M. Leonid Heller, professeur honoraire, rend ici hommage à son prédécesseur M. Robin Kemball, qui vient de décéder à l'âge de 92 ans,
Nommé Professeur ordinaire après le départ à la retraite de Constantin Regamey, personnage illustre qui avait occupé le poste ad personam, Robin Kemball a été celui à qui la section de langues slaves doit son existence. C'est lui qui a élaboré à la fois son cadre administratif et son cursus, reparti entre l'enseignement de la langue russe contemporaine, celui de l'histoire de la langue, avec le vieux-russe et le slavon d'église, et celui de la littérature russe auquel s'ajoutait l'introduction à l'histoire russe. Sous la direction du Professeur Kemball, en quelques années, la section a pris un essor considérable, avec l'engagement de nouveaux enseignants et l'accroissement du nombre des étudiants, d'une dizaine au départ à une centaine vers la fin de son mandat. C'est également lui qui a su constituer, à la BCU et à partir d'un fond très réduit, une des plus riches collections de livres et de périodiques russes en Suisse.
On peut dire sans exagération que le Professeur Kemball a compté parmi les meilleurs connaisseurs de la poésie russe en Occident, reconnu au niveau international pour ses compétences dans la versification et surtout, dans les questions, particulièrement épineuses, de la métrique russe. Ses époques de prédilection étaient le début du XIXe siècle, l'Age d'or pouchkinien, et le début du XXe siècle, période considérée comme l'Age d'argent. Il a traduit en anglais de nombreux poètes russes symbolistes et postsymbolistes, d'Alexandre Blok et Serge Essénine à Anna Akhmatova et Marina Tsvetaeva. Cette dernière surtout a pu être véritablement connue et appréciée en Occident largement grâce à ses efforts. Il a notamment organisé à l'Université de Lausanne en 1982, un colloque international fondateur consacré à l'oeuvre de Tsvetaeva. Jusqu'à la fin de sa vie, il continuait à faire entendre sa voix dans les débats autour de la poésie russe.
Il a participé très activement à la vie de l'émigration russe, et plus particulièrement en Suisse et à Lausanne, en faisant des contributions régulières aux activités du Cercle russe dirigé par Mme Karpouchko. D'autre part, et cela mérite d'être souligné, il s'intéressait aux problèmes de la relation entre la culture et la politique en Union Soviétique, n'hésitant pas à accorder son soutien aux dissidents, et il partageait souvent ses réactions aux sujets d'actualité avec les lecteurs du "Times" londonien.
On pourrait ajouter ici quelques mots sur l'estime et l'affection que portaient au Professeur Kemball ses collègues, sur son intérêt pour la Pologne, dont était issue sa deuxième épouse, sur son tempérament, à la fois égal et calme à la manière britannique, et très chaleureux, à la «manière slave».