Recherche

J’ai toujours aimé la littérature, un goût facilité et encouragé par des parents eux-mêmes grands lecteurs. Au gymnase, j’ai eu la chance d’avoir des profs inspirants, notamment en français, anglais et histoire, qui m’ont confortée dans mes intérêts et m’ont donné envie d’aller plus loin et d’en apprendre davantage

En première année, j’ai choisi le français moderne, l’anglais et l’histoire de l'art. Mon choix m’a tout de suite convenu. Je n’ai cependant pas poursuivi l’étude de l’histoire de l'art en deuxième et troisième années de Bachelor, car les deux autres disciplines avaient constitué d’emblée mes premiers choix.

Le français a été pour moi une évidence, car la discipline répondait à mon goût pour la littérature et l’analyse. J’ai apprécié l’indépendance et la liberté graduelles que la section de français nous offre dans l’élaboration de nos propres projets d’études, par rapport à une section d’anglais plus encadrante.

Au moment de choisir un sujet de mémoire, il était clair pour moi que j’allais opter pour un ancrage en français moderne, même si j’ai beaucoup aimé mes études en anglais. Durant mon parcours de Bachelor, j’avais déjà identifié mon intérêt pour le domaine de l’histoire littéraire. L’idée de mon sujet de mémoire a germé dans mon esprit après que j’ai assisté à une conférence de l’historien Dominique Kalifa sur l’imaginaire des bas-fonds. J’ai remarqué en l’écoutant que beaucoup de textes intégraient une dimension olfactive dans leurs descriptions et que cet aspect-là était relativement moins thématisé. Je suis allée voir Marta Caraion pour lui exposer mon projet; elle m’a suggéré des lectures, des pistes, et m’a aidée à formuler ma problématique. Je dirais, que, pour le choix de son directeur ou de sa directrice de mémoire, il est important de repérer dans le courant de ses études les enseignant·e·s dont les approches recoupent nos intérêts et avec qui on a de la facilité à collaborer.

J’ai choisi la variante du Master avec spécialisation, parce que les cours que j’avais déjà pu suivre dans le cadre du centre des Sciences historiques de la culture m’avaient vivement intéressée et que je savais que la spécialisation constitue un bon tremplin vers le doctorat. Grâce à ce programme, je me suis familiarisée davantage avec la réalité de la recherche académique; j’ai pu écrire mon premier article en rapport avec mon sujet de mémoire, un article programmatique qui m’a permis une première incursion en tant que jeune chercheuse dans le champ des études olfactives et que j’ai pu publier dans la revue Littérature.

C’est mon travail de mémoire qui a constitué mon premier travail de recherche de fond. La lecture de l’ouvrage phare d’Alain Corbin Le Miasme et la Jonquille (1982), qui m’avait été recommandé par ma directrice de mémoire Marta Caraion, m’a fait prendre conscience que le champ de recherche des études olfactives (Smell Studies en anglais), déjà reconnu mais encore balbutiant, offrait de belles possibilités d’explorations nouvelles. Je me suis tout d’abord centrée sur le leitmotiv des odeurs féminines chez certains grands auteurs du XIX^e siècle. Pour approfondir ce sujet, j’ai eu assez largement recours à la littérature académique anglophone, souvent moins cloisonnée que la française, parfois encore héritière de certains préjugés par rapport aux sujets considérés comme “moins nobles”.

Après la défense de mon mémoire, j’ai eu la chance de le publier dans la collection “Essais” de la revue Archipel, dirigée par la section de français de l’UNIL. Le fait de pouvoir valoriser son mémoire sous la forme d’une publication est un bon pied à l’étrier pour le monde de la recherche. Je savais bien cependant que, pour m’engager réellement dans une carrière de chercheuse, il fallait que j’obtienne un poste d’assistante ou une bourse au FNS (Fonds National Suisse pour la recherche).

Pendant mes études, j’ai travaillé comme assistante-étudiante pour Thierry Herman dans le cadre de son enseignement consacré à l’écriture académique à l’université. Par le truchement de Marta Caraion, j’ai bénéficié de mandats ponctuels pour la FDI de la Faculté des lettres (Formation interdoctorale interdisciplinaire), qui consistaient en des travaux de relecture d’actes de colloque avant publication. J’ai eu aussi l’occasion d’effectuer ce même travail de relecture et d’aide à la publication pour des doctorants non-francophones qui rédigeaient une thèse en français. De cette façon, j’ai pu voir de plus près à quoi ressemblait la réalité de la recherche académique.

À la fin de mon mémoire, je me suis portée candidate à un poste d’assistante diplômée à la section de français, en étant cependant consciente que je ne l’obtiendrais pas du fait que l’entrée en fonction était prévue avant la défense. Mais en répondant à la mise au concours, j’allais afficher explicitement mon intérêt à poursuivre en doctorat; je voyais aussi l’occasion de m’entraîner à établir un dossier et à mettre sur pied un projet de thèse.

