Né en 1933, agrégé de philosophie et docteur d'Etat ès lettres et sciences humaines, aujourd'hui Directeur d'Etudes à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales à Paris, Robert Castel s'est à plusieurs reprises élevé avec pertinence et avec succès contre certaines idées reçues en sciences sociales aussi bien que dans la société des intellectuels, au sens large. Ayant eu le privilège d'aiguiser son esprit en se formant aux contacts combien riches et combien complémentaires de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault, il s'est depuis lors constamment tenu à l'affût de ces phénomènes de société qui paraissent aller de soi au plus grand nombre, et qu'il appartient précisément au vrai sociologue de questionner, souvent de malmener. Ainsi nombreux ont été ceux qui ont découvert avec le plus grand intérêt l'ouvrage qu'il a fait paraître en 1973 chez un éditeur qui à l'époque dérangeait un peu - François Maspero - ouvrage qui s'intitulait Le Psychanalysme, et dont une suite parut trois ans plus tard sous le titre L'Ordre psychiatrique. Mentionnons encore dans le même ordre, si vous me passez l'expression, La Société psychiatrique avancée: le modèle américain, en 1979. Critiques acerbes des mécanismes pernicieux de contrôle social qui s'effectuent sous le couvert d'un discours se voulant tour à tour naturaliste et humaniste, ces ouvrages arrivaient à point nommé, après l'us et sans doute l'abus de la référence à Freud et à ses disciples qui caractérisa mai 68 et ses suites.
Fondateur, avec Pierre Bourdieu et Michel Foucault, du département de sociologie de ce qui est devenu, en 1979, Paris VIII, et qui s'appelait alors "l'université expérimentale de Vincennes", Robert Castel a par la suite réorienté ses intérêts en direction de la question sociale telle qu'elle se pose aujourd'hui de manière aiguë avec la crise de l'Etat-providence. Il a ce faisant apporté une contribution essentielle au développement d'une sociologie de l'Etat social et de l'exclusion. Notamment le concept de "désaffiliation", qu'il a introduit, est considéré par tous aujourd'hui comme un concept essentiel pour la compréhension des mécanismes d'exclusion. Robert Castel a fait part de ses réflexions dans un ouvrage paru en 1995, qui s'intitule Les métamorphoses de la question sociale. Ouvrage remarquable, unanimement salué, qui souligne combien les questions du salariat et de l'Etat social sont intimement liées, et qui nous met en garde devant les conséquences désastreuses des fractures d'une société salariale propres à ébranler les fondements de notre ordre social.
C'est au refondement de l'Etat social que Robert Castel en appelle, et en cette année 1996 qui a vu la question sociale se situer au premier plan de l'actualité en Suisse, nous ne pouvons qu'être sensibles à la qualité et à la profondeur de son interrogation.
Par vos travaux, par votre rayonnement, vous stimulez toute une nouvelle génération de sociologues, et la visite que vous avez effectuée dans nos murs il y a un peu plus d'une année n'a pas peu contribué au développement, que nous souhaitons durable, de recherches lausannoises, dans le sillage de vos propres travaux.
Au sociologue, à l'historien, au généalogiste toujours attentif à suivre les métamorphoses du social et de la sociabilité.