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Mesdames, Messieurs,
Le Dies academicus constitue lun des moments privilégiés
de la vie de notre Canton. Cette manifestation, qui inaugure lannée
universitaire, offre en effet une occasion unique déchanger,
dans un cadre certes formel mais en présence dun large public
concerné, des visions et des perspectives davenir relatives
à notre université.
Cet événement revêt en outre pour moi une signification
toute particulière, puisquil me permet de me retrouver dans
mon Université, celle où j'ai été formée
et celle où j'ai travaillé, il y a peu, au sein de la Faculté
de droit. Vous comprendrez ainsi la joie que jéprouve à
venir partager avec vous ce moment à la fois grave et festif et
exprimer devant vous mon attachement profond, ainsi que celui des autorités
cantonales, à lUniversité de Lausanne.
Nous traversons actuellement une période difficile où
lEtat, et à travers lui les diverses institutions qui en
dépendent - quil sagisse de celles de la formation,
de la santé, du social ou dautres secteurs encore - sont
à la fois fortement sollicités et, en même temps,
remis en cause ou du moins bousculés. Les besoins de la collectivité
sont toujours plus importants et plus complexes et la rareté persistante
des ressources, si problématique à combler, contraint souvent
les autorités à des choix difficiles.
Dans ce contexte objectivement dur, je souhaite avant tout assurer lUniversité
de mon soutien sans faille et de ma volonté de maintenir, entre
elle et lEtat, les relations de confiance qui ont toujours prévalu.
Jajoute toutefois que ce soutien se veut très exigeant :
lUniversité, dans le cadre du lien privilégié
qui la rattache à lEtat et face aux changements qui marquent
lensemble du monde universitaire, dans notre pays comme au niveau
international, ne peut pas faire léconomie dune réflexion
profonde sur son identité, sur son rapport à la société
et sur ses modes de fonctionnement.
LUniversité ne sera évidemment pas seule dans cette
démarche, car son principal partenaire, lEtat - qui est aussi,
faut-il le rappeler, le meilleur garant de sa liberté et de ses
droits - ne pourra pas non plus se soustraire à une réflexion
sur ce quil attend de lUniversité et sur les moyens
quil met à sa disposition pour accomplir ce mandat.
Lattachement de lEtat à linstitution universitaire
ne relève pas dun lien circonstanciel, ou superficiel. Cependant,
on a tendance aujourdhui, au sein de la classe politique comme dans
une partie de lopinion, à porter un regard ambigu sur lUniversité
et à sous-estimer son apport à la collectivité. Trop
peu nombreux sont ceux qui réalisent limportance vitale pour
notre Canton de disposer dune place universitaire forte. Doter lUniversité
des moyens nécessaires au maintien de son excellence ne constitue
en aucun cas un luxe ni une complaisance à légard
dun milieu privilégié mais une condition nécessaire
à sa survie et au rayonnement de notre canton.
LUniversité, du fait de sa place dans lhistoire de
notre civilisation, du rôle quelle a joué dans lélaboration
de nos valeurs fondatrices et dans la construction de nos institutions
modernes, est lun des acteurs majeurs de notre société.
A ce titre, elle est beaucoup plus quun simple établissement
de formation supérieure. Elle est dabord un espace de savoir
et de réflexion, réunissant et confrontant, dans un esprit
dautonomie et de liberté, les apports des diverses disciplines
à lapprofondissement de la connaissance universelle. Elle
est également le lieu délaboration de nombre de principes
que nous considérons aujourdhui comme les fondements de la
démarche scientifique et, plus largement, comme constitutifs de
ce qui est à nos yeux en tout cas - la modernité
: respect des libertés de conscience et dexpression, respect
de la pluralité des opinions ; exigence de rigueur dans les méthodes
de questionnement ainsi que dans les protocoles dexpérimentation
; approche de la science - du moins dans lidéal - désintéressée
et dépourvue de préjugés.
LUniversité remplit, de ce point de vue-là, une fonction
nécessaire comme espace de remise en cause et de débat démocratique,
comme laboratoire de visions et dapproches nouvelles, comme producteur
dexpertise et comme miroir sans complaisance de notre réalité.
