En raison notamment des changements climatiques, les cas de leishmaniose sont en recrudescence depuis quelques années. L'apparition de résistances rend par ailleurs le traitement de cette maladie parasitaire particulièrement difficile. Les dernières avancées de la DreSc. Catherine Ronet du Département de biochimie de l'UNIL ouvrent la voie à des pistes thérapeutiques inédites. Ses travaux sont à découvrir dans la revue «The Journal of Infectious Diseases».
Les parasites, appelés leishmanies, infectent l'homme et sont transmis par la mouche des sables. Ces parasitoses, qui touchent plus de 10 millions de personnes, sont présentes dans de nombreux pays tropicaux et subtropicaux ainsi que dans le pourtour méditerranéen. Suivant l'espèce de Leishmania, elles se traduisent par l'apparition d'ulcères cutanés, une destruction des muqueuses, voire même d'organes vitaux comme le foie ou la rate.
Un ménage à trois impliquant l'homme, un parasite et un virus
Si l'apparition de parasites résistants a souvent été désignée comme étant la cause première de résistance aux traitements de première ligne, dans certains cas il n'a pas été possible de démontrer que cette résistance était toujours due au parasite lui-même. D'autres facteurs exogènes entrent en jeu.
C'est précisément le sujet central d'investigation de la DreSc. Catherine Ronet, qui travaille au sein du laboratoire du Prof. Nicolas Fasel au Département de biochimie de l'UNIL. «Notre projet vise à évaluer chez l'homme la fréquence d'un virus, le Leishmaniavirus (LRV), présent à l'intérieur de certaines souches du parasite Leishmania guyanensis endémique en Amérique du Sud. Nous nous intéressons plus spécifiquement à l'impact de ce virus sur la pathologie et la réponse au traitement», détaille la biologiste. «Nous sommes en fait en présence de ce que l'on pourrait appeler un ménage à trois qui implique l'homme, un parasite et un virus».
L'équipe lausannoise avait déjà démontré dans un modèle murin que le Leishmaniavirus qui infecte le parasite reprogramme le système immunitaire de son hôte provoquant une réponse inflammatoire précoce qui favorise l'exacerbation de lésions et la dissémination du parasite (Science, février 2011).
La présence du virus rend le parasite plus agressif et plus résistant
Deux études menées conjointement - par les chercheurs lausannois d'une part et leurs collègues américains, belges, péruviens et boliviens d'autre part - ont analysé l'impact du Leishmaniavirus sur la pathologie humaine en Amérique latine.
Réalisée en collaboration avec des chercheurs travaillant en zone endémique (Institut Pasteur de la Guyane et Hôpital de Cayenne, Guyane française), l'étude menée par la DreSc. Catherine Ronet sur des patients recrutés dans toute la Guyane française a permis de démontrer la présence du Leishmaniavirus dans 58% des biopsies analysées et 87% des cultures de Leishmania guyanensis testées. «Les patients infectés par le parasite porteur du virus développent des lésions plus inflammatoires. D'un point de vue clinique, ces mêmes patients ont une tendance à développer des lymphangites et des adénopathies», témoigne la chercheuse.
Les résultats du suivi des patients infectés sur une période d'une année sont éloquents: alors que tous les patients infectés par le parasite sans Leishmaniavirus ont guéri après une ou deux doses de pentamidine - un médicament antiparasitaire -, 27% (soit 12 sur 44) de ceux infectés par le parasite porteur d'un Leishmaniavirus ont présenté une infection persistante ainsi que des récidives caractérisées par la réactivation de la lésion primaire ou l'apparition de nouvelles lésions distantes du siège initial.
D'autre part, l'étude menée par le Prof. Beverley de l'Université de Washington, en collaboration avec le Prof. Dujardin de l'Institut de Médecine Tropicale d'Anvers, a montré que, de manière similaire, des souches de Leishmania braziliensis, parasites proches des Leishmania guyanensis, augmentent également la probabilité de résistance au traitement dans les patients infectés en Bolivie et au Pérou, lorsqu'elles sont porteuses du Leishmaniavirus.
Déjouer les résistances
En résumé, ces deux études démontrent que la présence du Leishmaniavirus constitue un facteur prédictif associé à une forme de résistance au traitement et au développement de récidive. «Ces recherches ont une implication directe sur le diagnostic et le traitement des infections. Elles devraient non seulement permettre d'identifier les souches de parasites porteuses du virus et prédire ainsi quels sont les patients qui risquent de développer des lésions disséminantes et/ou récidivantes. Mais elles ouvrent aussi la voie à des approches thérapeutiques plus ciblées pour le patient en diminuant la réponse inflammatoire et en déjouant ainsi la résistance des parasites», conclut le Prof. Nicolas Fasel.