Dr. Cheseaux et l'histoire du CAN-TEAM

Retour sur une carrière au service de la protection des enfants

JJCheseaux2.jpegÀ l'heure de passer le relais de la direction du CAN-TEAM au Dr. Sarah Depallens, le Dr. Cheseaux revient sur l'histoire de la création de cette équipe unique au service de la protection des enfants dans le canton de Vaud. 

Quelle est l'hsitoire du CAN-TEAM ?

De l’importance des chiffres

Concernant l’historique du CAN-TEAM (« Child Abuse Neglect Team »), il faut réaliser qu’avant, c’est-à-dire en 1994, il y a 27 ans donc, on commençait à parler de maltraitance et de la détection de maltraitance dans les hôpitaux  : on a alors interrogé notre système informatique qui nous a montré qu’entre 1980 et 1990, il y avait entre 1 et 10 cas par année qui portaient le diagnostic de mauvais traitement. Bien sûr qu’on était en dessous de tout ce qu’on lisait dans la littérature médicale par rapport au pourcentage d’enfants maltraités, puis on a décidé, à ce moment-là, de mettre en place un CAN-TEAM qui était une équipe, pas de spécialistes, mais des personnes qui étaient sensibilisées à cette problématique et qui avaient une mission de détection des mauvais traitements et de prise en charge des enfants qui étaient victimes de mauvais traitements.

 

Un volet « prise en charge » : se spécialiser en tant que professionnel pour détecter et agir

Logiquement, si on veut éviter que la maltraitance survienne, il faut identifier les facteurs de la maltraitance et agir sur ces facteurs avant qu’ils ne se réalisent. Il y a eu d’emblée ces deux volets -dépistage du risque et détection des situations de mauvais traitements avérés- où dans les secteurs cliniques, hospitalisation polyclinique, urgences, spécialités, on a petit à petit sensibilisé tous nos collègues à cette problématique. Souvent la maltraitance était pressentie, sous-entendue mais on ne posait jamais les bonnes questions. Pourquoi ? Parce qu’il n’y avait pas les bons outils ; quand on pose une question par rapport à la maltraitance et qu’il n’y a personne autour de nous qui peut nous aider – pour finir on ne pose plus la question parce qu’on ne sait qu’en faire. Et puis parler de maltraitance, détecter des cas et qu’il ne se passe rien, cela empire peut-être encore la situation des enfants victimes !

 

Un volet « prévention » : un travail en équipe pluridisciplinaire

Et puis, il y a eu le volet prévention qui s’est plus mis en place en néonatalogie et en maternité ; durant la grossesse il y a cette période de transparence psychique où l’accès au vécu des mamans en particulier est favorable. On a mis en place une équipe avec des sages-femmes conseillères, des assistantes sociales qui pouvaient s’entretenir avec les futures mères ; et puis, elles pouvaient partager, dans un colloque pluridisciplinaire, les éléments justement qui étaient peut-être précurseurs ou identifiés comme facteurs de risques par rapport à la survenue d’une maltraitance.

 

On a commencé à deux personnes en 1994, puis petit à petit, l’équipe s’est étoffée, en particulier depuis 2014 lorsque la Direction Générale de la Santé (à l’époque, il s’agissait de la Santé Publique) a reconnu cette mission comme une tâche de santé publique et elle nous a octroyé un budget nous permettant d’augmenter le nombre de collaborateurs à environ 6 ETP (équivalents temps plein) répartis sur une douzaine de personnes ! De fait, c’est tout de suite devenu une unité importante au sein de l’hôpital car les unités comme la gastroentérologie, la néphrologie, etc…, ce sont des petites unités – souvent il y 2 - 3 médecins et puis, 2 - 3 infirmières – souvent, ce ne sont même pas des infirmières dédiées à la spécialité, elles sont polyvalentes.

 

Donc, on a notre position qui s’est vue reconnue dans le cadre de l’hôpital.

 

 

Peut-on parler d’une lutte politique pour en arriver là, entre les deux personnes du départ et les douze 10 ans plus tard ? 

 

Ça a été vraiment progressif mais disons dans une pente légèrement ascendante, il y a vraiment eu un bond en 2014 avec cette reconnaissance et puis la dotation de l’équipe.

 

 

La clinique de la maltraitance, un outil spécifique

 

Et puis là, il y a beaucoup d’acteurs autour de la maltraitance ; on le voit à l’Observatoire de la maltraitance envers les enfants (OME), au comité scientifique, ce sont des gens qui viennent d’horizons très différents avec si j’ose dire du matériel très différent. C’est-à-dire qu’ils abordent la maltraitance sous des angles très variés.

