Dies academicus 1998

 

Discours du professeur Bernard Testa,

président du Sénat de l’Université

 

Mesdames, Messieurs,

A quoi peut bien servir un Dies Academicus? Pour certains -- ce sont quelques absents -- un Dies ne sert à rien. Pour d'autres -- les gourmands -- l'essentiel d'un Dies est dans ses petits fours. Et puis il y a ceux qui se situent entre ces deux extrêmes, et qui sont ici pour s'informer, pour manifester leur solidarité, et pour participer à cette réflexion collective permanente qu'est la vie universitaire. Un Dies est donc une sorte de grande liturgie laïque où chacun trouve non seulement ce qu'on lui offre, mais aussi et surtout ce qu'il y apporte, son enthousiasme, sa ferveur, son espoir, son attente, ses craintes, ses critiques aussi.

Quant au Président du Sénat, il ne se voit pas ici comme un officiant, mais bien plutôt comme passant en vedette américaine pour chauffer la salle et la rendre plus réceptive. Tâche d'autant plus gratifiante aujourd'hui que l'Université de Lausanne est fière d'accueillir les deux personnes qui peuvent sans doute le plus influencer son devenir. Merci, Madame la Conseillère fédérale, merci, Madame la Conseillère d'Etat, de votre présence et de vos paroles que nous espérons roboratives (notez que c'est un pharmacien qui parle!).

Mais avant que nous n'en arrivions là, je désire apporter deux brefs messages à cette assemblée. Tout d'abord, j'apprends peut-être à certains d'entre vous que le pole urbain Genève-Lausanne fait partie des "top research cities in Europe". Cette nouvelle a paru en août dans la revue Science et a été reprise par quelques quotidiens. Londres est la plus grande productrice européenne de publications scientifiques. Mais l'ordre change lorsqu'on prend en compte le nombre d'habitants. Le pole Genève-Lausanne vient alors au troisième rang des grandes citées européennes, derrière et Oxford-Reading. Ces résultats expriment l'excellence scientifique et la synergie des trois Hautes Ecoles lémaniques, du CERN, de l'ISREC, d'autres encore. Point important, ces résultats sont valables pour la période 1994-96. Nombreuses seront donc les personnes ici présentes qui se demanderont combien de temps cette excellence pourra être maintenue dans les conditions de disette que nous vivons. Espérons que le grand Projet dévoilé hier par les Rectorats aura les conséquences favorables que tous espèrent.

Mon deuxième message s'inspire, comme c'est la tradition, du domaine d'enseignement et de recherche qui est le mien, c'est-à-dire la chimie des médicaments et plus précisément ce qu'on appelle aujourd'hui le drug design, en français conception des médicaments. Il s'agit de l'ensemble des méthodes expérimentales et théoriques qui guident la création rationnelle de nouveaux médicaments. Une des bases de cette science est la courbe en cloche que vous voyez sur la Figure 1.

On représente en abscisse une propriété moléculaire dont la valeur sera différente d'un composé à l'autre (p.ex. la taille de la molécule).

En ordonnée, on représente la réponse biologique, p.ex. l'efficacité pharmacologique de chaque composé chimique.

Ce qui est généralement observé pour de larges séries de composés, c'est que l'efficacité pharmacologique commence par augmenter lorsque augmente la propriété moléculaire.

Magnifique, se dit le chimiste, je vais continuer à fabriquer des molécules de plus en plus grosses.

Et oh surprise, voilà que l'efficacité se met à diminuer. Car en recherche pharmaceutique comme partout, le mieux est l'ennemi du bien.

 

 

 

 

 

 

Ce qui m'amène à remarquer que notre modèle de la courbe en cloche n'est pas limité à la recherche pharmaceutique, mais est applicable à d'innombrables cas de figure (Figure 2).

Dans l'univers non linéaire qui est le nôtre, action et réaction, cause et effet, ne sont proportionnels que sur de minuscules segments. L'existence d'un optimum est fréquente mais souvent oubliée. Ainsi, un manque et un excès de nourriture sont tous deux mauvais pour la santé. Dans un autre registre, un peu de stress stimule, mais trop de stress paralyse.

Et qu'en est-il pour nos chères universités, puisque c'est la conclusion que vous attendez? Là aussi, pénurie autant qu'excès peuvent paralyser. Mais encore faut-il savoir où se situe l'optimum, question sur laquelle se focalise souvent le désaccord entre demandeur et distributeur. De même, une université qui manque d'administrateurs fonctionne mal, mais une université sur-administrée traîne un lourd boulet.

Cette figure pose aussi le problème d'un excès de planification.

Et là, pour terminer, je ne résiste pas au malin plaisir de citer les propos iconoclastes que nous distillait il y a longtemps un officier instructeur visiblement désabusé:

"La planification, c'est le remplacement du risque par l'erreur".

Mesdames et Messieurs, Chalamala le bouffon se tait maintenant en vous remerciant de votre patience.


 

Professeur Bernard Testa

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