansjörg Albrecher, de chercher des applications concrètes pour cette science de l’abstrait. C’est la raison pour laquelle, durant ses études aux Universités de Graz en Autriche, puis à Limerick en Irlande et à Baltimore aux Etats-Unis, il opte également pour l’astronomie en deuxième branche. Et aussi parce qu’une question le taraude devant l’immensité de l’univers : d’où venons-nous? Finalement, il optera pour les sciences actuarielles afin de contribuer à la société, d’agir et d’appliquer ses connaissances à la réalité.

«Durant mes études, un concept m’a particulièrement passionné. Il s’agit de la systématique du hasard, poursuit-il. Quelle part de structure peut-on observer dans ce que l’on appelle le hasard?» «Il y a plus de structure dans la réalité que ce que l’on croit. Certains éléments de la réalité que l’on décrit comme le fruit du hasard sont en fait étonnamment structurés dans l’agrégat. Et dans les assurances et la finance, cette notion de structure joue un grand rôle : étudier le risque, c’est trouver la structure dans une apparence de hasard.»

Après un doctorat intitulé «Ruin models in finance and insurance : Exact solutions and simulation methodology » à l’Université technologique de Graz, Hansjörg Albrecher accomplit son post-grade aux Universités de Louvain et d’Aarhus. A cette époque, il travaille au sein d’une équipe pluridisciplinaire: «A cette occasion, j’ai réalisé que je pouvais apprendre beaucoup des autres, et que j’aimais beaucoup cela.» Lorsqu’il rentre en Autriche, il est engagé par l’Institut Johann Radon pour les mathématiques computationnelles et appliquées où il devient responsable d’une équipe de recherche de 14 personnes en mathématiques financières. Un défi pour ce jeune homme de 30 ans à peine. «C’était une fois encore un travail pluridisciplinaire. Nous étions sept équipes autour d’un même projet, chaque équipe avec sa spécialité, nous devions nous asseoir ensemble, nous coordonner, discuter nos résultats. Cela prenait du temps et de l’énergie, mais c’était passionnant.»

En 2008, il est contacté par l’Université de Lausanne qui cherchait un remplaçant au professeur Hans Gerber Un sacré défi, car Hans Gerber était très connu au niveau international pour son exceptionnelle intuition et sa contribution fondamentale au développement des sciences actuarielles. Mais Hansjörg Albrecher saisit l’opportunité et accepte.

C’est avant tout sa curiosité naturelle qui le pousse à devenir chercheur. Comprendre est le mot-clé d’Hansjörg Albrecher. Ce qu’il aime dans son métier? «En tant que chercheur, j’ai la liberté de prendre les directions qui m’intéressent. Et puis, j’ai des horaires flexibles. Quand je trouve quelque chose d’intéressant, je ne compte plus mes heures, souligne-t-il. Mais surtout, ce métier m’offre l’opportunité de coopérer avec d’autres chercheurs, de différentes cultures, sur des problèmes variés...»

En octobre 2011, il obtient un subside européen pour participer à un vaste projet international intitulé IMPACT2C, un projet très important, qui va durer quatre ans, et dont Hansjörg Albrecher est l’un des 29 partenaires disséminés dans toute l’Europe. «Ensemble, nous cherchons quelles seront les conséquences d’une hausse de la température de 2 degrés, et quelle influence elle aura sur le continent européen, explique le professeur. Avec mon équipe de Lausanne, nous regardons comment cette hausse de 2 degrés influencera les crues et les inondations. Est-ce qu’elles resteront normales? Vont-elles se multiplier? Comment va-t-on assurer ce risque à l’avenir? Quels scénarios prévoir?» Pour cela, il examine les pires scénarios possibles. Une fois encore, la pluridisciplinarité est le maître-mot : les 29 équipes comprennent des économistes, des géographes, des physiciens, des mathématiciens, entre autres. «Et lorsque vous sortirez de mon bureau, sourit-il, je décrocherai mon téléphone pour appeler un collègue chinois qui travaille au Canada et un Russe qui se trouve en Royaume Uni.» C’est cela, aujourd’hui, le métier de chercheur.

Fabienne Bogadi 

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