Comment les plantes gèrent-elles leurs ressources énergétiques pour piloter leur course au soleil? Les équipes des Prof. Christian Fankhauser (Centre intégratif de génomique) et Sven Bergmann (Département de génétique médicale) de l'UNIL se sont associées pour décrypter la transmission du signal chez les plantes. Les végétaux utiliseraient les mêmes principes d'ingénierie que nous appliquons dans nos systèmes de communication. Réalisés dans le cadre de SystemsX.ch, ces travaux pluridisciplinaires sont le fruit de l'étroite collaboration entre un ingénieur, Micha Hersch et une biologiste, Séverine Lorrain. À découvrir dans l'édition en ligne du 14 avril 2014 de la revue «PNAS».
Petit décryptage de la perception de l'environnement par une plante
Si vous étiez une plante, l'accès à la lumière serait votre motivation principale. Vous auriez à votre disposition toute une série de stratégies pour capturer au maximum l'énergie lumineuse: arranger au mieux la disposition des feuilles - vos panneaux solaires - ou pousser en direction de la lumière. Mais vous seriez également capable d'éviter activement l'ombre en allongeant fortement la tige pour dépasser les plantes qui vous surplombent. Plus remarquable encore, vos compétences de végétal évolué vous permettraient de détecter la proximité d'autres plantes qui ne vous portent pas (encore) ombrage et de décupler vos efforts pour rester au soleil.
Mais comment les plantes réussissent-elles à mettre en place de telles stratégies d'évitement de l'ombre? Si on ne craignait pas les malentendus, on se risquerait à dire qu'elles ont des «yeux». Plus précisément, elles sont capables d'analyser le spectre de lumière qui les entoure. Ensoleillement ou ombre, ombre de sous-bois ou ombre d'un mur, les plantes discernent toute une palette de différences dans leur environnement et s'y adaptent. De plus, les plantes diffusent elles-mêmes de la lumière rouge lointain, pas vraiment visible pour les humains que nous sommes, mais qui est perçue par les plantes. Une information stratégique pour prendre de l'avance dans la course pour l'accès à la lumière.
Ainsi, des tactiques d'évitement de l'ombre peuvent se mettre en place lorsque la plante se trouve sous le couvert d'autres végétaux, mais également par anticipation, si elle est à proximité de plantes qui risquent de lui faire de l'ombre. Dans les deux cas, la plante perçoit la présence d'autres plantes au niveau des feuilles et envoie un signal à la tige sous la forme d'une hormone de croissance, l'auxine. Cependant, si la plante est déjà à l'ombre, sa source d'énergie lumineuse est réduite, alors qu'elle dispose encore d'énergie en abondance si ses voisines ne lui font pas encore d'ombre.
Transmettre le message de façon économique et fiable
Les chercheurs lausannois se sont attachés à comparer comment le signal hormonal est transmis dans ces deux conditions, très différentes du point de vue des ressources énergétiques à disposition. Les deux premiers auteurs de l'étude publiée dans PNAS, Séverine Lorrain du Centre intégratif de génomique et Micha Hersch du Département de génétique médicale, ont utilisé comme «cobayes» des plantules d'Arabette des dames (Arabidopsis thaliana). En alliant modélisation mathématique et expériences biologiques, ils ont pu démontrer que l'équilibre entre la production et la perception de l'auxine varie selon la lumière disponible.
Le signal est abondant et robuste si l'énergie lumineuse à disposition est abondante, tandis qu'il est faible si la plante est à l'ombre. Dans ce dernier cas de figure, la plante compense la faiblesse du signal en augmentant la sensibilité de la tige à l'auxine. Le signal devient alors plus difficile à interpréter, le bruit de fond étant plus marqué. «La plante semble se trouver confrontée au même problème qu'un ingénieur voulant communiquer par radio», explique Micha Hersch. Si le signal est puissant, il est facile à détecter et à interpréter. Si le signal est faible, il faut augmenter la sensibilité du capteur. «Dans ce cas, précise le scientifique, l'interprétation du signal est plus difficile et c'est exactement ce que nous avons constaté. Si elles sont soumises à une faible lumière, les plantes montrent une plus grande variabilité de l'élongation, comme si l'interprétation du signal diffère pour chacune d'elle».
Des plantes très «ingénieuses»
«Ce qui est fascinant, soulignent les chercheurs lausannois, c'est que ce principe de transmission du signal a été décrit pour les ingénieurs et forme la base de ce qu'on appelle la théorie de l'information publiée par Claude Shannon en 1948. Notre étude suggère ainsi que les plantes appliquent des principes d'ingénierie que nous appliquons aussi». Ces travaux indiquent en particulier que la quantité de ressources à disposition influence l'équilibre entre la production et la sensibilité à un signal hormonal. Les végétaux utilisent donc les mêmes principes d'ingénierie que nous appliquons pour la transmission des signaux pour allouer leur énergie de façon judicieuse. D'autres recherches doivent être menées pour confirmer ces observations et déterminer s'il s'agit là d'un principe général de la signalisation hormonale chez les plantes, voire même chez les animaux et les humains que nous sommes.