L'équipe d'Edward Farmer, professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire végétale de l'UNIL, a mis en lumière comment une plante parvient, en cas d'attaque d'une feuille, à alerter les autres feuilles saines sur son «état de santé» afin de mettre en place une stratégie de défense coordonnée efficace. La compréhension de ce système sophistiqué de communication longue distance constitue une avancée majeure, la nature du signal qui se propage à l'intérieur d'une plante étant longtemps demeurée un mystère pour les chercheurs. Au vu de leur importance, ces travaux ont fait l'objet d'une publication dans la prestigieuse revue scientifique "Nature".
Contrairement aux plantes, les animaux bénéficient d'un système nerveux très réactif leur permettant de fuir leurs prédateurs. A titre d'exemple, une mouche à l'arrêt a besoin de moins de 300 millisecondes pour s'envoler, une prouesse qui requiert une coordination complexe de tout son corps. Cette rapidité d'évasion s'avérera néanmoins trop lente si l'insecte s'est posé sur une Dionée attrape-mouche, Dionaea muscipula. Cette plante vivace carnivore est en effet capable de piéger sa proie en refermant ses deux lobes ciliés d'un «clic» grâce à un système de courant électrique.
Cette capacité à capturer des insectes par des mouvements rapides demeure toutefois exceptionnelle dans le règne végétal. Dans un monde en perpétuelle compétition pour la survie, les plantes ne pouvant fuir ont mis au point d'autres stratégies de défense dont celle, très efficace, basée sur un mode de signalisation longue distance. Leur parade contre les herbivores, insectes et autres parasites repose notamment sur leur capacité à stimuler la production de jasmonates, des phytohormones impliquées dans la régulation du système immunitaire et de la croissance de la plante. «En cas d'attaque, les jasmonates s'accumulent dans la feuille mangée et dans les autres feuilles. Elles vont freiner la croissance de la plante et induire l'expression de plus de 1000 gènes de défense avec, pour conséquence, la production de composés toxiques ou de protéines qui bloquent la digestion des mammifères ou insectes herbivores», précise le Prof. Farmer.
La voie de la signalisation électrique explorée
Mais comment, au juste, alors que les plantes sont dépourvues de système nerveux central, les feuilles endommagées parviennent-elles à informer à distance les feuilles saines de leur «état de santé» et à stimuler, si besoin, la production de jasmonates? C'est précisément là l'objet de la recherche dirigée par l'équipe du Département de biologie moléculaire végétale et réalisée en collaboration avec le Département de pharmacologie et de toxicologie de l'UNIL ainsi que l'Ecole de pharmacie à l'UNIGE. «Nous savions les plantes capables d'avertir les autres feuilles lors d'une attaque, mais les processus de signalisation à distance demeuraient jusqu'alors mal compris», détaille le Prof. Farmer. «Parmi les différents scénarios susceptibles d'expliquer la nature des signaux d'alarme systémiques émis par la plante lors d'une blessure par un insecte ou un herbivore, nous avons décidé d'investiguer la voie de la signalisation électrique». Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé comme modèle l'Arabette des Dames, Arabidopsis thaliana, en disposant sur ses feuilles des électrodes non invasives. «L'idée était de détecter les changements d'activité électrique à la surface de feuilles endommagées par comparaison avec des feuilles saines en mesurant notamment leur taux de production de jasmonates», poursuit le professeur de l'UNIL.
Végétaux et animaux: des mécanismes moléculaires communs?
Les biologistes ont également cherché à identifier les gènes impliqués dans la propagation de ces signaux électriques induisant l'expression de gènes de défense. Pour les aider dans leurs investigations, ils ont testé 34 lignées de plantes mutantes. «Nous avons été surpris de découvrir à quel point les gènes nécessaires à la transmission du signal longue distance chez la plante sont apparentés aux gènes humains impliqués dans l'activité synaptique. Dans une vision plus large, notre étude laisse ainsi entrevoir comment les êtres vivants pourraient transmettre des signaux électriques entre organes sans utiliser de neurones», envisage le Prof. Farmer.