Heureusement, à peu près au même moment, j’ai obtenu de Thierry Herman une proposition de remplacement à l’Université de Neuchâtel pour une année et demie comme collaboratrice scientifique. J’avais pour tâche d’élaborer et d’animer des travaux pratiques, de corriger les travaux des étudiant·e·s et d’assurer des entretiens personnalisés dans le cadre du cours “Argumenter, écrire et convaincre à l’université”. Pendant la durée de cet engagement, j’ai préparé un dossier de candidature au subside Doc.CH du FNS, qui finance des doctorantes et des doctorants jugés prometteurs dans le domaine des sciences humaines et sociales pendant une durée de deux à quatre ans, instrument d’encouragement malheureusement appelé à disparaître.

L’enjeu était important, car je pouvais recevoir un financement de quatre ans pour l’accomplissement d’un travail de thèse. Or l’acquisition du titre de doctorat est une étape indispensable dans une carrière académique.

Pour l’obtention de ce subside, j’ai dû préparer un important dossier de candidature. C’est un gros travail préparatoire qui aboutit à un projet de recherche déjà bien défini. Le processus m’a bien fait gagner une année de thèse par la suite, en anticipant sur la définition du projet de thèse. Il se déroule en deux phases: il y a d’abord la constitution du dossier avec un plan, l’exposition de la problématique, le développement d’une première réflexion et une bibliographie fournie; puis le deuxième tour prend la forme d’un entretien à Berne.

La collaboration au niveau international est très valorisée. Il faut envisager d’effectuer un séjour d’au moins six mois auprès d’une institution étrangère si l’on a fait tout son parcours d’études au même endroit. Dans la recherche, il est capital de se tenir au courant de ce qui se fait ailleurs et de tisser des liens avec d’autres chercheurs.

Le subside m’a été accordé. Il a été complété par 15 % d’enseignement à l’UNIL qui m’ont permis d’acquérir également une expérience pédagogique. J’ai été intégrée à la section de français pour l’encadrement de travaux pratiques en histoire littéraire de niveau propédeutique.

Lors d’une mobilité de six mois à Paris, j’ai été également rattachée au Centre de recherche sur les poétiques du XIX^e siècle à Sorbonne Nouvelle-Paris III. J’ai participé au séminaire des jeunes chercheurs du Centre ainsi qu’à plusieurs colloques qui y ont été organisés. Le cadre était bienveillant et très accueillant: il y avait de nombreuses occasions d’échanges dans le cadre d’ateliers ou de laboratoires. J’ai fait en sorte de ne pas mener mon travail de thèse en solitaire: je me suis toujours entourée d’autres doctorant·e·s. Il est nécessaire de briser la solitude qui accompagne le travail de doctorat en se constituant un réseau d’ami·e·s chercheurs et chercheuses, avec qui échanger ses enthousiasmes, mais aussi ses doutes et ses difficultés.

J’ai soutenu ma thèse, intitulée “L’odorat a ses monstres”. Olfaction et perversion dans la littérature fin-de-siècle (1880-1905), sous la direction de Marta Caraion et d’Hugues Marchal (Université de Bâle), le dernier jour de mon contrat Doc.Ch! J’ai fait en sorte ensuite d’obtenir en France la qualification du CNU (Conseil National des Universités) pour être en droit de postuler à la fonction de Maîtresse de conférence dans les universités françaises. Mais j’ai eu la chance d’être engagée comme chercheuse FNS Senior pour un post-doctorat au sein du projet “Littérature et culture matérielle” dirigé par Marta Caraion à l’UNIL. Je bénéficie ainsi d’une nouvelle durée de quatre ans pour étoffer mon dossier de publications en plus de la parution prochaine de ma thèse sous forme de livre.

Cependant je suis loin encore d’avoir atteint un poste stable. Le parcours d’un chercheur ou d’une chercheuse se caractérise longtemps par une forme de précarité, par une incertitude par rapport à l’avenir. Plus on avance, plus les occasions de financer son activité par des bourses ou des subsides deviennent concurrentielles, sans compter qu’elles n’offrent qu’une stabilité temporaire. La plupart des chercheuses et chercheurs aspirent donc à obtenir, à terme, un poste de titulaire dans une université. Pour cela, il faut cultiver son réseau, notamment par la participation à des colloques, qui sont des moments sociaux cruciaux dans la vie académique, car on y fait des rencontres importantes et on y récolte des informations susceptibles d’ouvrir des perspectives pour le futur. Il est aussi important d’enrichir sa liste de publications, car on démontre ainsi sa capacité d’innover et de s’imposer comme spécialiste de son champ d’études; il faut saluer toutefois le fait qu’un infléchissement récent, mais encore fragile, vise à faire primer la qualité sur la quantité. Enfin il est évidemment indispensable de se porter candidat·e aux postes qui sont mis au concours dans les universités. Même si l’on n’est pas retenu, le fait d’arriver en deuxième ou en troisième position est un bon point pour son CV.

Enfin, et tout en conservant une ambition académique, il est toujours bon de veiller à explorer d’autres options pour son avenir, notamment en cultivant une approche interdisciplinaire de son objet d’études et en nourrissant des contacts avec toutes sortes d’institutions culturelles. On a tout à gagner à étendre son réseau au-delà des limites de sa spécialité, voire au-delà du monde académique. Il s’agit d’assurer un équilibre entre un degré élevé d’expertise et une capacité d’ouverture large à divers domaines culturels.