 

Nous, ce qu’on détient, ici à l’hôpital, c’est la clinique de la maltraitance. C’est vraiment ce qu’il faut mettre en avant, ce qui nous donne notre place, notre légitimité, ce que nous sommes les seuls à pouvoir dire : « non, telle et telle lésions, ce n’est pas un accident, c’est quelque chose qui a été provoqué ». Donc, pour sensibiliser autour de nous, on a utilisé beaucoup cet outil clinique et on a cherché à former les professionnels avec cet outil clinique – d’abord les médecins pédiatres, les généralistes et puis les infirmières – l’infirmière de soins à domicile notamment.

 

Donc le CAN-TEAM organise des formations auprès des différents professionnels ?

 

Du CHUV aux structures externes : une expertise partagée et du matériel rendu accessible

Oui, donc au départ, c’est beaucoup de formations en interne, puis en 2014, en contre partie du budget obtenu, notre mission qui s’est élargie au canton. On a eu comme tâche supplémentaire – pas « d’aller faire du CAN-TEAM » dans tous les coins du canton si je puis dire, mais d’apporter un soutien humain, d’abord de connaissance clinique, et puis logistique dans les autres structures. Comme par exemple, si des professionnels d’un service des urgences veulent faire une résonnance magnétique parce qu’ils pensent qu’un bébé a été secoué, c’est la croix et la bannière pour obtenir un rendez-vous au CHU, donc ce service passe par le CAN-Team pour qu’il prenne le relais dans ces situations-là et organise les examens qu’il faut faire ou de temps en temps, il peut s’agir de dispenser des soins spécialisés aux enfants.

 

L’apport de la (pédo)psychiatrie : de la maladie psychique des enfants et de leur famille à la conduite d’entretien 

Et puis, une autre chose qui s’est beaucoup développée, c’est la collaboration avec les pédopsychiatres ; et par la suite, avec les psychiatres parce qu’un des facteurs de risques qui est reconnu par rapport à la maltraitance c’est la maladie psychique. Or, au CAN-Team on était complètement démuni par rapport à cette discipline qu’on ne connait pas. La collaboration avec les pédopsychiatres est importante – non seulement par rapport aux maladies psychiques mais aussi dans toutes les techniques d’entretien avec les familles – c’est clair, les familles qui ont toujours tout raté et qui sont maltraitantes, si on les aborde de façon frontale en mettant le doigt sur leurs fragilités, leurs vulnérabilités, souvent ce sont des familles qui se mettent sur les pattes arrières et qui ne vont pas s’ouvrir et qui seront un petit peu imperméables au changement enfin aux outils qu’on peut leur proposer et qui permettraient de changer la situation. Donc actuellement, dans le CAN-TEAM, on a un tout petit moins de dotation en personnel médical. Ce qu’on a beaucoup mis en avant ces derniers temps, c’est le rôle des psychologues. On a 1,8 ETP psychologue contre 1,7 ETP de médecin.

 

Les infirmières en première ligne

L’idée c’était vraiment de créer une équipe plus grande qui puisse répondre aux besoins des familles. À noter également le rôle des assistantes sociales qui ont une place très importante (1,5 ETP d’assistante sociales) et puis les infirmières qui sont en première ligne auprès des malades. Leur intégration a constitué une partie conséquente du projet. Un important travail de sensibilisation a été conduit ces dernières années auprès des infirmières sur cette problématique. Elles sont en première ligne : un enfant peut choisir une infirmière parce qu’elle est présente depuis 2 ou 3 jours, que l’enfant a un lien de confiance avec elle et qu’il va lui dire « tu ne sais pas ce que papa me fait, etc. ». Pour que la porte ne se ferme pas, il y a eu cette sensibilisation. 

 

Sensibiliser les professionnels

Si je prends l’exemple du Nord Vaudois, sur 3 ans, on a fait des cours de sensibilisation d’une journée complète avec toute notre équipe – avec les psychologues et assistants sociaux qui abordaient toutes ses formes de maltraitance (y compris la violence conjugale), et sur 3 ans, on a formé à peu près 90 % des infirmières qui travaillent en pédiatrie, à la maternité, dans les hôpitaux d’Yverdon et Payerne. Maintenant, on fait la même chose avec l’Ouest. Et puis au Centre, c’est quelque chose qui s’est mis en place bien auparavant, mais maintenant il y a de nouveau des cours plus intensifs pour former le maximum de personnes. Donc, tout ça pour vous dire, qu’outre la clinique, la formation c’est vraiment le 2ème élément clé, disons de la mission du CAN-TEAM.

 

Un volet « recherche » : créer des outils au service de la clinique

Enfin, le troisième volet concerne la recherche, mais c’est vraiment marginal parce qu’on n’a pas une dotation qui permette de faire de la recherche. Mais, à notre niveau, on encadre pas mal de travail de master. Il y a par exemple une étude qui sort ou un outil que nous mettons au poing pour la détection de la violence familiale, enfin, des choses comme ça.

