Le 1er août 2015, le Prof. Jean-Daniel Tissot a pris ses fonctions de Doyen de la Faculté de biologie et de médecine (FBM). Médecin hématologue, longtemps Directeur du Service régional vaudois de transfusion sanguine (SRTS VD), il tiendra les rênes de la Faculté pour la législature 2015-2018. Interview.
Quelles ont été vos motivations pour poser votre candidature au poste de Doyen de la FBM?
Jusqu'ici, et cela depuis 1987, j'ai toujours oeuvré au sein du Service de transfusion sanguine. Alors que j'arrive en fin de carrière, j'ai saisi l'occasion de diversifier mes activités, de m'engager différemment au service de la communauté. De plus, je trouvais sain d'offrir la possibilité d'un débat démocratique, plusieurs personnes m'ayant encouragé à présenter ma candidature à l'élection du Doyen.
À votre avis, quels ont été vos atouts pour être nommé? Et comment vous aideront-ils à mener à bien votre mandat?
Ayant déjà été vice-Doyen à la relève académique, mais aussi Directeur médical du CHUV en charge des programmes médicaux, j'ai une connaissance approfondie de l'institution, et notamment de la recherche clinique. En même temps, par le statut un peu à part du Service de transfusion (fondation dépendant de la Croix Rouge, ndlr), je suis un peu extérieur à tout cela, je me vois plus comme un chef d'entreprise que comme une partie prenante de ce système. Je perçois cette distance - relative - comme une force. J'ajoute qu'ayant monté mon propre laboratoire au sein du SRTS VD, ayant été le premier Président de la Société suisse de protéomique, je ne suis pas, et de loin, indifférent aux enjeux et aux réalités de la recherche fondamentale.
Pour autant, je sais que le Décanat, c'est d'abord un travail d'équipe. Et je suis conscient de la faible marge de manoeuvre qui m'est dévolue en tant que Doyen. A cet égard, je ne peux que tirer mon chapeau à la Prof. Béatrice Desvergne et à son équipe pour le travail remarquable qu'ils ont accompli, notamment pour la visibilité de la Faculté. J'entends oeuvrer dans la continuité des décanats des Profs. Mangin, Francioli et Desvergne: douze ans après la création de la FBM, les rails ont été posés, je ne vois pas de raison de changer de direction.
Comment voyez-vous l'articulation entre Biologie et Médecine?
Jusqu'ici, pour affirmer la nouvelle FBM, on a un peu essayé d'«effacer» les différences entre les deux sections. Je pense que c'était un passage obligé dans ce processus de rapprochement, mais nous devons aujourd'hui nous repositionner par rapport à cela; il faut renforcer, réaffirmer l'identité des deux sections, afin que leurs valeurs s'additionnent plutôt qu'elles ne se confondent. Bien sûr, il ne s'agit pas de les opposer, mais au contraire de multiplier les ponts. La recherche, que je vois comme un dégradé allant du fondamental à la clinique, en passant par le «translationnel», est une passerelle évidente.
Comment renforcer l'attractivité de la Faculté?
Grâce au travail de mes prédécesseurs, je pense que notre Faculté est déjà très attractive. Et cet attrait tient beaucoup à la cohésion du pôle lémanique: un réseau de partenaires forts, parmi lesquels se trouve la FBM. Maintenant, il faut distinguer l'institution des individus. Au sein de notre structure, il est important de ménager une marge de manoeuvre pour les personnes, de les valoriser, de proposer des plans de carrière attractifs. Il est important également d'avoir une communication efficace - notamment avec les corps constitués -, des objectifs réalistes, une feuille de route cohérente et des cahiers des charges clairs.
Qu'en est-il des collaborations avec d'autres universités, suisses ou internationales?
C'est bien sûr à développer, mais en évitant de rigidifier les choses. Il y a certes les réseaux d'institutions, qui sont importants, mais on peut aussi imaginer des collaborations plus «soft à travers des disciplines, par exemple l'étude d'une pathologie ou d'une problématique scientifique. Il faut décider en fonction de la météo, ai-je envie de dire.
Et les rapports avec l'industrie?
Le système actuel, trop complexe, rend les choses difficiles. On pense trop souvent en termes de conflit d'intérêt - à qui appartiennent les savoirs? -, essayons plutôt de raisonner en termes d'intérêts objectifs et déclarés. C'est le regard porté sur les intérêts des uns et des autres qui révèle les conflits potentiels. La valorisation scientifique est importante. A cet égard, des initiatives comme le PACTT (Office de transfert de technologie UNIL-CHUV, ndlr) et la création de pépinières sont fondamentales. De même que le capital-risque: nous avons besoin que des personnes prennent des risques, il faut donc créer les conditions pour qu'elles le fassent.
