Reproductrice ou ouvrière: la reine est capable d'influencer le sort de ses filles en jouant sur leur régime alimentaire, selon une étude réalisée sur une abeille sauvage par Michel Chapuisat et Nayuta Brand du Département d'écologie et évolution (DEE) de l'UNIL. Les résultats sont publiés dans l'édition du 10 décembre 2012 de Frontiers in Zoology.
Les recherches de l'équipe lausannoise ont été réalisées sur une abeille sauvage, l'halicte de la scabieuse Halictus scabiosae. Dans ces sociétés primitives d'insectes, les rôles sont divisés entre les reproducteurs (reines et mâles) et les ouvrières, mais toutes les abeilles ont conservé la capacité de se reproduire. C'est leur rôle comportemental dans la colonie qui empêche ou permet la reproduction active. Michel Chapuisat et Nayuta Brand ont montré dans leur étude que les ouvrières de la première génération sont plus petites comparativement aux générations suivantes, et que ceci est influencé par la reine. En cause, des quantités de provisions plus faibles octroyées aux larves, ce qui pourrait être un moyen pour la reine de les confiner dans un rôle "altruiste", autrement dit de les inciter à aider leur mère plutôt que de se reproduire indépendamment.
Chaque printemps, les reines qui ont survécu à l'hiver établissent leurs nids dans le sol. La première descendance de l'année est généralement composée de femelles ouvrières de taille particulièrement petite qui se cantonnent à élever la génération suivante, tandis que les mâles et les femelles qui naissent ensuite sont de taille plus importante. Face à cette constatation, les chercheurs de l'UNIL ont investigué l'hypothèse que la reine restreint l'apport en nourriture de la première génération pour s'assurer une descendance de plus petit gabarit et par conséquent plus facile à dominer et moins susceptible de se reproduire.
Un régime particulier pour déterminer les rôles sociaux
Dans le détail, Michel Chapuisat et Nayuta Brand ont pu mettre en évidence que la quantité totale de nourriture fournie à la première génération est significativement inférieure à celle dispensée à la seconde génération (d'un facteur de 1.4). Toutefois, la quantité de sucre fournie reste équivalente entre les générations. C'est dans l'apport en pollen que les femelles de première génération sont prétéritées. De plus, la différence de taille entre première et seconde génération est moins prononcée chez les mâles. Ces résultats suggèrent que la reine choisit délibérément de moins nourrir ses premières filles.
«Il est certes difficile de séparer l'effet d'une manipulation parentale de celui des variations dans la disponibilité des ressources dans l'environnement, qui dépendent de la végétation, de la météo et des variations saisonnières», relève Michel Chapuisat. «Mais le fait que la taille demeure constante et uniformément petite dans la première génération d'abeilles, et ceci en dépit de fortes variations météorologiques, renforce notre hypothèse que la reine restreint la nourriture mise à disposition de sa descendance. De plus petit gabarit et moins capables de se reproduire indépendamment, les filles sont ainsi plus enclines à prendre le rôle d'abeilles ouvrières».