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Université de Lausanne        
    Dies 2002: Discours de Mme Anne-Catherine Lyon, conseillère d'Etat, cheffe du Département de la formation et de la jeunesse

 

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Mesdames, Messieurs,
Le Dies academicus constitue l’un des moments privilégiés de la vie de notre Canton. Cette manifestation, qui inaugure l’année universitaire, offre en effet une occasion unique d’échanger, dans un cadre certes formel mais en présence d’un large public concerné, des visions et des perspectives d’avenir relatives à notre université.
Cet événement revêt en outre pour moi une signification toute particulière, puisqu’il me permet de me retrouver dans mon Université, celle où j'ai été formée et celle où j'ai travaillé, il y a peu, au sein de la Faculté de droit. Vous comprendrez ainsi la joie que j’éprouve à venir partager avec vous ce moment à la fois grave et festif et exprimer devant vous mon attachement profond, ainsi que celui des autorités cantonales, à l’Université de Lausanne.

Nous traversons actuellement une période difficile où l’Etat, et à travers lui les diverses institutions qui en dépendent - qu’il s’agisse de celles de la formation, de la santé, du social ou d’autres secteurs encore - sont à la fois fortement sollicités et, en même temps, remis en cause ou du moins bousculés. Les besoins de la collectivité sont toujours plus importants et plus complexes et la rareté persistante des ressources, si problématique à combler, contraint souvent les autorités à des choix difficiles.
Dans ce contexte objectivement dur, je souhaite avant tout assurer l’Université de mon soutien sans faille et de ma volonté de maintenir, entre elle et l’Etat, les relations de confiance qui ont toujours prévalu. J’ajoute toutefois que ce soutien se veut très exigeant : l’Université, dans le cadre du lien privilégié qui la rattache à l’Etat et face aux changements qui marquent l’ensemble du monde universitaire, dans notre pays comme au niveau international, ne peut pas faire l’économie d’une réflexion profonde sur son identité, sur son rapport à la société et sur ses modes de fonctionnement.
L’Université ne sera évidemment pas seule dans cette démarche, car son principal partenaire, l’Etat - qui est aussi, faut-il le rappeler, le meilleur garant de sa liberté et de ses droits - ne pourra pas non plus se soustraire à une réflexion sur ce qu’il attend de l’Université et sur les moyens qu’il met à sa disposition pour accomplir ce mandat.
L’attachement de l’Etat à l’institution universitaire ne relève pas d’un lien circonstanciel, ou superficiel. Cependant, on a tendance aujourd’hui, au sein de la classe politique comme dans une partie de l’opinion, à porter un regard ambigu sur l’Université et à sous-estimer son apport à la collectivité. Trop peu nombreux sont ceux qui réalisent l’importance vitale pour notre Canton de disposer d’une place universitaire forte. Doter l’Université des moyens nécessaires au maintien de son excellence ne constitue en aucun cas un luxe ni une complaisance à l’égard d’un milieu privilégié mais une condition nécessaire à sa survie et au rayonnement de notre canton.

L’Université, du fait de sa place dans l’histoire de notre civilisation, du rôle qu’elle a joué dans l’élaboration de nos valeurs fondatrices et dans la construction de nos institutions modernes, est l’un des acteurs majeurs de notre société. A ce titre, elle est beaucoup plus qu’un simple établissement de formation supérieure. Elle est d’abord un espace de savoir et de réflexion, réunissant et confrontant, dans un esprit d’autonomie et de liberté, les apports des diverses disciplines à l’approfondissement de la connaissance universelle. Elle est également le lieu d’élaboration de nombre de principes que nous considérons aujourd’hui comme les fondements de la démarche scientifique et, plus largement, comme constitutifs de ce qui est – à nos yeux en tout cas - la modernité : respect des libertés de conscience et d’expression, respect de la pluralité des opinions ; exigence de rigueur dans les méthodes de questionnement ainsi que dans les protocoles d’expérimentation ; approche de la science - du moins dans l’idéal - désintéressée et dépourvue de préjugés.
L’Université remplit, de ce point de vue-là, une fonction nécessaire comme espace de remise en cause et de débat démocratique, comme laboratoire de visions et d’approches nouvelles, comme producteur d’expertise et comme miroir sans complaisance de notre réalité.

