Au cours des trente dernières années, le modèle de coordination des élites suisses s'est fortement érodé sous l'effet de la mondialisation et de la montée en puissance de la finance. Telles sont les conclusions d'un article de Felix Bühlmann, Marion Beetschen, Thomas David, Stéphanie Ginalski et André Mach publié dans la série "Social Change in Switzerland" co-éditée par FORS, le centre LINES (SSP - UNIL) et le Pôle de recherche national LIVES.
Sur la base d'une vaste base de données comportant les profils de 20'000 dirigeants entre 1910 et 2010 dans les sphères de l'économie, de la politique et de la haute administration, cinq chercheurs et chercheuses en sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne illustrent la perte d'influence des anciens réseaux de cooptation et de coordination.
Leur article, « Transformation des élites en Suisse », est le premier d'une nouvelle série intitulée Social Change in Switzerland, éditée en français et en allemand par le Centre de compétences suisse en sciences sociales FORS, le Centre de recherche sur les parcours de vie et les inégalités LINES (Faculté des sciences sociales et politiques, Université de Lausanne) et le Pôle de recherche national LIVES.
Les auteurs passent en revue différentes caractéristiques des élites suisses à cinq dates : 1910, 1937, 1957, 1980, 2000, 2010. Ils s'intéressent notamment au genre, au niveau de formation, à la nationalité, au grade militaire, ainsi qu'à l'appartenance à différentes instances (conseils d'administration, commissions extraparlementaires, comités des organisations économiques, etc.).
A travers ces comparaisons, ils montrent comment les élites suisses se sont cooptées et coordonnées pendant le 20ème siècle à travers des types bien précis de formation (études de droit surtout, EPFZ dans une moindre mesure) et la fréquentation de lieux de sociabilité masculine (associations d'étudiants, armée, clubs-service, mais aussi conseils d'administration, commissions extra-parlementaires, organisations économiques).
Depuis une trentaine d'année, cette multipositionnalité des figures centrales de l'élite suisse n'a cessé de s'éroder : la proportion de dirigeants ayant des liens dans plusieurs sphères de pouvoir diminue très nettement, ce qui réduit les occasions de concertation. Même à l'intérieur de la seule sphère économique, les rapports entre industrie et secteur bancaire se distendent, comme le montre l'évolution de la composition des conseils d'administration. Cette situation reflète le fait que les entreprises délaissent le crédit au profit des marchés boursiers.
Les fractions dominantes actuelles de l'élite suisse, l'UDC en politique et les managers hyperglobalisés en économie, semblent n'avoir aucun point commun. Il s'agit maintenant d'observer comment ces vainqueurs des processus de transformation des élites suisses se mettent à reconstruire un nouveau système de coordination.
Ce papier de 10 pages s'inscrit parfaitement dans l'ambition de cette nouvelle série de proposer des éléments empiriques tirés de la recherche à un public non scientifique mais averti, stimulant ainsi la réflexion sur l'évolution sociale de la Suisse. D'autres sujets sont en préparation, les éditeurs visant une fréquence d'environ six articles par an.