Linstitution universitaire a longtemps été la seule
à jouer ce rôle et a bénéficié ainsi
dun statut sans équivalent. Mais les temps changent rapidement
et dautres acteurs émergent aujourdhui, du secteur
public comme du secteur privé, qui font parfois en puissance
- la démonstration de leurs compétences ainsi que de limportance
de leurs moyens, ce qui les conduit à revendiquer un statut à
la mesure de leurs ambitions. La complexité croissante du secteur
de la formation et de la recherche du niveau tertiaire, les règles
nouvelles qui régissent la recherche, les disparités dans
laccès aux moyens, la segmentarisation de la société
et des attentes qui en découlent face à lUniversité
font que cette dernière est aujourdhui à la fois en
perte didentité et en quête didentité.
De plus, la distinction classique entre recherche fondamentale - la recherche
noble par excellence, chasse gardée des universités, idéale
et détachée des impératifs contingents - et recherche
appliquée, orientée vers des résultats plus immédiats
et plus concrets, est aujourdhui dépassée. Le processus
linéaire entre recherche fondamentale et développement industriel
ne fonctionne plus; la recherche est devenue - qu'on le veuille ou non
- essentiellement stratégique, mêlant de manière itérative
sciences de base et applications concrètes.
Dans ce climat qui conduit à une certaine indifférenciation,
il me paraît indispensable que lUniversité sinterroge
et se recentre à la fois sur ses valeurs et les reconsidère,
non pas dans une sphère idéale mais en confrontation avec
la réalité environnante et les attentes nouvelles de la
société; il faudra ensuite quelle se réapproprie
ses valeurs en tenant compte du contexte global dans lequel se développe
aujourdhui la formation supérieure tertiaire.
Une des fragilités de l'Université réside dans la
force de son histoire et de son prestige. En effet, ils ne poussent que
faiblement celle-ci à se remettre en question, à réfléchir
sur ses structures, ses modes de fonctionnement, sa relation aux autres
et à la société.
Or les valeurs quelles quelles soient, pour rester vivantes, doivent
se confronter aux réalités du temps et à leur environnement,
sous peine de ne devenir que des archétypes stériles. Dans
un contexte - quon le déplore ou quon sen réjouisse
- très dynamique et compétitif, où son hégémonie
est contestée, lUniversité reste un peu frileuse.
Elle a peur de se compromettre, dêtre instrumentalisée.
Elle rechigne à rendre lisible pour la collectivité le fruit
de ses travaux. Cest pourtant bien dans le fragile équilibre
entre les attentes légitimes quoique parfois floues - de
la société et lindispensable esprit dautonomie
et de liberté que se situe lavenir de nos Hautes Ecoles.
Dans ce contexte, le repli sur soi mènerait au déclin aussi
sûrement que le renoncement à soi. Lun des défis
du monde où nous vivons désormais est dapprendre à
mieux être soi-même pour mieux souvrir aux autres. Evoluer
ne doit pas signifier perdre son âme : Lalternative au modèle
idéal «humboldtien» nest pas fatalement une université
néo-libérale, bâillonnée et interdite de sens
critique. Lon peut - lon doit - inventer un nouveau modèle
qui, tout en préservant les valeurs fondamentales, réponde
aux attentes contemporaines et soit en adéquation avec le présent.
Il y a aujourdhui une urgence en cette matière, à
la hauteur des menaces réelles qui planent sur lUniversité.
Le premier impératif est de ne pas confondre valeurs et structures
: la défense des premières ne justifie ni ne requiert lintangibilité
des secondes. Au contraire, la rigidité des structures ne peut
à la longue que compromettre la préservation des valeurs,
è l'inverse dune certaine souplesse qui permettrait à
ces mêmes valeurs de rester vivantes et dagir comme une énergie
insufflant à linstitution vivacité et efficacité.
Un constat se fait jour actuellement au niveau international, en matière
de gestion des universités, dont lexamen a mobilisé
les débats lors de la dernière conférence sur lenseignement
supérieur des pays de lOCDE, en septembre dernier: lorganisation
interne et les structures de direction des universités ne répondent
plus aux contraintes nouvelles en matière de gestion ni aux conséquences
de laccroissement - par ailleurs souhaitable et nécessaire
- de leur autonomie. Le système actuel, largement fondé
sur la délégation et les mandats de milice, ainsi que sur
le dévouement, a atteint ses limites et nest plus à
même de faire complètement face à la complexité
et au poids de la gestion universitaire à ses divers niveaux, académique,
administratif ou financier. Léquilibre des pouvoirs et la
démocratie interne, sils sont inscrits dans les textes, fonctionnent
mal. Les structures de participation, les organes de représentation
sont en crise, quil sagisse des étudiants, du corps
intermédiaire ou des professeurs. Le vide de ces instances délégitime
les décisions prises par les autorités académiques,
qui nosent ni ne peuvent conduire une politique ambitieuse et proactive.
