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Université de Lausanne        
    Dies 2003: Allocution de M. Silvio Munari, président du Sénat

 

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Mesdames et Messieurs

Au moment où notre Canton s’apprête à examiner un nouveau projet de Loi sur l’Université, il y a lieu de porter un regard sur la nature de notre institution, afin de lui donner un système de gouvernance plus approprié à notre époque.

Lors du dernier Dies je rappelais à quel point l’Université se trouve confrontée depuis plus de dix ans à des défis considérables, tant scientifiques, politiques, financiers et organisationnels que sociétaux, pédagogiques et concurrentiels.

Quand on doit envisager de traiter en parallèle un tel ensemble de défis et problèmes, on se doit de parler d’approche stratégique et de complexité.

Les Universités sont face à un difficile enjeux : céder à des effets de mode et des pressions politico-économiques de court terme, alors que leur principal but est de porter leur regard sur le long terme, tant en matière de recherche que d’enseignement. La demande de nombreux étudiants, mais aussi du milieu économique est d’ailleurs souvent ambiguë. Il s’agit évidemment de réussir la meilleure adéquation possible entre formation et emploi, afin de réduire tant que faire se peut les risques d’inemployabilité en fin d’études, mais aussi de promouvoir des recherches sans finalité économique immédiate et des formations qui mettent plutôt l’accent sur l’acquisition de concepts robustes réutilisables à long terme. Il est aussi essentiel de répondre aux demandes du contexte, en les reformulant, pour anticiper sur les besoins à venir.

Ces dualités que d’aucuns ont baptisé des dialogiques sont le propre de tous les systèmes complexes. C’est le Ying et le Yang, le jour ET la nuit et non pas le jour OU la nuit. C’est l’un ET l’autre.Il faut d’abord rappeler qu’une organisation humaine est par définition un système complexe. Brièvement on dira qu’un système complexe est un système, dont on ne peut décrire l’ensemble des éléments composants et de leurs interactions, dont on ne peut déterminer un état à chaque instant T, qui est dynamique et dont la prévisibilité est très restreinte. On les dits entre autres auto-organisants, auto-poiétiques, et auto-référentiels. Ils sont par définition très autonomes et adaptent en permanence leurs comportements en fonction de leurs environnements.

Or, la théorie des systèmes nous apprend que la conduite des systèmes complexes ne peut être assurée que par des systèmes de pilotage eux-mêmes complexes, car ces systèmes sont notamment constitués d’arborescences multiples en fortes interactions. Il n’y a donc pas seulement une hiérarchie, mais des arborescences et de multiples niveaux de pilotage. Cela est indispensable à diverses fins, mais notamment en vue de permettre à de tels systèmes d’assurer leur stabilité dynamique, en conférant une très grande autonomie aux composantes du système, afin de pouvoir répondre à tout instant à des perturbations locales, sans déstabiliser tout le système.

Pour finaliser l’ensemble, des fonctions de coordination sont nécessaires et d’autant plus importantes que les parties sont différentes. Stafford Beer, un des fondateurs des sciences de la décision a développé un modèle basé sur les modes de fonctionnement des systèmes vivants qui répond à ces exigences. Comme les organisations humaines sont à la fois une combinaison de systèmes vivants et de systèmes artificiels (les structures et processus que l’on se donne), ces entités organisées sont très complexes. L’Université est donc de ce point de vue un système extrêmement complexe, d’autant plus que chacune de ses entités poursuit outre les finalités générique de toute Université, les finalités propres à chacun des domaines scientifiques qu’elle couvre, aujourd’hui organisés en Facultés.

Quelles significations peuvent bien avoir ces quelques considérations théoriques pour la mise en place d’un système de gouvernance dont on attend qu’il puisse piloter avec efficacité l’Université ?

Il y a, je crois, deux réponses fondamentales :
- la première c’est de reconnaître les structures les plus stables d’un système complexe, celles qui fondent ses finalités, et ne pas les confondre avec les processus fonctionnels qui permettent d’agir, souvent avec des temps de réponses qui doivent être court et dont le sens doit être lié aux buts génériques du système et à sa dynamique.
- la seconde est de conférer une très grande autonomie au système et à ses diverses composantes, afin que chacune d’entre elles puisse réagir à ses environnements propres, dans les meilleurs délais, avec le minimum de ressources, sans perturber le fonctionnement de l’ensemble et en se référant constamment aux finalités globales.

