Le 7 février prochain aura lieu une conférence de Gloria Origgi sur les questions d'interdisciplinarité dans les sciences humaines. Une occasion de revenir sur ce qui se fait à l'UNIL en la matière.
Gloria Origgi, philosophe et chercheuse au CNRS et à l'Institut Jean Nicod à Paris, travaille depuis plusieurs années sur les questions d'interdisciplinarité dans les sciences sociales. Dans sa conférence, co-organisée par l'Institut universitaire Kurt Bösch, la Formation doctorale interdisciplinaire de l'UNIL et le groupe de recherche « Humanités digitales@unil », Gloria Origgi abordera l'interdisciplinarité comme un nouveau style de pensée. A l'heure d'internet et du numérique, les sciences humaines s'interrogent sur les nouvelles conditions de production et de partage du savoir, un questionnement nécessairement au croisement de plusieurs disciplines. Mais la collaboration ou l'élaboration de projets communs entre différentes disciplines ne va pas de soi. Selon le groupe de recherche « Humanité digitales@unil », composé à son origine en 2011 de Jérôme Meizoz (Lettres), Frédéric Kaplan (EPFL), Christian Grosse (FTSR), François Vallotton (Lettres) et Claire Clivaz (FTSR), il est essentiel de s'interroger sur l'interdisciplinarité et ses conséquences pour la recherche dans le tournant actuel des 'Humanités digitales'. « L'interdisciplinarité n'est pas seulement une mobilisation des savoirs de plusieurs domaines, mais c'est la création de situations collectives dans lesquelles des chercheurs de différentes disciplines peuvent mettre en commun leurs savoirs pour construire un objet complexe », explique Jérôme Meizoz, directeur adjoint de la Formation doctorale interdisciplinaire et maître d'enseignement et de recherche en français moderne.
Conserver le facteur humain
Sur le campus de l'UNIL, on trouve effectivement différents types de collaborations interdisciplinaires, et cela à plusieurs niveaux. La Formation doctorale interdisciplinaire a, par exemple, été fondée en 2004 afin de soutenir les doctorants dans leur réflexion et leur processus de construction des savoirs, en leur procurant conseils personnalisés, ateliers et colloques. Rien qu'en Lettres, 350 doctorants font de la recherche dans une des vingt-cinq disciplines proposées. Bien souvent, ils développent et utilisent des outils communs, « mais n'oublions pas que ces outils fournissent des données qui sont analysées par des personnes dans un certain contexte. Ce facteur humain est un point essentiel qu'il ne faut pas mettre de côté dans la réflexion nouvelle qui s'ouvre avec les 'Humanités digitales' », souligne Jérôme Meizoz.
"Sciences au carré" s'étoffe
Les étudiants moins avancés peuvent eux aussi très rapidement aborder une formation touchant à plusieurs domaines. Les étudiants de Bachelor ont ainsi accès depuis près d'une dizaine d'années à des cours interdisciplinaires grâce au programme (sciences)2. Différentes initiations aux sciences dures ou sciences de la vie sont proposées aux étudiants des Facultés de sciences humaines. Depuis le semestre de février 2012, des ateliers sont également destinés aux étudiants en phase de rédaction de leur mémoire de Master qui s'engagent dans une direction interdisciplinaire.
L'UNIL, pionnière en 'Humanités digitales'
En ce qui concerne la recherche interdisciplinaire, l'UNIL est en phase de devenir pionnière dans le domaine des 'Humanités digitales'. En effet, après diverses rencontres qui se sont déroulées en 2011, le groupe de recherche en 'Humanités digitales', sous la houlette du chef de projet Dominique Vinck, également professeur ordinaire à l'Institut des sciences sociales, a déposé un pré-projet en janvier 2012 pour accéder au cercle très fermé des pôles de recherche nationaux. Le projet final sera déposé en janvier 2013 pour un début de fonctionnement espéré en 2014. Ce projet, auquel collabore aussi l'EPFL et l'Université de Berne, suscite un grand enthousiasme de la part du rectorat et des chercheurs lausannois. Actuellement, trois facultés sont impliquées dans le projet (Lettres, FTSR, SSP) mais le but est d'en accueillir d'autres. « L'interdisciplinarité, surtout pour des projets de grande taille, est devenue obligatoire. On ne sait plus que faire de connaissances morcelées que chacun doit ensuite recomposer », estime Dominique Vinck.
Depuis la scolarisation au XIXe siècle, la transmission du savoir s'est largement faite par écrit. Désormais avec les nouvelles technologies, il est possible de créer un objet de connaissance qui ne soit plus uniquement textuel, mais également audio et vidéo. « Conceptuellement, c'est une révolution », explique Claire Clivaz, professeure assistante à l'Institut des sciences bibliques. « Il est temps désormais de réfléchir sur le média et sur la forme par laquelle on veut transmettre du savoir. On pourra ensuite se concentrer à nouveau sur le fond », poursuit-elle. Ces questions de traitement des données sont essentielles pour les développements futurs des recherches en sciences humaines, car « certains choix conceptuels peuvent ouvrir ou fermer certaines possibilités d'utilisation par la suite », ajoute Dominique Vinck. La culture de la note de bas de page par exemple risque d'en être bouleversée, avec un accès direct aux références citées. Les annotations de texte doivent aussi être repensées pour être adaptées à différents médias comme le son ou la vidéo. « Il faut réinventer les repères disciplinaires », analyse encore Dominique Vinck.
Trier l'information: la base du savoir
Le projet des 'Humanités digitales' souhaite également ouvrir la réflexion sur le tri et le classement de l'information par des entreprises comme Google. Trier, ordonner, hiérarchiser, c'est la base du savoir. Sur internet, l'information est déjà en partie formatée, bien que l'on croie souvent que c'est le lieu de toutes les libertés. Mais 50 ans environ après la création d'internet, cette liberté totale commence à être remise en question, comme avec les récentes lois américaines anti-piratage, explique Christian Grosse, professeur ordinaire à l'Institut religions, cultures, modernité (FTSR), qui travaille sur une comparaison entre l'apparition de l'imprimerie au XVe siècle et le tournant actuel du numérique et leurs impacts culturels réciproques. Les universitaires ont donc un rôle essentiel à jouer dans le traitement et l'organisation du savoir dans toutes les disciplines à l'heure de la révolution numérique. Grâce au projet de recherche en 'Humanités digitales', les chercheurs de l'UNIL ne comptent pas rater le tournant.