L’institution universitaire a longtemps été la seule à jouer ce rôle et a bénéficié ainsi d’un statut sans équivalent. Mais les temps changent rapidement et d’autres acteurs émergent aujourd’hui, du secteur public comme du secteur privé, qui font – parfois en puissance - la démonstration de leurs compétences ainsi que de l’importance de leurs moyens, ce qui les conduit à revendiquer un statut à la mesure de leurs ambitions. La complexité croissante du secteur de la formation et de la recherche du niveau tertiaire, les règles nouvelles qui régissent la recherche, les disparités dans l’accès aux moyens, la segmentarisation de la société et des attentes qui en découlent face à l’Université font que cette dernière est aujourd’hui à la fois en perte d’identité et en quête d’identité. De plus, la distinction classique entre recherche fondamentale - la recherche noble par excellence, chasse gardée des universités, idéale et détachée des impératifs contingents - et recherche appliquée, orientée vers des résultats plus immédiats et plus concrets, est aujourd’hui dépassée. Le processus linéaire entre recherche fondamentale et développement industriel ne fonctionne plus; la recherche est devenue - qu'on le veuille ou non - essentiellement stratégique, mêlant de manière itérative sciences de base et applications concrètes.
Dans ce climat qui conduit à une certaine indifférenciation, il me paraît indispensable que l’Université s’interroge et se recentre à la fois sur ses valeurs et les reconsidère, non pas dans une sphère idéale mais en confrontation avec la réalité environnante et les attentes nouvelles de la société; il faudra ensuite qu’elle se réapproprie ses valeurs en tenant compte du contexte global dans lequel se développe aujourd’hui la formation supérieure tertiaire.

Une des fragilités de l'Université réside dans la force de son histoire et de son prestige. En effet, ils ne poussent que faiblement celle-ci à se remettre en question, à réfléchir sur ses structures, ses modes de fonctionnement, sa relation aux autres et à la société.
Or les valeurs quelles qu’elles soient, pour rester vivantes, doivent se confronter aux réalités du temps et à leur environnement, sous peine de ne devenir que des archétypes stériles. Dans un contexte - qu’on le déplore ou qu’on s’en réjouisse - très dynamique et compétitif, où son hégémonie est contestée, l’Université reste un peu frileuse. Elle a peur de se compromettre, d’être instrumentalisée. Elle rechigne à rendre lisible pour la collectivité le fruit de ses travaux. C’est pourtant bien dans le fragile équilibre entre les attentes légitimes – quoique parfois floues - de la société et l’indispensable esprit d’autonomie et de liberté que se situe l’avenir de nos Hautes Ecoles.
Dans ce contexte, le repli sur soi mènerait au déclin aussi sûrement que le renoncement à soi. L’un des défis du monde où nous vivons désormais est d’apprendre à mieux être soi-même pour mieux s’ouvrir aux autres. Evoluer ne doit pas signifier perdre son âme : L’alternative au modèle idéal «humboldtien» n’est pas fatalement une université néo-libérale, bâillonnée et interdite de sens critique. L’on peut - l’on doit - inventer un nouveau modèle qui, tout en préservant les valeurs fondamentales, réponde aux attentes contemporaines et soit en adéquation avec le présent. Il y a aujourd’hui une urgence en cette matière, à la hauteur des menaces réelles qui planent sur l’Université.

