Allocution de M. le Conseiller d'Etat Jean Jacques Schwaab,

Chef du Département de l'instruction publique et des cultes

 

Mesdames, Messieurs,

Traditionnellement mise à disposition du Chef du Département de l'instruction publique et des cultes, la tribune du Dies me donne une fois encore l'occasion d'apporter à l'Université, qui fête cette année son 460ème anniversaire, aux membres de sa communauté et aux personnalités qu'elle distingue aujourd'hui le salut très cordial du Gouvernement de ce canton et ses vives félicitations.

La qualité des récipiendaires de grades et de prix contribue au rayonnement de notre Université et je m'en réjouis. En un temps où la compétition internationale s'intensifie et n'épargne pas le monde académique, il est essentiel que l'Université de Lausanne sache se montrer novatrice, déterminée et courageuse, afin non seulement de conserver ses meilleurs chercheurs et étudiants - tout en les encourageant bien sûr à expérimenter la mobilité - mais également d'attirer à Lausanne des chercheurs prometteurs ou confirmés.

Les collaborations et les rapprochements interuniversitaires sont une autre condition du maintien de la qualité de l'offre lausannoise. Sans ces indispensables apports extérieurs, l'objectif de maintenir à Lausanne un site universitaire complet, cohérent et de premier plan ne pourrait certainement plus être atteint.

L'année académique qui vient de s'achever a été riche en événements; j'y reviendrai dans quelques instants.

Au préalable, j'aimerais cependant vous faire part de quelques réflexions à propos d'une des missions de l'Université appelée à mon sens à jouer un rôle toujours plus déterminant: je veux parler de la formation continue et du développement des formations postgrades. Dans le cadre de sa réponse aux deux motions parlementaires qui, interrogeant les structures de l'Université, demandaient de la doter d'une nouvelle loi, le Conseil d'Etat s'est penché sur les mutations et les orientations nouvelles qui attendent le monde académique au cours de ces prochaines années.

L'évolution du rapport de l'être humain à la connaissance et à ses modes d'acquisition constitue sans doute l'une des transformations les plus profondes de notre société au cours des dernières décennies. Cette place nouvelle prise par la formation a bouleversé toute l'organisation de la vie professionnelle et remis en cause toute la conception de la carrière. Le temps est définitivement révolu où une formation, de quelque niveau que ce soit, s'acquérait une fois pour toutes et permettait d'accomplir sans remise en cause l'entier d'un parcours professionnel.

L'évolution des savoirs et des techniques, la révolution des méthodes de production et des modes de communication, ont rendu indispensable la mise à jour pratiquement permanente des connaissances et des instruments nécessaires à leur transmission. Ne pas se maintenir à jour impliquerait inévitablement d'être très vite dépassé et relégué au second plan, voire même éliminé des sphères où se prennent les décisions et où se construit l'avenir.

En cette fin de XXème siècle se pose de façon urgente, pour nos démocraties avancées, la question de déterminer comment insérer le savoir et la formation au coeur de l'activité sociale et économique. Résoudre cette question s'avère essentiel pour assurer le développement de sociétés plus prospères dans les temps à venir. Traditionnellement centré sur l'école, la salle de classe ou l'auditoire, l'apprentissage doit pouvoir s'élargir à toutes les personnes, à quelque endroit qu'elles se trouvent, à quelque niveau de formation qu'elles se situent.

Au service de ces besoins récents, les nouvelles technologies de l'information démultiplient les possibilités d'enseignement au-delà des barrières d'âge, de lieu et de temps. Mais ces instruments, aussi puissants soient-ils, ne sauraient par eux-mêmes suffire à remplir cette mission. Une profonde réflexion, épistémologique et pédagogique, est indispensable à leur adaptation à des critères de formation exigeants.

Face à ce défi, les universités sont appelées à jouer un rôle essentiel dans l'évaluation des besoins de la société et dans l'élaboration d'une offre adaptée à une demande croissante et de plus en plus diversifiée. Ce secteur d'activité en plein essor constitue certainement l'un des chantiers les plus prometteurs et l'une des missions les plus créatrices d'efficacité sociale de l'Université, aujourd'hui déjà comme dans un plus lointain avenir.

