Interview de Bernard Favrat, professeur associé à la FBM, qui prononcera sa Leçon inaugurale intitulée «Mobilité des seniors, cannabis au volant: les défis de la médecine du trafic», le 7 juillet 2015 à 16h30 à l'auditoire Jequier-Doge, PMU.
Vous êtes spécialiste en médecine du trafic, thème de votre conférence qui aura lieu le 7 juillet prochain. En quoi consiste cette discipline?
Ce sont des évaluations réalisées dans le but d'identifier des problématiques médicales ou psychologiques ayant un impact sur la conduite automobile. On parle notamment d'abus de substances ou de questions de démence chez les personnes âgées qui auraient un impact sur leur conduite par exemple. Mais la médecine du trafic traite également d'hypersomnolence ou de prise d'insuline par les patients diabétiques.
Il faut souligner que la loi sur la circulation exige des évaluations médico-légales et psychologiques dans certaines situations particulières. A titre d'exemple, un conducteur présentant un taux d'alcoolémie égal ou supérieur à 1,6‰ devra se soumettre à une expertise médicale afin de déterminer une potentielle problématique éthylique chronique. Si ce constat est établi, il nécessiterait des soins et un suivi avant de pouvoir récupérer le permis de conduire.
Plus généralement, on peut concevoir que la médecine du trafic est une forme d'analyse du lien entre l'homme et la machine. C'est un secteur où il y a des gros développements de recherche.
Deux thématiques seront au coeur de votre présentation. Quels constats tirer des effets liés à la consommation de cannabis par les conducteurs?
Avec des radiologues, nous avons notamment pu déterminer les zones du cerveau touchées par la consommation de cannabis.
Dans les grandes lignes, nous pouvons dire que certaines zones sont ralenties, ce qui rend difficile la réaction dans un événement inattendu. La prise de décision des consommateurs de cannabis est nettement diminuée. Les études d'accidentologie montrent que le risque est multiplié par deux après consommation. Cumulé avec l'absorption d'alcool, le risque augmente plus vite encore.
En réalisant ces recherches, aussi bien sur des gros consommateurs que sur des fumeurs occasionnels, nous avons constaté une atrophie de la substance grise chez les individus issus de la première catégorie. Les processus d'attention et d'impulsivité sont altérés par une forte consommation, d'autant plus si elle s'avère précoce. Ce constat est relativement nouveau, et nous cherchons aujourd'hui à savoir s'il y a récupération de la substance grise en cas d'arrêt du cannabis. C'est un sujet très intéressant en terme de prévention.
Vous traiterez également de la mobilité des seniors. Que peut-on en dire?
Il s'agit d'une recherche qui débute. L'idée globale est d'essayer de maintenir la mobilité des personnes âgées aussi longtemps que possible. Le fait de devoir renoncer à son permis de conduire est facilement associé à une dépression, et très souvent considéré comme une atteinte personnelle.
Nous nous sommes associés avec l'école d'ergothérapie (EESP) pour essayer de faire intervenir un spécialiste afin de prodiguer des conseils aussi bien dans le cadre de la conduite automobile que s'agissant des transports publics en général. Le but est de déterminer si par une intervention ergothérapeutique il est possible d'améliorer la conduite et la mobilité des seniors, en évitant peut-être les trajets dangereux. L'idée est donc aussi, dans le cadre de la recherche, d'utiliser les techniques modernes de géolocalisation en collaboration avec l'école d'ingénierie d'Yverdon (HEIG-VD).
Nous avions déjà mené des recherches afin d'évaluer l'efficacité des tests proposés aux médecins généralistes pour dépister d'éventuels problèmes de conduite. Nous avons remarqué qu'ils n'étaient pas très efficaces et qu'il convenait dès lors de rester prudents face à leurs conclusions.
Il s'agit d'une recherche d'avenir sur une thématique qui devient toujours plus importante au regard du vieillissement de la population.