Il en résulte des blocages qui desservent lUniversité
dans son fonctionnement interne comme dans ses collaborations et dans
la réalisation de ses projets.
Cest pourquoi il me paraît indispensable de procéder,
d'entente avec la communauté universitaire et dans le prolongement
des résultats de la récente consultation sur lavenir
de lUniversité, à une réforme en profondeur,
de type institutionnel, de lUniversité, afin de régénérer
son fonctionnement à linterne et de restaurer sa pleine capacité
daction. Lurgence dune nouvelle loi traduisant concrètement
cette nécessaire «refondation» se fait plus que jamais
sentir. LUniversité revendique légitimement plus dautonomie;
il sagit donc de la doter des instruments lui permettant de lexercer
véritablement: renforcement de la gouvernance, allégement
des procédures, restauration de ses organes de participation. Jespère
et jappelle en particulier de mes vux une présence
plus active des étudiants et du corps intermédiaire dans
la vie de linstitution. Jai été particulièrement
frappée, alors que nous sommes en train délaborer
tout un ensemble de dispositions visant à améliorer les
conditions de travail et de rémunération de cette catégorie
denseignants, des difficultés rencontrées pour trouver
des interlocuteurs motivés et représentatifs de ce corps
pour débattre de cette réforme et nous accompagner dans
nos réflexions.
LUniversité est à un tournant: elle doit redéfinir
son modèle dorganisation et son contrat avec la société;
elle doit réfléchir à son identité et à
son périmètre d'action en tenant compte des nouveaux acteurs
évoluant dans des domaines proches ou semblables. Elle devra également
se pencher, sur le plan académique, sur lorganisation de
ses cursus afin de rester compatible avec le reste du monde académique,
notamment dans le cadre du processus de Bologne, tout en veillant - cest
laspect des valeurs évoqué tout à lheure
- à maintenir les exigences dune véritable formation
universitaire.
Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que lUniversité
produit, avec des moyens comptés et dans un environnement difficile,
un enseignement de qualité, de la recherche et des services de
haut niveau. Etudiants et enseignants sinvestissent avec sérieux
et compétence. LUNIL, et plus largement le site universitaire
de Dorigny/Ecublens forment une communauté scientifique de premier
plan, dont on peut légitimement être fier et qui mérite
tous nos efforts pour la maintenir et lélever au rang des
meilleurs. Cest ensemble que nous parviendrons à réaliser
cette ambition, en créant un climat de confiance, en privilégiant
les intérêts communs et en mettant notre énergie au
service dune vision globale, à léchelle de lArc
lémanique premièrement, mais aussi au-delà, au niveau
de la Suisse occidentale et du pays dans son entier. Nous vivons ici,
avec le projet triangulaire, une expérience pilote, déterminante
pour lavenir du secteur de la formation et de la recherche à
léchelle de la Suisse ; beaucoup de regards sont portés
sur nous, et nous investissent dune responsabilité qui ne
nous laisse pas de droit à léchec. Je suis confiante
et convaincue quensemble, nous parviendrons à dépasser
les questionnements actuels pour trouver des solutions constructives et
porteuses de sens et denthousiasme. Mais pour y parvenir, nous devons
pouvoir compter sur le soutien sans faille de nos partenaires, en particulier
de la Confédération.
Le Dies est dabord un jour de festivités pour lUniversité,
une occasion de distinguer ses lauréats et ses nouveaux docteurs
honoris causa. Cette année encore, les éminents mérites
des récipiendaires témoignent de la grande qualité
du travail qui saccomplit à lUniversité, et
qui fait rayonner très loin la réputation de notre Haute
Ecole. A toutes les personnes récompensées aujourdhui,
jadresse mes plus vives félicitations et je remercie également
lentier de la communauté universitaire, étudiantes
et étudiants, professeurs, corps intermédiaire, personnel
administratif et technique pour lexcellence du travail fourni et
pour leur contribution à la vie et au développement de notre
canton. De plus, je tiens à adresser des remerciements particuliers
au Rectorat qui se dévoue sans compter pour l'Université.
Le canton de Vaud reste plus que jamais attaché à son Université,
dont il mesure lapport à son rayonnement et à son
développement ; il fera pour sa part tout ce qui est en son possible
pour la défendre et y maintenir des conditions de travail attractives,
à la hauteur de ses compétences et de ses ambitions.
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