Les Drs César Metzger et Pierrick Buri, anciens élèves du Prof. Peter Vogel, publient un bel hommage en l'honneur du Prof. Vogel qui nous a quittés le 12 janvier 2015.
«Nul ne sait la valeur de ses possessions avant de les avoir perdues, dit-on. Il en va de même des personnes dont on croise le chemin. De certaines de ces rencontres peuvent émaner des émotions ou des sentiments qui vous accompagneront toute votre vie. Noyées dans la masse des entrevues brèves et insignifiantes, elles influencent le chemin que nous prenons, parfois encore des années plus tard. Bien qu'importantes, ces rencontres sont souvent liées aux hasards de la vie, et nous souhaitons à tout à chacun de pouvoir connaître la ou les personnes qui, au bon moment au bon endroit, contribueront à les façonner. La vie fait que, parfois, nous ne pouvons témoigner du rôle de certains à notre encontre.
Pour les étudiants du cursus de biologie de l'Université de Lausanne (UNIL), l'une des rencontres décisives de leur parcours avait lieu dès leurs premiers pas à l'académie. L'entrée dans le monde académique confronte les jeunes étudiants à des esprits remarquables, des érudits, des savants, mais surtout à des personnalités aux traits inoubliables.
Peter Vogel était pendant plus de 30 ans l'un de ces personnages dans le paysage académique romand. Quelques mois avant la rentrée, chacun d'entre nous, fraîchement sorti des études secondaires, se penchait sur le catalogue des cours de l'UNIL et le crayon en mains, s'imaginant déjà biologiste, apposaient leur signature sur le formulaire d'inscription. A ce moment là, l'idée que nous nous faisions de notre avenir était une vie peuplée de découvertes d'organismes aussi étranges que merveilleux, de battues au fin fond des forêts vierges et d'examens d'ossements à la lumière d'une vieille lampe de chevet dans un recoin d'une station de recherche au confort spartiate. Cette conception romantique de la Science, Peter Vogel la faisait vivre en nous à chacun de ses cours. Muni de sa blouse de laboratoire, de son accent suisse-allemand caractéristique, et d'un appareil rétroprojecteur, Peter Vogel donnait sa leçon, une sorte de karaoké manuscrit où nous complétions les légendes et titres des pages de notre polycopié en suivant ce qu'il écrivait sur ses folios transparents. C'était comme une promenade guidée dans les collections des plus grands musées d'histoire naturelle, sans devoir quitter le confort de notre siège d'auditoire. Il savait illustrer les théories énoncées avec des anecdotes truculentes, vécues sur le terrain. Conscient de la responsabilité morale qui incombe à toute personne titulaire d'une chaire, il nous transmettait sa passion pour la nature et ce faisant nous sensibilisait à sa conservation sans pour autant tomber dans une logique purement émotive.
Mammalogiste reconnu, ses découvertes ont été relatées plusieurs fois dans les médias, comme par exemple la traque de sa carrière soldée par la redécouverte du plus petit mammifère du monde, disparu de suisse depuis plus de 100 ans, la musaraigne étrusque. Parfois, des habitants de la région confiaient des animaux sauvages trouvés blessés ou égarés à l'université, et il arrivait qu'ils les prennent en pension, à l'image de ce jeune blaireau, animal plutôt farouche et difficile d'approcher, qu'il nous avait présenté. C'est durant ses cours, que tous les jeunes biologistes lausannois apprivoisaient la diversité du monde vivant. Chaque concept étudié était replacé dans son contexte historique pour que nous comprenions le cadre dans lequel il avait été établi, et pourquoi parfois certaines conclusions d'origines avaient été réfutées depuis. Le cours n'était pas qu'un simple cours de zoologie, mais également une première approche à l'épistémologie, l'histoire des sciences. A écouter Peter Vogel conter les grands découvreurs de notre discipline, nous nous projetions nous-mêmes, tels des Christophe Colomb, Magellan, ou Marco Polo de la biologie. Ces illustres personnages qui peuplaient notre imaginaire, portaient des noms tels que Wallace, Darwin, Haeckel, ou encore Linné.
Malheureusement, le Prof. Vogel s'en est allé en ce début d'année. L'académie vaudoise a perdu l'une de ses figures de proue et c'est non sans une certaine nostalgie que bon nombre d'entre nous aimerions pouvoir, une dernière fois, se glisser dans un auditoire pour assister aux cours de cette sommité passionnée et passionnante. Celui qui a éveillé notre regard sur les beautés de la faune a quant à lui fermer ses yeux, pour toujours. Son influence sur nos chemins de vie perdure, nous aurions voulu le lui dire, et espérons, que d'une certaine façon, il le savait.»
Dr César Metzger
Chef suppléant Bureau national de protection ABC, Laboratoire Spiez, Office fédéral de protection de la population OFPP
Dr Pierrick Buri
Biologiste chez CSD ENGINEERS à Lausanne