L'équipe de Niko Geldner, professeur associé au Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de l'UNIL, a cherché à comprendre quelles étaient les conséquences si une plante était dépourvue de la structure qui assure l'étanchéité de ses racines. L'étude, à découvrir dans l'édition du 16 septembre 2014 de la revue «eLIFE», offre un éclairage nouveau sur notre compréhension du mode de nutrition des végétaux et par conséquent sur la problématique de l'utilisation d'engrais et d'eau dans des sols pauvres ou contaminés.
Filtration et protection optimales grâce à des micro-filets
Connus depuis près de 150 ans, les cadres de Caspary, «Casparian Strips» en anglais, sont des structures imperméables présentes au niveau de l'endoderme, la couche cellulaire qui entoure la veine centrale de la racine. Ces sortes de micro-filets permettent à la plante non seulement d'optimiser la filtration des nutriments dans le sol et le transit de l'eau, mais également de se protéger contre les pathogènes (microorganismes, etc.) omniprésents dans le sol. Toutes les plantes vasculaires telles que les plantes à fruits, arbres, arbustes, herbes, céréales et fougères en sont pourvues.
Après avoir révélé la fonction d'une famille de protéines jusqu'alors inconnue - les CASPs - dans la formation des cadres de Caspary (Nature, mai 2011) et démontré la stratégie adoptée par les plantes pour donner naissance à une racine latérale malgré la présence de ces treillis étanches (Science, janvier 2014), l'équipe lausannoise pousse plus loin ses investigations. Restant fidèle à son modèle végétal l'Arabette des dames, Arabidopsis thaliana, elle a regardé ce qu'il se passait si les cadres de Caspary étaient «cassés» de manière spécifique et forte.
Des dérèglements au niveau du potassium et du magnésium
Pour ce faire, les biologistes ont créé une plante mutante baptisée schengen3. A la clé, des résultats aussi inattendus que fascinants: «Les plantes mutantes ont démontré une capacité étonnante à maintenir une homéostasie de l'eau et de la plupart des nutriments malgré des cadres de Caspary endommagés», détaille le Prof. Niko Geldner. La destruction des cadres n'a toutefois pas été sans conséquence: «les plantes mutantes ont révélé une incapacité à garder des niveaux suffisants de certains macronutriments comme le potassium et le magnésium, ce qui a engendré un ralentissement de leur croissance et un vieillissement prématuré de certaines de leurs feuilles», poursuit le chercheur lausannois.
Ces résultats s'expliquent en partie par le fait que la plante a besoin de fortement concentrer le potassium, un élément qui demeure très mobile dans la plante et peut ainsi être facilement perdu si l'étanchéité des racines n'est plus assurée. Ils amènent à conclure que les cadres de Caspary pourraient ne pas être aussi fondamentaux qu'initialement pensé dans le processus de prise et d'accumulation d'eau et de nutriments. Reste désormais pour les scientifiques de l'UNIL à élucider les mécanismes qui permettent à la plante de compenser des cadres de Caspary défectueux.
Vers une meilleure gestion de l'eau et des engrais
L'étude publiée dans eLIFE laisse envisager de nouvelles perspectives quant à une meilleure gestion de l'agriculture. «Nous espérons que cette découverte ouvrira la voie à une réévaluation de nos modèles, notamment en ce qui concerne la manière dont les racines accumulent les nutriments qui leur sont nécessaires. Avoir une bonne compréhension des processus homéostatiques est capital en matière d'enjeux liés à l'utilisation d'engrais et d'eau dans des sols pauvres ou contaminés», conclut le Prof. Niko Geldner.