«Le but de ce travail est de mettre en évidence la valeur d'un agent thérapeutique souvent méconnu: le bactériophage». Le Dr Yok-Ai Que, MER1 à la FBM et médecin associé au Service de médecine intensive du CHUV, aurait pu choisir ces mots pour évoquer le projet européen PHAGOBURN lancé en juin 2013 et auquel il participe. Hasard de la vie ou de la science, la phrase a été prononcée il y a plus d'un demi-siècle, par le Dr. Jean-Pierre Feihl, qui présentait alors sa thèse à Lausanne.
Jean-Pierre Feihl, 95 ans, était hier à la Cité hospitalière du Bugnon pour assister à la leçon d'adieu de son fils, le Prof. François Feihl qui sera nommé professeur honoraire de l'UNIL dès le 1er août 2013. Il en a profité pour remettre au Dr Que un exemplaire de sa thèse intitulée «La thérapeutique des staphylococcies par le bactériophage», publiée le 3 juin 1949.
Un demi-siècle d'avance, ou de retard?
L'utilisation des bactériophages à des fins thérapeutiques ou phagothérapie a été initiée dès le début du XXe siècle, les premières recherches sur le sujet datant de 1915. L'arrivée en clinique des sulfamidés (années 30) et de la pénicilline (années 40) allait inaugurer l'âge d'or des antibiotiques, qui ont complètement occulté la phagothérapie. Aujourd'hui, la résistance des germes aux antibiotiques devenant un véritable problème de santé publique, cette thérapie ancienne suscite un regain d'enthousiasme et de nombreux espoirs.
«On n'invente rien, finalement!», sourit le Dr Que. «L'avantage des phages, c'est qu'ils évoluent avec leur hôte, la bactérie, contrairement aux antibiotiques, qui sont des molécules figées. Mais il serait faux d'opposer la phagothérapie et l'antibiothérapie pour en faire une querelle d'anciens et de modernes, ces deux approches thérapeutiques doivent être vues comme complémentaires.»
Si certains pays de l'Est pratiquent toujours la phagothérapie avec succès, la méthode doit être validée par les standards modernes avant de pouvoir être utilisées partout en Europe. Le projet PHAGOBURN s'inscrit dans ce contexte. Il s'intéresse spécifiquement aux patients brûlés, chez lesquels les infections représentent la première cause de mortalité.
Motivant et rassurant
Dans sa thèse, le Dr Jean-Pierre Feihl détaillait le traitement de 77 patients par injection de solution aux phages. Avec des résultats surprenants: 83% de réussite, se réjouit le Dr Que. «C'est extrêmement motivant pour notre étude liée à PHAGOBURN, ainsi que pour la suite. Parallèlement au traitement des plaies brûlées infectées chez l homme, nous avons prévu des tests pour traiter des infections à staphylocoques dorés dans un modèle animal. Aucun effet secondaire n ayant été relevé dans les travaux du Dr Feihl, c'est très rassurant.»
Un principe simple
La phagothérapie consiste à utiliser certains virus (ou phages) comme des prédateurs naturels d'un certain type de bactéries. Le phage infecte la bactérie et finit par la détruire. Le phage disparaît avec elle.
PHAGOBURN en bref
PHAGOBURN va étudier les possibilités de la phagothérapie pour traiter, par des cocktails de phages, les infections cutanées provoquées par les bactéries Escherichia coli et Pseudomonas aeruginosa chez les patients brûlés. Il s'agit d'un projet européen multicentrique doté d'un budget global de 5 millions EUR sur 27 mois. Coordonné par le Ministère de la défense français, il a été lancé le 1er juin 2013. En plus du Centre des Brûlés du CHUV, il rassemble plusieurs centres de brûlés internationaux français et belges. L'UNIL participe également, via le Département de microbiologie fondamentale et le Dr Grégory Resch, MA suppléant à la FBM.