Colloque international organisé par Raphaël Baroni, professeur associé à l'Ecole de français langue étrangère de l'UNIL et membre du Réseau Romand de Narratologie (RRN), et Samuel Estier, assistant diplômé à la Section de français de l'UNIL.
Ce colloque réunit des chercheurs internationaux et lausannois autour d'une réflexion sur l'oeuvre de Michel Houellebecq et, en particulier, sur le problème de l'étude des «voix» de l'auteur, dans toutes les nuances et toutes les acceptions que cette notion de voix peut recouvrir dans la critique et la théorie littéraire contemporaine.
Le potentiel polémique et la complexité énonciative de l'oeuvre de Michel Houellebecq soulèvent des questions nombreuses et complexes. Dans la critique houellebecquienne, il est ainsi souvent question de portée éthique ou politique de l'oeuvre et de la «responsabilité» de l'écrivain, qui s'est vu assigner plusieurs procès durant sa carrière. La publication de son dernier roman, le jour même de l'attentat islamiste contre Charlie Hebdo à Paris le 7 janvier 2015, n'a fait que renforcer cette problématique, la lecture de la fiction se voyant profondément affectée par le contexte historique. Ainsi que le souligne Liesbeth Korthals Altes, les remous provoqués par les romans de Houellebecq ont « ceci de piquant que la question de la position de l'auteur, sinon de ses intentions et de sa morale, si soigneusement évacués par la théorie littéraire dominante, [reprennent] tous [leurs] droits » (2004 : 29).
Houellebecq, par sa posture publique - notamment en reprenant à son compte, parfois littéralement, certains propos tenus par ses personnages - a lui-même contribué à brouiller les pistes et à rendre poreuses les frontières qui séparent le texte et les opinions de l'auteur. Mais il est tout aussi frappant de constater qu'à la parution de son dernier roman, sa posture s'est pratiquement inversée, puisque l'auteur sépare désormais catégoriquement ses opinions personnelles (jugées sans importance) des propos tenus par ses personnages, se retranchant derrière une posture de neutralité plus conforme aux valeurs littéraires traditionnelles, et sans cesser pour autant de partager sa vision du monde dans les médias.
La voix de l'auteur demeure ainsi audible du fait qu'elle se décline sur une vaste gamme médiatique, qui va des genres de l'essai, de la poésie et du roman à la performance d'homme public et d'acteur, voire de curateur d'exposition, en passant par la réalisation de films et de chansons. Cette omniprésence, loin de réduire la complexité des voix de l'auteur, en multiplie au contraire les échos et la diversité des registres : au-delà de la stratégie marketing, il est impossible d'exclure l'hypothèse d'une authenticité de l'écrivain, même quand elle est diffractée dans des jeux autofictionnels ou médiatiques. Quant au style de l'écrivain, que l'on peut définir (parmi d'autres définitions possibles) comme son «ton personnel» ou le «grain de sa voix», il ne se laisse pas non plus appréhender aisément. Certes, le «style» de Houellebecq est facilement identifiable et pourtant, d'aucuns soulignent que l'esthétique dans laquelle il s'inscrit aboutit à une «une mise à plat des discours» et, donc, à un «refus de toute spécificité discursive» (Schuerewegen 2004 : 44). On constate ainsi que la «voix» de Michel Houellebecq est inséparable de son oeuvre et que cette problématique est à la fois omniprésente et irréductible à un monologisme qui en réduirait la complexité.
Ces «voix» apparaissent également comme idéalement contemporaines, car elles rejoignent une esthétique réengagée dans notre «litige avec le monde» (pour utiliser une expression de Gracq) et elles font également écho à une critique littéraire qui redécouvre le statut discursif des énoncés fictionnels, leurs dimensions éthiques, politiques et leur lien indissociable avec une posture publique de l'auteur dont l'interprète ne saurait faire abstraction sans réduire considérablement la portée et l'intérêt de sa lecture.
Intervenant·e·s
L'entrée est libre.