Groupe de coordination: Marta Roca i Escoda, Anne-Françoise Praz, Eléonore Lépinard
Dès l'apparition du féminisme comme mouvement social, les luttes féministes, plurielles dans leurs discours et leurs stratégies, ont convergé vers un objectif commun: contester la construction normative de la séparation privé/public. A l'heure où la modernisation des sociétés européennes s'accélérait, cette séparation participait de la volonté des élites d'assigner aux femmes une place à l'écart des affaires des hommes et s'est révélée très artificielle puisque les questions prétendument privées, en particulier sexuelles et reproductives, ne cessaient d'être l'objet de débats et de politiques publiques, dans des contextes sociaux et politiques travaillés par les angoisses de dégénérescence. Tout au long du XXe siècle, les féministes ont cherché à déconstruire cette artificialité et à rendre les liens privé-public plus explicites. C'est avec cette volonté constante qu'elles ont participé aux débats du XXe siècle sur la reconfiguration des normes d'une "bonne sexualité".
La "question sexuelle", qui émerge pour la première fois dans l'espace public autour de 1900, n'a cessé de résonner dans le débat politique: premiers débats sur la prostitution réglementée et la condition des mères célibataires, luttes des féministes de la deuxième vague sur la contraception et l'avortement, jusqu'aux mobilisations et contre-mobilisations récentes sur le mariage homosexuel. Pour chacun de ces combats, les féministes ont fait entendre une voix autre, non dénuée de tensions et d'antagonismes, démarquée, frontalement opposée mais parfois aussi alliée à celle des nouveaux "entrepreneurs de morale" qui prenaient appui sur des principes soi-disant incontournables, ou sur la science médicale et psychologique. Derrière la variété des stratégies, trois principes ont fait l'objet de propositions, de contestations et de reformulations: réfléchir à partir de l'expérience et des besoins des femmes, supprimer les inégalités institutionnalisées que les femmes subissent en tant que groupe, leur donner les moyens de leur autonomie sexuelle. Prolongeant ces principes, les luttes les plus récentes visent à contester toutes les catégorisations qui servent de base à des politiques de sexualité.
Dans ce numéro, nous aimerions mettre en évidence la contribution originale, décisive et parfois aussi ambiguë des luttes féministes à la reconfiguration d'une "morale sexuelle contemporaine" qui s'efforce, au-delà des normes religieuses traditionnelles, de définir les comportements convenables, acceptables, légitimes, valorisés, ou au contraire répréhensibles ou stigmatisés. Peut-on cerner les règles d'une "morale sexuelle féministe contemporaine"? Comment, dans des contextes historiques spécifiques, a-t-elle été élaborée, et contestée? Pour répondre à ces questions, nous sollicitons des travaux empiriques et/ou historiques, analysant différents exemples de mobilisations féministes, des débuts du XXe siècle à nos jours.
L'approche que nous proposons convie à appréhender les féminismes comme des mouvements sociaux (i.e. actions collectives) engagés dans leur époque, traversés par des conflits internes et dont les stratégies sont sans cesse repensées, de manière à reformuler les enjeux politiques que sont l'égalité et l'autonomie des femmes, ici dans le domaine de la sexualité. Quelles stratégies les féministes ont-elles adoptées? Quelles alliances inattendues ont-elles conclues ou rompues? Quels discours et idéologies ont-elles utilisés puis retournés? Quels compromis ont-elles consentis et à quel prix? Et finalement, au terme de ces mobilisations et de ces arrangements, quelles règles implicites et explicites d'une "morale sexuelle féministe" ont-elles promues? Dans cette perspective, nous souhaitons aussi mettre l'accent sur les rapports de pouvoir qui ont traversé ces mobilisations (colonialisme, migrations, classe, sexualité, religion et race) et sur les intersections parfois productives d'antagonismes qu'ils ont suscités.
Ces questions peuvent être traitées à travers divers exemples de mobilisations féministes autour de la sexualité. L'important n'est pas tant de raconter des mobilisations souvent déjà connues, que de souligner l'originalité de l'apport féministe, les stratégies adoptées pour faire valoir une vision féministe de la morale sexuelle, contingente d'un contexte historique donné, les résistances et opportunités rencontrées aussi bien à l'extérieur des mouvements féministes qu'à l'intérieur, et, in fine, comment ces reformulations d'une "morale sexuelle féministe" ont contribué, à chaque époque, à définir le "bon sujet" du féminisme et les termes mêmes de ce que doit être le féminisme. Nous énumérons ci-après certains exemples de mobilisations, mais d'autres sont évidemment bienvenus:
Les propositions d'articles de deux pages sont attendues pour le 15 décembre 2014 en format Word, envoyées par mail à Marta Roca i Escoda (Marta.RocaEscoda@unil.ch). La 1ère version des articles retenus devra être soumise à la rédaction de NQF d'ici le 1er mai 2015. Le numéro sortira fin avril 2016.