Le Prof. Jacques Hausser, professeur honoraire à la FBM, rend hommage au Prof. Peter Vogel qui nous a récemment quittés.
Peter Vogel nous a quittés à l'aube du 12 janvier 2015, suite à une grave opération du coeur. Pour beaucoup de ceux qui le connaissaient, ce fut un choc: personne ne s'attendait à la disparition de ce collègue toujours si actif et si entreprenant, qui partait encore en expédition de terrain au Danemark à l'été 2014.
Né en 1942 à Berne, Peter Vogel accomplit sa formation à l'Université de Bâle, ou il a soutenu en 1970 une thèse sur l'ontogenèse des musaraignes. Directeur du Centre Suisse de Recherche Scientifique en Côte d'Ivoire, il a été nommé professeur extraordinaire de notre Université en 1973 pour prendre en charge la destinée de l'Institut de Zoologie et d'Ecologie animale. Promu professeur ordinaire en 1979, il a conservé la direction de cet Institut jusqu'en 1995, tout en assumant de très lourdes charges d'enseignement.
Bien qu'il ait toujours refusé le poste de Doyen, «ayant dans l'idée que sa dialectique n'était pas suffisamment bonne pour défendre avec succès des dossiers souvent difficiles», Peter Vogel s'est énormément investi au service de l'Université. Deux fois vice-doyen de la Faculté des Sciences, président de la Section de Biologie, participant assidu au Conseil de Faculté et contribuant à d'innombrables commissions, sa disponibilité, sa modestie et son solide bon sens en ont fait un collègue très apprécié, sur lequel on pouvait s'appuyer en toute confiance. Après sa retraite en 2007, il a largement contribué à maintenir un contact amical entre ses anciens collègues, instituant le "stamm" informel du premier mercredi de chaque mois, réunissant les professeurs honoraires de biologie autour d'un café ou d'un repas.
Dans sa recherche, il est toujours resté fidèle aux petits mammifères, et en particulier aux musaraignes de ses débuts. Sous son impulsion, les musaraignes (auxquelles se sont ajoutés divers rongeurs, des chauves-souris, des oiseaux et même un ver marin) sont devenues un modèle phare de son Institut, aboutissant à des contributions de première importance dans différents domaines de la biologie évolutive. Si beaucoup de chercheurs choisissent de se focaliser sur une ou quelques questions hautement spécialisées, Peter Vogel considérait l'animal comme un tout. Il faut, pour le comprendre, l'examiner sous tous ses aspects et clairement le situer dans son cadre évolutif, écologique et social. C'est ainsi qu'il s'est penché non seulement sur le développement des musaraignes, mais aussi sur leur anatomie, leur reproduction, leur physiologie et leur métabolisme, sur leur écologie, leur comportement, leur phylogénie et leur phylogéographie. Ces domaines d'activité diversifiés l'ont amené à développer de très nombreuses et fructueuses collaborations internationales, du Japon à l'Afrique en passant par la Chine et la Russie, et à publier plus de 130 articles. La retraite ne l'a pas arrêté: en 2011, il démontrait la présence d'une nouvelle espèce de musaraigne en Suisse, et quelques jours avant sa mort, sur son lit d'hôpital, il révisait encore le texte d'un nouvel article.
Mais Peter Vogel était avant tout un fin naturaliste de terrain, enthousiaste et curieux de tout, un observateur attentif aux connaissances encyclopédiques, qu'il a su admirablement partager et transmettre. Collaborateurs ou étudiants, nous sommes très nombreux à garder des souvenirs mémorables de nuits de piégeages aux micromammifères, d'excursions aux batraciens ou aux reptiles, d'écoutes des chants d'oiseaux au petit matin, et de tonnes de sable bêchées et criblées à la recherche de vers mystérieux lors des stages de biologie marine qu'il a institués. Tant dans ces travaux de terrain qu'à l'Institut, Peter Vogel a suscité, dans ses relations avec ses collaborateurs et ses étudiants, une chaleureuse atmosphère de passion partagée et de solidarité fraternelle.
Le petit Institut de ses débuts a fait place à un grand Département d'écologie et évolution; si celui-ci est aujourd'hui à la fois un centre de recherche de renommée mondiale et un cadre de vie apprécié des étudiants comme des enseignants et des chercheurs, c'est en grande partie à Peter Vogel qu'il en est redevable. Aujourd'hui, nous prenons congé de lui avec beaucoup de chagrin, mais surtout avec une grande reconnaissance pour tout ce qu'il nous a donné.
Prof. Jacques Hausser
Professeur honoraire à la FBM