 

L’exemple de la violence intrafamiliale

Par exemple, actuellement, on travaille sur une sorte d’algorithme, essentiellement sous forme de questions successives par rapport à la violence intrafamiliale. On s’est donné une année pour tester cet outil ici - qui pourra éventuellement être diffusé ailleurs. 

 

Les cas d’exposition des enfants à la violence conjugale

Un autre outil, toujours par rapport à la violence intrafamiliale, traite des enfants exposés à la violence familiale de parents. On voit beaucoup de parents, c’est la moitié de notre effectif, mais ces enfants, on ne les voit pas ou très peu d’entre eux. Donc là, il va y avoir une recherche, financée par la DGEJ et qui en ce début d’année, dans laquelle on va essayer de voir le maximum d’enfants exposés à cette violence avec l’objectif, premièrement, d’évaluer leurs situations et les répercussions que cette violence a sur leur développement et deuxièmement, de les orienter vers les services et soins adéquats. C’est vraiment une appréciation de l’orientation vers des structures. Alors, les enfants qui vont relativement bien, ils seront orientés chez le pédiatre, et puis ceux qui montrent vraiment des signes de l’altération de leur développement, des comportements, ils seront orientés vers le SUPEA.

 

Et à quel niveau ces enfants sont-ils identifiés ?

 

La plupart sont identifiés au niveau de l’Unité de médecine des violences (Unité de médecine des violences, UMV). C’est-à-dire, un des parents consulte, raconte des actes de violence subie. Une des premières questions que les infirmières de l’UMV pose c’est : Est-ce que vous avez des enfants ? Et, lorsque la réponse est oui, elles sont averties : on dit que les enfants sont souvent impactés par cette violence et qu’ils doivent être évalués. Les infirmières expliquent qu’elles vont en parler au CAN-TEAM. On craignait que cette information, donnée rapidement lors de consultations comme entrée en matière dans ses consultations, pousse les victimes à peu dévoiler ce qu’elles vivent, ou carrément quitter la consultation. Mais en fait, il y en a très peu de refus, ils se comptent sur les doigts d’une main les cas des mamans qui vont dire « oh non, si vous mettez mes enfants là-dedans, je préfère m’en aller », c’est très rare. Lorsqu’elles viennent dans ces consultations, il y a une motivation à ce que les choses changent et la plupart des victimes acceptent qu’on parle des enfants. Ensuite, le CAN-Team rencontre les infirmières ou médecins de l’UMV - qui fait un constat médico-légal – et puis on rencontre ces familles après et on cherche à mettre en place un soutien, une aide - souvent c’est par la pédopsychiatrie justement pour qu’il y a quelque chose qui change dans le dysfonctionnement familial. Et, dans les situations où ce soutien est refusé par les familles et que les enfants restent exposés à une forme quelconque de maltraitance, nous « passons la main », conformément à la loi sur la protection de la jeunesse du canton de Vaud : nous rédigeons un signalement à l’intention de la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) qui va pouvoir évaluer de façon approfondie les dangers que courent les enfants et mettre en place des moyens de protection.

 

Le CAN-Team, une fenêtre d’observation sur les changements sociétaux

Une convergence d'actions devant la gravité du phénomène

L’exposition des enfants à la maltraitance, à la violence entre parents, n’est que depuis peu reconnue comme une forme de maltraitance ? Est-ce que vous avez observé, au niveau de la clinique, l’élargissement de ce concept de maltraitance ? Quel constat porté vous sur ces évolutions ?

 

Je dirais qu’au début, quand on s’en est occupé, il y a une douzaine d’années, je pense qu’on collaborait avec l’UMV de cette façon-là. Mais au début, on a eu de fortes résistances des pédiatres et on entendait des trucs du style : « Il vaut mieux des parents maltraitants que pas de parents du tout. ». Enfin, là, je suis un peu à l’extrême des réactions qu’on a pu entendre mais c’est vrai que ça montre juste que ce n’était pas un phénomène qui était mesuré à sa juste valeur en termes d’impact sur l’enfant. 

 

Et maintenant ça a beaucoup changé mais, en toute humilité, je dirais que ce n’est pas tellement grâce à notre action que les choses changent mais il y a eu une prise de conscience sociétale de ce phénomène, avec le bureau de l’égalité, le ministère public, il y a des lois qui ont été votées, avec notamment le fait que la violence conjugale soit poursuivie d’office même s’il y a des retraits de plaintes toujours possibles. C’est quand même le juge ou le procureur qui va décider. Globalement, je pense que dans toute la société il y a eu des changements : dans les écoles, il y a beaucoup de travail qui a aussi été fait par rapport à la violence conjugale, qui est en train d’être fait même. Donc il y a eu une convergence d’actions qui venaient de toutes parts pour mettre en avant la gravité de ce phénomène ; ce n’est donc pas que le CAN-TEAM, on a par exemple beaucoup travaillé avec le Centre Malley Prairie (CMP). Disons qu’on a été une pierre de cet édifice, mais ce n’est pas que notre action qui a permis de révéler de façon plus, consistante ou de mettre des mots sur ce que les enfants vivaient. Il y a une conjonction de facteurs politiques, juridiques, entre autres.

