Des neuroscientifiques démontrent l'efficacité des méthodes d'enseignement qui sollicitent simultanément plusieurs sens.
Imaginez que vous et un ami, Jack, soyez témoins d'un vol. Le fait que l'un des voleurs ait parlé et que l'autre soit resté silencieux affectera-t-il votre capacité et celle de Jack à les reconnaître lors d'une séance d'identification au poste de police? Il semble que les événements multisensoriels, autrement dit qui stimulent plusieurs sens, comme dans cet exemple l'ouïe et la vision, génèrent des souvenirs plus forts; ceci est vrai même lorsqu'il s'agit de se souvenir d'aspects exclusivement visuels comme les visages. Qui, de vous ou de Jack, sera le témoin le plus fiable? La réponse à cette question peut dépendre de vos capacités respectives à intégrer les informations multisensorielles.
Des neuroscientifiques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de l'Université de Lausanne (UNIL) ont démontré que la capacité de mémorisation est prévisible en fonction de la facilité de chacun à combiner des informations auditives et visuelles. Cette aptitude peut être utilisée pour améliorer les méthodes actuelles d'enseignement, de formation et de rééducation.
Les neuroscientifiques sont parvenus à mesurer des différences individuelles dans les processus multisensoriels chez des adultes en bonne santé grâce à l'enregistrement (non invasif) de l'activité cérébrale par électro-encéphalographie (EEG); ces mesures ont été faites pendant que les participants exécutaient une tâche consistant à indiquer si un stimulus donné était nouveau ou leur avait déjà été présenté (comme lors de la séance d'identification des voleurs au poste de police).
Chercheur principal de l'étude, Micah Murray, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l'UNIL, directeur du Laboratoire d'investigation neurophysiologique (The LINE) du CHUV, également directeur du module d'EEG au sein du Centre d'Imagerie BioMédicale (CIBM), explique: «Nous avons établi pour la première fois qu'il existe un lien direct entre l'activité cérébrale en réponse à des informations multisensorielles à un moment donné, et les capacités ultérieures de reconnaissance visuelle d'objets. Ces résultats ouvrent la voie à une stratégie d'apprentissage particulièrement efficace - ce que Maria Montessori avait déjà suggéré il y a plus d'un siècle, mais qui n'avait pas encore été prouvé par des méthodes neuroscientifiques».
En démontrant qu'une exposition visuelle unique à un nouvel objet, accompagnée d'un son dénué de sens (ou vice-versa), pouvait aider certains individus à reconnaître cet objet plus facilement à l'avenir, l'étude contredit des dogmes anciens dans le domaine de la psychologie selon lesquels le changement de contexte entre l'apprentissage et la phase de remémoration est défavorable pour la mémoire.
Les contextes d'apprentissage et de remémoration peuvent être liés à des états externes ou internes (p. ex. le fait de se trouver dans un lieu donné en état d'ébriété) ou à des stimuli précis (p. ex. une couleur ou une position). Traditionnellement, il était courant de penser que la mémoire était plus performante dans un contexte où l'apprentissage et la remémoration ne changeaient pas. «Notre nouvelle étude démontre que des expositions uniques à des contextes dans lesquels plusieurs sens sont stimulés suffisent pour améliorer la capacité de reconnaissance par rapport aux contextes purement unisensoriels. Nous avons établi pour la première fois que l'on peut prédire cette capacité selon comment un personne intègre les informations multisensorielles», précise le Prof. Murray.
Cette étude, intitulée «Multisensory Context Portends Object Memory» est publiée dans la revue Current Biology. Ses auteurs sont Antonia Thelen, Pawel Matusz, et Micah Murray.