Du point de vue de la Gouvernance cela signifie donc qu’il y a lieu de reconnaître deux besoins essentiels :
- premièrement celui de clarifier les finalités, les buts et les missions globales tout en mettant en place un système de coordination adéquat pour les réaliser, assurer de manière cohérente les liens avec d’autres institutions et permettre aux diverses composantes de l’organisation de s’y référer, mais aussi pour choisir et décider lorsque des arbitrages sont nécessaires pour allouer les ressources;
- deuxièmement celui d’assurer une grande décentralisation des décisions pour donner l’autonomie nécessaire aux différentes composantes de l’organisation, en y créant des instances stratégiques et exécutives multiples : on se situe dans un horizon temporel simultanément long et court, mais qui doit en permanence avoir pour référentiel les finalités et pour mission la créativité, l’évolution, l’adaptabilité, en engageant les ressources allouées de manière optimale.

Y a-t-il en fin de compte incompatibilité entre un système de gouvernance dont on souhaite qu’il assure la cohérence d’une institution, considérée globalement avec une certaine unicité de vision, en ayant simultanément donné une grande autonomie aux unités composantes décentralisées ?

Y a-t-il aussi incompatibilité entre mettre en place un système plus démocratique, plus participatif et un système de direction plus efficace ?

On retrouve le principe dialogique : il faut l’un ET l’autre.

Piloter un système complexe, le gouverner, est une tâche elle-même complexe et les systèmes de gestion qui doivent assurer ce pilotage doivent eux-même refléter cette complexité, donc ce principe dialogique. On ne conduit pas un système complexe à l’aide de systèmes de gestion et de contrôle simplistes «Simple but not simpler disait Einstein»

Il y a donc lieu de trouver un système de gouvernance concret qui permette d’assurer le pilotage de l’Université et qui clarifie les rôles différents des divers niveaux de pilotage tout en évitant de forcer un choix vers plus de centralisation ou plus de décentralisation.

«Gouverne le mieux qui gouverne le moins» avait déjà dit Lao Tseu il y a grosso modo 2500 ans. Ce qui voulait déjà signifier que l’autorité et donc l’autonomie devait être conférée aux unités les plus éloignées du Centre permettant une meilleure adéquation de l’organisation locale aux conditions spécifiques de chaque champ d’activité.

On ose ainsi espérer que la future loi comprendra les composantes fondamentales permettant de mettre en place des structures et processus reflétant les exigences d’un système de gouvernance d’une institution qui est, je le répète, extrêmement complexe. La dynamique de tout système académique, sa cohérence, ses capacités d’adaptation, la motivation de ses membres en dépendront directement. Il en va donc de l’avenir même de l’institution, de sa dynamique, et l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi en fondera les potentialités.

Parmi les objectifs de l’avant-projet de cette future Loi, on souhaite donner à l’Université plus de marge de manœuvre et renforcer la participation. Dans les faits on propose un système simplifié, avec moins d’organes de pilotage et des rôles mélangés, plus centralisé et simultanément plus contrôlé par les instances politiques. C’est aller exactement à l’inverse de ce qu’exige un pilotage de systèmes complexes. Il serait bien difficile à quiconque de démontrer que l’Université est un système simple qu’on peut ou qu’on doit contrôler par un système de gouvernance simple.

Pour terminer j’aimerais rappeler que l’Université de Lausanne s’est lancée dans une restructuration sans précédent dans le paysage universitaire romand. Il faut en savoir gré à ceux qui ont eu le courage de s’engager dans cette voie difficile que d’autres n’ont pas encore suivie, et remercier tous ceux qui œuvrent à la mise en place de l’organisation interne, notamment la reconfiguration de deux Facultés, lesquelles viennent d’ailleurs de tenir leur séance d’ouverture. Nous leur souhaitons plein succès dans le développement de leurs nouvelles activités d’enseignement, de recherche et de coopération à l’interface entre les domaines scientifiques nouvellement réunis. C’est précisément à l’interface des sciences classiques qu’émergent les concepts de nouvelles sciences.

 

     

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