Le premier impératif est de ne pas confondre valeurs et structures : la défense des premières ne justifie ni ne requiert l’intangibilité des secondes. Au contraire, la rigidité des structures ne peut à la longue que compromettre la préservation des valeurs, è l'inverse d’une certaine souplesse qui permettrait à ces mêmes valeurs de rester vivantes et d’agir comme une énergie insufflant à l’institution vivacité et efficacité.
Un constat se fait jour actuellement au niveau international, en matière de gestion des universités, dont l’examen a mobilisé les débats lors de la dernière conférence sur l’enseignement supérieur des pays de l’OCDE, en septembre dernier: l’organisation interne et les structures de direction des universités ne répondent plus aux contraintes nouvelles en matière de gestion ni aux conséquences de l’accroissement - par ailleurs souhaitable et nécessaire - de leur autonomie. Le système actuel, largement fondé sur la délégation et les mandats de milice, ainsi que sur le dévouement, a atteint ses limites et n’est plus à même de faire complètement face à la complexité et au poids de la gestion universitaire à ses divers niveaux, académique, administratif ou financier. L’équilibre des pouvoirs et la démocratie interne, s’ils sont inscrits dans les textes, fonctionnent mal. Les structures de participation, les organes de représentation sont en crise, qu’il s’agisse des étudiants, du corps intermédiaire ou des professeurs. Le vide de ces instances délégitime les décisions prises par les autorités académiques, qui n’osent ni ne peuvent conduire une politique ambitieuse et proactive. Il en résulte des blocages qui desservent l’Université dans son fonctionnement interne comme dans ses collaborations et dans la réalisation de ses projets.
C’est pourquoi il me paraît indispensable de procéder, d'entente avec la communauté universitaire et dans le prolongement des résultats de la récente consultation sur l’avenir de l’Université, à une réforme en profondeur, de type institutionnel, de l’Université, afin de régénérer son fonctionnement à l’interne et de restaurer sa pleine capacité d’action. L’urgence d’une nouvelle loi traduisant concrètement cette nécessaire «refondation» se fait plus que jamais sentir. L’Université revendique légitimement plus d’autonomie; il s’agit donc de la doter des instruments lui permettant de l’exercer véritablement: renforcement de la gouvernance, allégement des procédures, restauration de ses organes de participation. J’espère et j’appelle en particulier de mes vœux une présence plus active des étudiants et du corps intermédiaire dans la vie de l’institution. J’ai été particulièrement frappée, alors que nous sommes en train d’élaborer tout un ensemble de dispositions visant à améliorer les conditions de travail et de rémunération de cette catégorie d’enseignants, des difficultés rencontrées pour trouver des interlocuteurs motivés et représentatifs de ce corps pour débattre de cette réforme et nous accompagner dans nos réflexions.
L’Université est à un tournant: elle doit redéfinir son modèle d’organisation et son contrat avec la société; elle doit réfléchir à son identité et à son périmètre d'action en tenant compte des nouveaux acteurs évoluant dans des domaines proches ou semblables. Elle devra également se pencher, sur le plan académique, sur l’organisation de ses cursus afin de rester compatible avec le reste du monde académique, notamment dans le cadre du processus de Bologne, tout en veillant - c’est l’aspect des valeurs évoqué tout à l’heure - à maintenir les exigences d’une véritable formation universitaire.

Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que l’Université produit, avec des moyens comptés et dans un environnement difficile, un enseignement de qualité, de la recherche et des services de haut niveau. Etudiants et enseignants s’investissent avec sérieux et compétence. L’UNIL, et plus largement le site universitaire de Dorigny/Ecublens forment une communauté scientifique de premier plan, dont on peut légitimement être fier et qui mérite tous nos efforts pour la maintenir et l’élever au rang des meilleurs. C’est ensemble que nous parviendrons à réaliser cette ambition, en créant un climat de confiance, en privilégiant les intérêts communs et en mettant notre énergie au service d’une vision globale, à l’échelle de l’Arc lémanique premièrement, mais aussi au-delà, au niveau de la Suisse occidentale et du pays dans son entier. Nous vivons ici, avec le projet triangulaire, une expérience pilote, déterminante pour l’avenir du secteur de la formation et de la recherche à l’échelle de la Suisse ; beaucoup de regards sont portés sur nous, et nous investissent d’une responsabilité qui ne nous laisse pas de droit à l’échec. Je suis confiante et convaincue qu’ensemble, nous parviendrons à dépasser les questionnements actuels pour trouver des solutions constructives et porteuses de sens et d’enthousiasme. Mais pour y parvenir, nous devons pouvoir compter sur le soutien sans faille de nos partenaires, en particulier de la Confédération.
Le Dies est d’abord un jour de festivités pour l’Université, une occasion de distinguer ses lauréats et ses nouveaux docteurs honoris causa. Cette année encore, les éminents mérites des récipiendaires témoignent de la grande qualité du travail qui s’accomplit à l’Université, et qui fait rayonner très loin la réputation de notre Haute Ecole. A toutes les personnes récompensées aujourd’hui, j’adresse mes plus vives félicitations et je remercie également l’entier de la communauté universitaire, étudiantes et étudiants, professeurs, corps intermédiaire, personnel administratif et technique pour l’excellence du travail fourni et pour leur contribution à la vie et au développement de notre canton. De plus, je tiens à adresser des remerciements particuliers au Rectorat qui se dévoue sans compter pour l'Université. Le canton de Vaud reste plus que jamais attaché à son Université, dont il mesure l’apport à son rayonnement et à son développement ; il fera pour sa part tout ce qui est en son possible pour la défendre et y maintenir des conditions de travail attractives, à la hauteur de ses compétences et de ses ambitions.

 

   

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