Dies academicus 1998

 

 

Discours de Gilles Pierrehumbert,

secrétaire général de la Fédération des associations d’étudiants (FAE)

 

Mesdames, Messieurs,

Il est de bon ton aujourd’hui de dire que l’université doit être "efficace" ou "efficiente". Autrement dit, l’université doit, pour obtenir des fonds, répondre de près aux "objectifs" que la "société" lui demande d’atteindre. Très bien, encore faut-il s’entendre sur ce qu’est l’efficacité, sur ce que sont les objectifs, sur ce que recouvre la société.

En fait avec la contractualisation et autres mécanismes du New Public Management (car c’est de cela qu’il s’agit) on change de paradigme.

La conception, encore actuelle de l’université, est celle d’un service public répondant aux besoins de formation des citoyennes et citoyens, sans préjuger du but final de cette formation. Il en va de la liberté de chacune et de chacun d’avoir une prise sur son avenir.

La nouvelle conception de l’université en fait un ensemble de "marchandises" ou de "produits", adressé à des "clientes" et des "clients" (les étudiantes et les étudiants), dans une perspective de coût/bénéfice pour la société. En fait de société, il s’agit plutôt, étant donné les rapports de forces qui la régissent, de celles et ceux qui détiennent de plus en plus aujourd’hui le pouvoir, soit essentiellement les milieux économiques.

En ce qui concerne le financement, il y a concrètement la volonté de le faire transiter non plus par l’institution - financement de la prestation -, mais par l’étudiante ou l’étudiant - financement de la cliente et du client -, avec le risque à terme de voir la contribution des personnes étudiantes augmenter considérablement. Incontestablement, certaines Universités suisses en ont déjà pris le chemin.

 

Si nous voulons préserver l’université de la logique de marché dans laquelle l’insère le New Public Management, il s’agit de défendre en premier lieu sa qualité de service public - avec un financement public -, seule garantie de la liberté académique et du libre choix des études.

 

Tout cela est très joli, me direz-vous, mais pourquoi l’université serait-elle un service public et pas une forme d’entreprise, alors que ceux qui y ont accès ne constituent qu’une petite partie des jeunes en formation. Après tout, l’université est une composante du système de formation, et celui-ci est d’abord là pour former des gens qualifiés, aptes à porter l’économie de ce pays au-devant de tous les autres. Partant de ce principe les étudiantes-clientes et les étudiants-clients se doivent de payer leurs études, puisque plus elles et ils en font, plus elles et ils capitalisent pour leur propre avenir une force de travail dont elles et ils tirent seulEs les bénéfices.

Mais il y a un autre aspect du système de formation, insuffisamment développé et beaucoup plus important que le précédent à mes yeux. Une formation doit procurer aux étudiantes et aux étudiants les "armes" pour qu’elles et ils puissent exprimer et pratiquer leur citoyenneté, c’est-à-dire participer activement au débat public et démocratique sur tous les problèmes de société.

Dans le cas de l’université, cet aspect est très lié à son autonomie. Pas seulement son autonomie de gestion vis-à-vis des collectivités publiques, mais également son autonomie dans ses activités d’enseignement et de recherche face à tous les pouvoirs, politiques et surtout économiques.

 

C’est en cette approche de la citoyenneté, indispensable à la démocratie, que l’université doit être un service public. C’est en cela aussi que les autres voies de formation ont encore à intégrer des formes d’enseignement de culture générale plus étendues qu’aujourd’hui. C’est en cela que l’université a tout à craindre et certainement rien à apprendre des mécanismes de marché, dont la logique est radicalement opposée à un certain nombre de valeurs fondamentales pour le monde universitaire: le développement de la connaissance du monde, une vision critique de celui-ci, et aussi un débat collectif sur les enjeux de cette connaissance.

La logique du profit, la vision restreinte et à court terme, l’intérêt particulier du monde économique tel que nous le connaissons est incompatible avec les notions de débat, le besoin de temps, la liberté de chacun, qui doivent inspirer le développement de l’université.

 

Puissent ces quelques réflexions revenir à l’esprit des autorités politiques cantonales et fédérales lorsqu’elle viendront à traiter respectivement de la LUL et de la LAU. Puissent-elles, ces réflexions, éloigner ces mêmes autorités de l’idéologie dominante, inspirée des dogmes du "Livre blanc", et qu’elles appliquent à doses progressives dans toutes les sphères de la société, formation comprise.

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