S'inscrivant dans le cadre de partenariats toujours plus intenses avec les institutions, les pouvoirs publics et le monde de l'emploi en général, la formation continue représente également une occasion, pour les hautes écoles, de reléguer définitivement dans le passé l'imagerie de la tour d'ivoire ou de la cage aux muses pour s'ancrer solidement au coeur de la société. Elle constituera par ailleurs un réservoir non négligeable de ressources complémentaires pour une institution appelée à devenir prestataire de services à une échelle plus ambitieuse qu'à l'heure actuelle.

Je sais la volonté de l'UNIL de s'investir dans ces directions nouvelles. Il me tient à coeur de saluer à cette occasion la qualité du travail accompli par son Service de formation continue, et je puis assurer l'Université de l'intérêt et du large soutien du canton dans le développement de ce secteur d'avenir.

Y aura-t-il encore des étudiantEs à Dorigny en l'an 2000 ?

Quelle Université pour demain ?

Le mouvement de revendications de ce printemps a démontré l'attachement à leur université de tous ceux qui s'y forment et y travaillent. Partageant leurs préoccupations, je souhaite informer le plus largement possible la communauté universitaire de l'avancement du projet de réforme des structures de l'Université.

Le 29 août, le Conseil d'Etat a adopté un rapport au Grand Conseil sur les motions de MM. Bonnard et Rochat demandant une nouvelle loi sur l'Université. Ce rapport analyse la situation à l'Université, qui elle-même a été invitée à étudier de son côté les principaux problèmes mis en évidence par le mouvement de revendications.

(Le rapport et le texte des motions sont disponibles sur le réseau Internet de l'Université).

Ce rapport fera l'objet d'un débat au Grand Conseil lors de la session de novembre prochain. Le projet de loi revu tiendra compte de ce débat. Puis il sera soumis à une commission extraparlementaire, composée de représentants des milieux politiques, économiques, syndicaux, de représentants de l'Université, dont des étudiants et des assistants, et des milieux académiques.

Il est indispensable que la nouvelle loi réponde aux attentes de la communauté universitaire et de ses partenaires, ainsi qu'aux besoins de la société.

 

Une institution ouverte et démocratique

Le rapport adopté par le Conseil d'Etat définit ses intentions pour l'Université de demain. En voici les grandes lignes :

 

Une priorité constante

La formation a toujours constitué un secteur prioritaire de la politique du canton. Elle le restera.

L'Université devra faire face aux difficultés budgétaires actuelles par des réaménagements structurels, des réallocations internes, l'introduction d'un mandat de prestations et d'une enveloppe budgétaire. Ses ressources devront prioritairement être affectées à la relève universitaire, au renforcement du personnel administratif et technique et au renouvellement des équipements scientifiques et du matériel informatique.

Si des moyens supplémentaires étaient accordés, ils seraient affectés à l'ensemble de la formation dont certains secteurs sont actuellement plus démunis que l'Université. L'accès à la formation est vital. Dans ce domaine, le Conseil d'Etat soumet à la session de novembre du Grand Conseil un projet visant à élargir les conditions d'octroi des bourses d'études et à augmenter de manière significative les fonds qui leur sont destinés, ceci malgré les conditions budgétaires.

 

Nous sommes tous impliqués. Dialoguons!

Vos avis et suggestions seront précieux pour l'avenir de notre Université. Je les attends. A cet effet, l'ensemble de la communauté universitaire recevra un dépliant l'informant de ce qui précède.

En avril 1968, un ministre français, c'était Malraux je crois, a dit : «La France s'ennuie». Un mois plus tard, on sait ce qu'il est advenu.

Le mouvement parti à l'époque des universités parisiennes a fait tache d'huile. Depuis. quelque chose a changé dans la philosophie du monde occidental, pas seulement dans les rapports de l'université avec la société. Une nouvelle manière de concevoir les rapports d'autorité en particulier était née. Elle influencera longtemps, elle influence toujours, la vie sociale et politique.