Le fait d’être amené à travailler régulièrement de façon autonome est la grande force des études de lettres. Se montrer capable de chercher soi-même les informations, d’identifier les bonnes ressources sur lesquelles s’appuyer, de mener à bien un projet en acquérant rapidement des connaissances au fil de ses lectures: ce sont là des compétences précieuses qui se révéleront utiles bien au-delà du cursus BA-MA.

En tant qu’étudiant·e en lettres, on apprend aussi rapidement à s’intéresser à son objet d’étude indépendamment du lien affectif que l’on peut entretenir avec lui. Le plaisir de la découverte et l’enthousiasme demeurent, mais l’enjeu est de nourrir un questionnement qui dépasse le simple rapport de sa subjectivité au texte pour trouver ce qui n’est pas seulement valide pour soi et, par conséquent, rendre ses hypothèses de lecture partageables. Dans le domaine académique, il faut respecter le critère de la reproductibilité: les interprétations doivent s’appuyer sur des preuves tangibles.

Mes études m’ont ainsi fourni l’occasion d’aiguiser mes capacités de recherche: elles m’ont permis d’apprendre à repérer des lignes de force, des structures et des axes pour une analyse plus approfondie. Petit à petit, on se forme à la construction de problématiques, à l’élaboration d’interprétations qui naissent de la création de réseaux de sens non seulement à l’intérieur d’un texte considéré en lui-même, mais aussi entre des textes mise en relation au sein d’un corpus. C’est aussi ce que j’essaie de transmettre à mes étudiant·e·s et mémorant·e·s aujourd’hui.

J’ai aussi eu la chance d’appartenir à des volées plutôt sympathiques et solidaires. On se passait facilement les notes de cours, les notions difficiles faisaient l’objet d’explications mutuelles, on se préparait parfois ensemble pour les examens; les camarades d’études constituent un réseau d’aide et de soutien de premier recours. On cultive ainsi la débrouillardise et l’indépendance par rapport au corps enseignant.

Le caractère “gratuit” des études de lettres m’a aussi beaucoup plu: on choisit généralement ce type d’études par envie, parce qu’elles ne sont pas directement professionnalisantes. Sans un intérêt minimum, il est dur de les mener à bien; on ne peut pas les envisager sous un angle purement utilitaire. L’envie de connaître est une qualité indispensable au chercheur ou à la chercheuse, quel que soit le domaine.

Il est préférable de se lancer dans un travail de doctorat par passion. Il y a si peu de garanties pour l’avenir qu’il faut aimer ce qu’on fait. Réaliser une thèse par pur calcul, dans l’espoir d’obtenir une bonne place à l’université, n’est pas la bonne approche: les postes sont rares, et la concurrence rude. La passion est aussi indispensable pour tenir dans la durée, car une thèse est un travail de longue haleine qu’on accomplit en solitaire.

Il faut considérer la perspective d’une thèse déjà au niveau du Master. Il n’y a pas de mal à faire savoir à ses enseignant·e·s qu’on est intéressé à poursuivre en doctorat. L’enjeu est de se tenir informé des postes d’assistant·e qui seront mis au concours, car c’est la principale source de financement pour un doctorat. Le travail de mémoire peut s’envisager comme une étape préparatoire, même si une thèse ne saurait être un simple “élargissement” de cette première recherche.

Le choix d’un directeur ou d’une directrice de thèse est important. Même si les besoins de chacun en matière de suivi sont évidemment différents, bénéficier de l’encadrement d’une personne impliquée et bienveillante et avec qui on collabore bien est évidemment un avantage majeur. Les collègues qu’on sera amené à fréquenter sont évidemment aussi un paramètre important: il est toujours plus facile de progresser dans son travail dans une atmosphère de saine émulation. Cela dit, et même si on peut évidemment s’inspirer des autres, il vaut mieux éviter le piège de la comparaison. Chacun a sa manière de travailler. On a donc avantage à connaître sa manière de fonctionner, à trouver un système qui correspond à sa nature et auquel on pourra se tenir.

Posséder le sens de l’autonomie est une qualité indispensable pour l’accomplissement de son doctorat. Il faut être capable de s’organiser, de mettre en place en calendrier, de gérer un projet sur une longue durée, parce qu’on se retrouve seul à en assurer le développement. Mais il ne s’agit pas pour autant de s’isoler comme un ermite. Il faut participer à la vie sociale et académique de sa section ou de son département, assister à des conférences ou à des colloques, s’engager pour son institution. On a accès ainsi à un soutien élargi en cas de coup dur. Il ne faut jamais hésiter à tirer la sonnette d’alarme quand ça ne va pas.

Je dirais enfin qu’il est indispensable de nourrir sa curiosité en s’aventurant au-delà de son domaine d’expertise. Il faut aller voir ce qui se fait ailleurs, explorer des territoires peu familiers. Au contact de réalités insoupçonnées, de nouvelles idées peuvent naître pour ses propres recherches. On cultive ainsi les occasions de “sérendipité”, autrement dit l’art de faire des découvertes inattendues.