Oberhauser Pierre-Nicolas

Les voix de l’expérience. « Territoire personnel » et déférence dans l’entretien clinique et les pratiques de supervision en psychiatrie

Sous la direction de la Professeure Laurence Kaufmann (UNIL, SSP, ISS, THEMA)

Dans Relations in Public, E. Goffman s’interroge sur ce qu’il nomme le « territoire personnel » (territory of the self) des individus, désignant par là le domaine vis-à-vis duquel ceux-ci peuvent réclamer une forme ordinaire d’autorité, plus ou moins marquée et durable. La dimension la plus évidente de ce « territoire » renvoie à l’espace qui nous entoure directement, au sein duquel la présence physique d’autrui apparaît souvent comme un empiètement. Mais une autre des dimensions distinguées par Goffman comme relevant du « territoire personnel » est celle de la « chasse gardée informationnelle » (information preserve) que peut réclamer chacun d’entre nous, comprenant les informations relatives à soi dont nous pouvons attendre qu’elles ne soient ni divulguées ni prises en charge par autrui, du moins en notre présence. La problématique que constitue la gestion interactionnelle de cette « chasse gardée informationnelle » a été traitée empiriquement par certains travaux d’analyse conversationnelle à partir de l’analyse d’interactions institutionnelles à visée psychothérapeutique. Ces interactions possèdent un intérêt particulier à cet égard, puisque l’expérience « intérieure » de l’un des interlocuteurs – le patient – en constitue le principal enjeu. Ancré dans l’ethnométhodologie, l’analyse de conversation et la sociologie goffmanienne, mon projet se situe dans le prolongement de ces recherches visant à analyser de manière rigoureuse le déroulement des interactions et les dynamiques conversationnelles. Les matériaux empiriques à partir desquels se déploie mon enquête consistent en des enregistrements audiovisuels d’entretiens cliniques et de séances de supervision se déroulant dans le cadre d'un service hospitalier de psychiatrie. La perspective retenue met l'accent sur les attentes normatives relatives à la délimitation et au respect du domaine vis-à-vis duquel les locuteurs sont habilités à faire valoir, du seul fait d’« être qui ils sont », une préséance épistémique et un droit de regard. Mais je cherche plus généralement à décrire la manière dont diverses formes d’autorité épistémique se trouvent attachées aux acteurs en situation d’interlocution. Dans cette perspective, ma démarche se caractérise par l’attention qu’elle porte aux enjeux énonciatifs des échanges langagiers, et en particulier aux rapports de places qui s’instaurent et entrent en confrontation dans l’énonciation.

Mots-clés :
Psychiatrie ; ethnométhodologie ; analyse de conversation ; analyse énonciative ; déférence ; territoire personnel ; autorité de la première personne.

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