Le groupe de Sophie Martin, professeure associée au Département de microbiologie fondamentale de l'UNIL, a démontré le pouvoir d'adaptation des cellules de levure pour ce qui est de leur mode de transport intracellulaire. Les résultats de leurs travaux ont été publiés le 1er décembre 2011 sur le site de la revue Current Biology.
Un réseau de chemins de fer ou de routes
L'équipe lausannoise, spécialisée dans l'étude de la polarité cellulaire, autrement dit l'organisation spatiale des cellules, utilise pour modèle la levure fissipare Schizosaccharomyces pombe, un organisme unicellulaire. Dans cette nouvelle recherche, elle s'est plus spécifiquement intéressée au rôle joué par le cytosquelette -squelette interne à la cellule- dans la polarisation cellulaire. «Chaque cellule a une forme bien particulière nécessaire à sa fonction. Le cytosquelette, qui peut être comparé à un réseau de chemins de fer ou de routes, joue un rôle déterminant dans ce processus: en s'étalant depuis l'intérieur vers des zones bien définies de la membrane cellulaire, il soutient la croissance polarisée de la cellule en fournissant des voies préférentielles sur lesquelles sont transportés les matériaux qui remodèlent la surface cellulaire», détaille Sophie Martin.
La plupart des cellules comporte deux types de réseaux: les microtubules et les filaments d'actine. Chacun de ces réseaux est utilisé par des moteurs moléculaires spécifiques, les kinésines sur les microtubules et les myosines sur les filaments d'actine, qui transportent les matériaux de croissance. Selon le type cellulaire, les microtubules et l'actine constituent des éléments importants pour le transport cellulaire, fonctionnant souvent de façon coordonnée ou séquentielle. Il arrive néanmoins que l'un des deux réseaux ait un rôle prédominant, voire exclusif.
Dans le cas spécifique de la levure fissipare Schizosaccharomyces pombe, le transport moléculaire nécessaire à la croissance dépend exclusivement des moteurs de myosine le long des filaments d'actine. Ceux-ci transportent les matériaux de croissance vers les extrémités des cellules pour assurer une croissance polarisée et conférer sa forme allongée à la cellule. Les kinésines et les microtubules assument pour leur part une fonction plus modeste dans la croissance cellulaire et servent uniquement à marquer les extrémités de la cellule comme sites de croissance. Pourquoi, alors, les deux réseaux sont-ils présents? Un seul réseau serait-il suffisant pour la croissance cellulaire? Un réseau pourrait-il remplacer l'autre?
Une même forme cellulaire obtenue par des chemins différents
Afin de répondre à cette dernière question qui est au coeur des travaux publiés dans Current Biology, Sophie Martin et Libera Lo Presti, doctorante, ont créé un moteur hybride entre la région motrice d'une kinésine qui se déplace sur les microtubules et la partie d'une myosine qui se lie aux matériaux de transport habituellement transportés le long de l'actine. Cet hybride a ainsi permis de transférer le transport cellulaire de l'actine vers les microtubules. «De manière remarquable, ce moteur synthétique a rétabli une forme correcte aux cellules dans lesquelles le cytosquelette d'actine était défectueux et a conféré aux cellules la capacité de croître aussi bien que des cellules sauvages», relève Sophie Martin. «Ces résultats montrent que la même forme cellulaire peut être atteinte en utilisant des chemins différents; ce qui importe, c'est la destination finale des cargos et non le chemin emprunté». En d'autres termes, cette découverte prouve à quel point les cellules sont plastiques et peuvent s'adapter sans problème au transfert de tout leur transport cellulaire sur une route différente et inhabituelle.