François Allisson, docteur ès sciences économiques et membre du centre d'études interdisciplinaires Walras-Pareto, a obtenu le Best Book Award pour son ouvrage publié en 2015 chez Routledge « Value and prices in Russian economic thought » qui fait la synthèse de la pensée économique en Russie de 1890 à 1920. Rencontre avec un jeune chercheur passionné par ses recherches comme par l'enseignement.
Pourquoi avoir choisi la Russie comme contexte d'analyse ?
La Russie de l'effervescence révolutionnaire offre un cadre d'analyse unique où la société est à repenser. Dans cette configuration, qui n'aurait bientôt plus rien d'utopique, puisqu'il faudra produire autrement, répartir autrement, consommer autrement, de multiples questions se sont posées. Ces questions, et parfois leurs réponses, qui ont la plupart été oubliées, sont autant de sources de réflexion sur le fonctionnement du capitalisme, et sur son éventuel dépassement.
Sur un plan plus personnel, j'ai depuis longtemps un intérêt pour la Russie, dont l'histoire me fascinait. L'apprentissage de la langue n'a fait que renforcer cet intérêt. Et comme je crois beaucoup à l'importance de la pensée économique pour la compréhension du monde contemporain, travailler sur la pensée économique russe est un moyen d'ajouter du plaisir à mon métier de chercheur et d'enseignant déjà passionnant.
Que pourrait apporter une meilleure compréhension de la pensée économique russe pour les pays européens ?
La pensée économique russe a connu plusieurs phases, pour le dire rapidement : une phase d'imitation, inaugurée au 17e siècle et qui va durer jusqu'au milieu du 19e siècle, où les auteurs occidentaux sont le plus souvent paraphrasés.
Une deuxième phase est constituée par une assimilation des savoirs économiques occidentaux couplée à un désir d'adaptation de ces connaissances aux conditions locales, ce qui va donner naissance aux grandes initiatives pour connaître le pays, durant toute la fin du 19e siècle.
Une troisième phase, créative, voit les économistes russes et soviétiques inventer de nouveaux savoirs originaux (dont certains entreront dans la pensée occidentale). Cette période, 1890-1930, est considéré à juste titre comme un âge d'or de la pensée économique russe, où les frontières traditionnelles qui cadrent ce qui distingue la théorie de l'utopie s'effacent. Les conditions matérielles et idéologiques du régime en place cessent d'agir comme une contrainte à la créativité théorique. C'est cette période qui m'intéresse beaucoup, et qui m'aide à réfléchir en dehors des chemins convenus.
En arrière plan, la question de savoir si la Russie est européenne (voire asiatique) ou si elle suit sa propre voie (eurasienne) alimente passablement les débats, et laisse une littérature propre. Les soi-disant « lois économiques » sont-elles universelles, où la Russie peut-elle échapper à ce destin occidental ?
François Allisson donnera une conférence pléniaire au prochain colloque de l'ESHET en 2017. Il s'agit d'un grand honneur pour un jeune chercheur d'être convié à intervenir lors de ce prestigieux événement.