Comment crée-t-on un mâle ou une femelle à partir d'un génome unique? Il faut faire des compromis avec, à la clé, des mâles et des femelles parfois sous-optimaux. C'est ce que démontre une étude menée sur la mouche du vinaigre par Brian Hollis, Tadeusz Kawecki et Laurent Keller du Département d'écologie et évolution (DEE) de l'UNIL. Leurs travaux sont à découvrir dans l'édition du 18 mars 2014 de la revue «Nature Communications».
Mâle-femelle: pareil ou pas pareil?
Même s'ils partagent pour l'essentiel le même génome, à l'exception des chromosomes sexuels qui ne comprennent généralement que très peu de gènes, les mâles et femelles de nombreuses espèces varient fortement d'un point de vue morphologique, physiologique et comportemental. Certaines variations de gènes, qui influencent des caractères comme la largeur des hanches ou le taux de certaines hormones, seront plus favorables à un sexe au détriment de l'autre.
Un conflit perpétuel existe ainsi entre les deux genres visant à optimiser l'usage de ces gènes partagés. L'issue de cette lutte va dépendre de la force de sélection sur les mâles versus les femelles. «S'il y a beaucoup de compétition entre mâles, des gènes bénéfiques pour les mâles mais peut-être mauvais pour les femelles vont être davantage sélectionnés, entraînant une évolution des femelles vers une morphologie et un comportement plus masculin. A l'inverse, si la compétition entre mâles diminue, on pourrait s'attendre à une féminisation des deux sexes avec, par exemple, des mâles qui deviennent moins agressifs et moins compétitifs», illustre Laurent Keller, directeur du DEE qui a codirigé l'étude parue dans Nature Communications.
Une monogamie forcée sur plus de 100 générations
Afin de démonter leur hypothèse selon laquelle une compétition génétique entre mâles et femelles autour de l'utilisation d'un même génome ralentit l'évolution des traits sexuels, les biologistes lausannois ont soumis des mâles et des femelles de l'espèce Drosophila melanogaster - la mouche du vinaigre - à une monogamie forcée sur plus de 100 générations. «Ce régime de partenaire unique avait pour but d'éliminer toute compétition sexuelle au sein de la population de drosophiles en empêchant les mâles de se battre pour s'accoupler», détaille Brian Hollis, post-doctorant au DEE et premier auteur de l'article.
Une féminisation aussi bien des mâles que des femelles
Les chercheurs ont ensuite mesuré chez cette population monogame le niveau d'expression des gènes normalement surexprimés chez les mâles ou les femelles. A leur grande surprise, les résultats ont démontré que les deux sexes issus de ces populations qui n'avaient pas expérimenté la compétition sexuelle avaient évolué vers une féminisation, exprimant davantage de gènes femelles que de gènes mâles. «En d'autres termes, nos travaux montrent une féminisation des individus aussi bien mâles que femelles lorsque l'on enlève la sélection sur les mâles», résume Tadeusz Kawecki, professeur associé au DEE et également codirecteur de l'étude. «Dans la nature, un tel processus devrait avoir pour conséquence que la compétition entre mâles chez les espèces polygames les rend encore plus mâles, un phénomène qui est d'ailleurs observé».