L'Université de Lausanne et l'Inspectorat de la pêche du Canton de Berne travaillent en étroite collaboration depuis plusieurs années afin de comprendre pourquoi les effectifs de l'ombre commun (Thymallus thymallus) sont en déclin dans les rivières du plateau suisse comme l'Aare.
Manuel Pompini de l'Université de Lausanne vient de démontrer, dans le cadre de son travail de doctorat sous la direction de Claus Wedekind, professeur associé au Département d'écologie et évolution de l'UNIL, que les femelles sont plus sensibles aux modifications de leur habitat par le réchauffement climatique que les jeunes mâles. Cette mortalité élevée chez les femelles modifie le sex-ratio et contribue probablement à la diminution des populations.
L'ombre commun est un poisson de rivière; il est donc directement exposé aux perturbations climatiques, car contrairement au poisson de lac, il ne peut que difficilement échapper à des températures peu favorables. Le changement climatique a eu un effet direct sur les rivières du plateau suisse; ainsi la température de l'Aare près de Thoune, qui est un important site de reproduction de l'ombre commun, a augmenté en moyenne d'environ 1.5°C depuis 1970.
Avec ce réchauffement de la température, le sex-ratio (rapport entre la proportion de mâles et de femelles) s'est modifié, passant d'environ 65% à plus de 85% de mâles. Les chercheurs ont travaillé sur la base de différents modèles statistiques, mais aussi de plusieurs expériences en laboratoire ainsi que d'une étude à grande échelle en milieu naturel. 15'000 jeunes ombres ont été marqués et relâchés pour mener à bien cette étude.
Une expérience à grande échelle
Selon de premières analyses, les chercheurs ont trouvé que les jeunes femelles souffrent plus des températures élevées de l'eau durant leur premier été que les jeunes mâles. Mais des modèles statistiques ne permettent pas de déterminer précisément les causalités. Afin d'éviter toutes fausses interprétations, les chercheurs ont testé leur hypothèse à l'aide d'une expérience à grande échelle, comprenant 15'000 jeunes ombrets marqués et relâchés après avoir passé leur premier été en captivité dans des conditions comparativement fraîches et protégées. Cinq ans plus tard, en 2012, certains de ces individus ont pu être recapturés sur leur site de reproduction. Les ombrets relâchés étaient composées de 50% de mâles, et après cinq ans dans leur milieu naturel, la proportion de mâles était toujours nettement plus basse que celle observée durant ces 20 dernières années. Par ailleurs pour cette année 2012, la proportion de mâles marqués était clairement plus basse que la proportion de mâles non marqués. Les poissons non marqués étaient eux exposés à leur habitat naturel durant leur premier été. Le changement climatique pourrait donc être responsable de ce changement de sex-ratio, car les femelles semblent plus sensibles aux modifications des conditions environnementales que les mâles.
Reste à savoir ce qui pourrait être à l'origine de cette mortalité élevée des femelles. Pour répondre à cette question, le groupe de recherche lausannois, avec l'expérience de l'Inspectorat de la pêche, la collaboration de la Fischereipachtvereinigung Thun et de l'Hôpital pour animaux à Berne, a mis sur pied un nouveau projet. Différentes maladies infectieuses sont soupçonnées. En effet, celles-ci peuvent d'une part être plus virulentes avec des températures élevées, et d'autre part affecter différemment les mâles et les femelles. Plusieurs pathogènes sensibles à la température ont déjà été identifiés dans la région de Thoune.