Cela pose aussi des questions du point de vue de la carrière d'un chercheur: par exemple, comment valoriser un brevet par rapport à une publication? Comment valoriser l'innovation, l'inventivité?
Comment encourager la recherche clinique?
Hormis quelques modifications de gouvernance, je n'entends rien changer de fondamental à la vision proposée par la Prof. Desvergne et son vice-Doyen, le Prof. Mooser. Les missions, les axes stratégiques ont été définis avec une grande cohérence. Il faudra cependant être attentif à ne pas laisser hors du chemin les programmes de recherche cliniques originaux et fondés, qui ne seront pas directement inclus dans les axes stratégiques.
Nous allons attacher aussi une grande vigilance à la méthodologie, y compris dans ces dimensions éthiques. Et je me pose aussi une question: comment valoriser les résultats négatifs? Tous ces résultats sont mis sous le tapis, puisque personne n'est intéressé à les publier. Or, ils font eux aussi avancer la recherche, il est donc capital de mettre en place des outils pour les publier.
Et la recherche fondamentale?
Je ferai la même réponse qu'à la question précédente. Nous allons privilégier la continuité. Par rapport à la recherche clinique, il est important de laisser la liberté du questionnement la plus large possible, sans obligation de résultat sociétal. La problématique des ressources et de leur répartition entre les départements est critique. Il importe de toujours tenter de trouver les financements correspondants aux objectifs stratégiques et à la mission de la section, lui permettant de se développer de manière cohérente.
Comment pallier la pénurie programmée de médecins?
Nous devons former plus de médecins - notamment en médecine de premier recours -, et nous allons à cet égard poursuivre les programmes amorcés par nos prédécesseurs. Le programme 220 est ambitieux; il a été bien élaboré par l'ancien vice-Doyen en charge de l'enseignement, le Prof. Pierre-André Michaud, et poursuivi par son successeur, le Prof. Jean-François Tolsa. C'est important, ne serait-ce que parce que nous devons cesser de piller les talents des pays en voie de développement. Directement ou indirectement: beaucoup de médecins français ou allemands viennent en Suisse, et ces pays doivent aller recruter ailleurs. Je vois là une responsabilité politique forte.
Il faut aussi se poser la question des sélections, parfois artificielles, à l'entrée des études de médecine. Nous devons encourager, pas dégoûter. Je me fais ici le porte-parole des professeurs en charge de cette sélection, qu'ils perçoivent comme totalement à l'envers d'une dynamique de transfert de connaissance.
Enfin, admettons aussi que le besoin réel de médecins est parfois difficile à cerner, du fait de l'évolution de la consommation médicale, qui est parfois surconsommation, de la modification de la population des médecins - avec de plus en plus de temps partiel - et des changements dans la pratique même de la médecine: faut-il guérir la maladie ou soigner le malade? Rappelons que la maladie et la mort resteront des réalités; notre première mission doit être d'éliminer la souffrance.
Comment promouvoir la relève académique?
Nous encourageons nos étudiants à effectuer un doctorat. Il faut donc mettre en place les conditions ad hoc. Mais il faut aussi faire preuve de souplesse: dans le système actuel de filières post-graduées au CHUV - A, B, C et D -, les jeunes médecins choisissent leur voie très tôt, notamment ceux qui s'orientent vers la carrière académique. C'est bien, mais je prône un «droit au remords»: on doit pouvoir changer d'avis. De même, je trouverais normal que les cliniques privées venant «débaucher» des talents formés chez nous doivent s'acquitter d'un genre de redevance, comme cela se passe en football.
FBM, UNIL et CHUV forment une gouvernance tripartite. Comment envisagez-vous ce partenariat?
La réussite d'un tel système tient beaucoup aux personnalités qui occupent les postes-clés, et à leur entente respective. Actuellement, cela fonctionne très bien. Mais potentiellement, une telle structure peut générer beaucoup de blocages, de tensions. Il faudra donc être vigilant avec le départ du Recteur de l'UNIL, qui quittera ses fonctions en 2016, et la retraite du Directeur du CHUV en 2017. Leur succéder ne sera pas nécessairement facile!