Les stations d'épuration des eaux usées (STEP) évoquent en général l'image d'une activité industrielle malodorante - mais nécessaire! - où les déchets liquides de notre société sont traités. Mais au-delà, ils forment un lieu très excitant pour étudier l'évolution en temps réel. Un univers passionnant que dévoile une étude menée par deux professeurs de la FBM, Jan Roelof van der Meer et Marc Robinson-Rechavi, et parue dans l'édition en ligne du 21 février 2013 de l'ISME Journal.
Une cohabitation étroite dans une grande soupe microbienne
«La STEP, c'est un peu comme une grande soupe!», s'enthousiasme Jan Roelof van der Meer, directeur du Département de microbiologie fondamentale de l'UNIL. «Lorsque tant d'espèces microbiennes différentes cohabitent si étroitement, comme c'est le cas dans une station d'épuration, elles échangent forcément des informations génétiques entre elles, par le biais de petits morceaux d'ADN mobiles appelés plasmides».
La puissance d'analyse de la bio-informatique
Afin de pouvoir cataloguer tous ces plasmides dans une approche dite «métagénomique» et de voir pour quelles protéines ils codent, le laboratoire du Prof. van der Meer s'est associé à celui du Prof. Robinson-Rechavi, bio-informaticien au Département d'écologie et évolution de l'UNIL et à l'Institut Suisse de Bioinformatique, ainsi qu'à plusieurs autres groupes de recherche aux Etats-Unis (Joint Genome Centre), en Suède (Université d'Uppsala) et en Allemagne (Université de Bielefeld).
Dans le détail, cette approche métagénomique comprend une procédure spécifique pour séparer les ADN plasmidiques de tout le reste de l'ADN présent dans la soupe microbienne de la station d'épuration, puis leur séquençage, leur assemblage et leur annotation. «Le séquençage fournit énormément de données, mais très parcellaires», précise Marc Robinson-Rechavi. «C'est grâce à l'informatique que l'on arrive à reconstruire les gènes ou les plasmides et à déterminer leur fonction potentielle. Les plasmides ont représenté un défi dû à leur structure particulière et au peu de connaissances que nous avions a priori sur leur fonction».
Partant de l'hypothèse que les types de déchets entrant dans la STEP pouvaient influencer les types de gènes qui sont mobilisés par des plasmides, les analyses ont été effectuées dans deux stations différentes en Suisse.
Les microbes s'adaptent aux conditions spécifiques des eaux usées
Les scientifiques ont ainsi réussi à assembler plusieurs dizaines de génomes plasmidiques à partir du mélange complet d'ADN présent dans la soupe microbienne et ont détecté une multitude de plasmides inconnus au sein des communautés microbiennes. À leur grande surprise, ils ont également découvert que les plasmides présents dans les différentes stations d'épuration avaient mobilisé des fonctions géniques très diverses, ce qui permet aux microbes de s'adapter aux conditions spécifiques des eaux usées.
Vers une résistance accrue des microbes aux antibiotiques et métaux lourds
Moins surprenant, mais jamais encore documenté à ce niveau de détail, une grande variété de gènes codant pour des mécanismes de résistance aux antibiotiques et aux métaux lourds se retrouve dans les plasmides des deux stations. «Les types de déchets que nous produisons et leur traitement à l'aide de micro-organismes conduisent donc inévitablement à la distribution et à l'enrichissement de gènes qui aident les microbes à résister à ces composés», conclut Jan Roelof van der Meer.