Au printemps dernier, trente ans après, personne n'avait affirmé que le canton de Vaud s'ennuyait et pourtant un mouvement formé d'assistants et d'étudiants s'est créé contre la politique financière et universitaire du Conseil d'Etat. Sans commune mesure avec les événements de 1968, il a néanmoins dépassé, en durée et en importance, les manifestations le plus souvent confidentielles auxquelles la vie lausannoise nous avait habitués.

Longtemps épargnée par les remous économiques, la Suisse a brutalement dû prendre conscience qu'elle n'est plus à l'abri des problèmes sociaux, qu'elle n'a plus la faculté d'exporter son chômage ni de dissimuler une fracture sociale qui s'amplifie. Collectivement, elle se pose des questions sur son avenir, comme sur un passé qui lui apparaît de plus en plus trouble, au gré d'interprétations nouvelles, peut-être aussi pessimistes que les précédentes étaient naïves. Mais sommes-nous prêts, à titre individuel, à accepter cette situation et à trouver les moyens d'y remédier? C'est d'autant moins certain que les efforts que cela implique ne conduiront au mieux qu'à une réduction de nos standards, au profit des moins favorisés. C'est le prix de la solidarité, que nous ne sommes pas prêts - et je pèse mes mots - à payer.

La précarisation du travail et de la situation économique n'est pas moins durement ressentie dans le privé que dans le secteur public. Mieux protégés, les fonctionnaires sont parfois plus enclins à manifester leur mécontentement. Il n'est donc pas étonnant que les étudiants les suivent, ou les précèdent, pour défendre un emploi qu'ils n'ont pas encore et qu'ils ne peuvent donc pas perdre. Ce rôle de porte-parole est nécessaire; il n'est pas suffisant. La contestation doit être relayée par une force de propositions. Il ne suffit pas de dire que tel ou tel domaine est une priorité, si l'on ne dit pas lequel n'est quant à lui pas prioritaire. Il ne suffit pas de dire qu'on ne veut pas prendre à Paul pour donner à Jacques, sans voir que cela revient à faire payer demain, par d'autres, ce que l'on dépense aujourd'hui.

C'est le rôle des politiques de débattre de ces questions, mais c'est aussi celui de ceux qui en contestent les solutions, notamment au sein de la Communauté universitaire, de faire des propositions.

C'était la volonté du Conseil d'Etat, ma volonté, lorsque j'ai accepté d'entrer en négociation sur certains points de politique universitaire avec le Mouvement d'avril 1997.

C'est vrai que la communication - notamment celle des mauvaises nouvelles - est un art difficile, dans lequel le Gouvernement a encore quelques progrès à accomplir. Mais ces apparentes maladresses justifiaient-elles de refuser toutes les bases de travail proposées, au motif que certaines paraissaient ou étaient décritwes comme inacceptables? A cet égard, l'utilisation de la grève est significative. Utilisée comme moyen de pression par les étudiants, qui ne mettent ainsi en péril que leur propre formation, il m'apparaît que ce droit fondamental, mais à haut risque, est galvaudé. Dernier recours des travailleurs dont les conditions de travail sont en danger, il doit être utilisé avec précaution. Les étudiants ne rejoignent-ils pas en l'utilisant ainsi les craintes de Simone Weill qui redoute la situation où les ouvriers ne se sentent plus chez eux dans l'entreprise que lorsque celle-ci est en grève...

Mais l'occasion n'est pas perdue. Le Conseil d'Etat a montré par son rapport dont je viens de parler qu'il savait prendre en compte les revendications légitimes en faveur de la formation. Il continuera de le faire, dans une vision globale et solidaire des problèmes difficiles et multiples auxquels les Vaudoises et les Vaudois sont confrontés. Je ne doute pas qu'il puisse compter aussi sur l'appui critique mais constructif de l'ensemble de la communauté universitaire.

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