Mais je pense qu’à l’heure actuelle, c’est quelque chose qui n’est peut-être pas encore assez pris en considération, même si cela a quand même beaucoup changé par rapport à 10 ans en arrière.

 

Donc ça bouge dans le bon sens !? !

Justement sur la mise en mots, je pense à cela car c’était la journée des droits de l’enfant samedi passé et on entend, de plus en plus, au niveau de la DGEJ notamment, ce souci d’écouter les enfants. Cette prise en compte de la parole de l’enfant, c’est aussi quelque chose que vous avez soit vécu/porté ou que vous avez aussi vu évolué par la pratique du CAN-TEAM ?

 

 

Alors, je dirais que l’apport des pédopsychiatres est vraiment important dans ce sens-là. À deux niveaux - j’enfonce, peut-être les portes ouvertes mais il y a quand même deux missions qui sont assez différentes. La première, c’est d’entendre l’enfant, soigner l’enfant et la deuxième, c’est de traiter le lien parents/enfant. Ce deuxième point rejoint ce dont je parlais précédemment avec l’exemple des maladies psychiatriques : le travail que nous faisons à la maternité, quand on est dans le domaine périnatal, donc avant tout dans le lien parents/enfant, on travaille très étroitement avec les pédopsychiatres. Le CAN-Team travaille d’ailleurs aussi avec la psychiatrie adulte de liaison pour mieux comprendre la maladie mentale, sa dangerosité, ses côtés imprévisibles. Et, et puis quand on est face à un enfant plus grand, d’âge préscolaire, scolaire, là, c’est davantage l’aspect « entendre l’enfant » qui est au premier plan. Les pédopsychiatres sont plus là pour cela, entendre l’enfant.

 

Donc, la réponse est clairement OUI ! 

 

L’idée de cette étude pilote avec la DGEJ, c’est vraiment de donner la parole aux enfants, de pouvoir les entendre. Parce que quand on entend, même quand je disais tout à l’heure ces mères victimes, car ce sont souvent des mères, elles sont sensibilisées à la problématique quand elles vont consulter, elles sont motivées pour que les choses changent, elles savent que ce n’est pas bien pour les enfants. Mais, il y aura toujours cet aspect de minimiser les effets sur les enfants parce que c’est un petit peu trop confrontant, un peu horrible pour les parents de dire « Je fais du mal à mon enfant ou on fait du mal à notre enfant ».

 

Donc, il y a toujours un filtre, disons même très important, par rapport à la réalité de ce que vit l’enfant.

Paroles des victimes et matérialité des preuves : la nécessaire coordination entre la DGEJ et le CAN-Team

La libération de la parole de l’enfant

Il y a quelques critiques qui peuvent être faites sur les travers de la libération de la parole – sur le fait que l’enfant doit ensuite prendre la responsabilité d’avoir parlé. On peut voir des collaborations entre, par exemple, l’UMV et CAN-TEAM, pour un type de dispositif qui permet de ne pas faire porter cette responsabilité.

 

Alors je pense à un point très important : c’est que la parole de l’enfant ou la libération de la parole de l’enfant soit validée par, en tous cas, un des parents. C’est tout à fait juste qu’un enfant, tout à coup, va se sentir responsable du tort qu’il fait à son père, à sa mère, par les actions juridiques qui vont s’en suivre, les contraintes, etc. Sur le plan médical, c’est vrai qu’il y a quand même un certain nombre de contraintes dans le sens où nous, quand on détecte la maltraitance, il y a toujours des a priori, il faut que ça cesse et on est là pour soutenir les parents, mais on est là aussi pour que les parents amènent des outils aux changements. Ce n’est pas à nous de dire aux parents ce qu’il faut faire. Notre rôle est de les aider à faire ce qu’ils pensent bien pour leur(s) enfant(s).

 

Maintenant il y a des situations exceptionnelles : par exemple, une mère qui vient témoigner de la violence qu’elle subit mais où son mari n’est pas au courant, donc là, ça devient problématique de mettre l’enfant dans un secret : comment psychiquement un enfant peut contenir, garder pour lui un secret, sachant que son père est maltraitant mais qu’on ne peut pas en parler parce qu’il n’est pas au courant et que s’il est au courant, il peut devenir plus violent.

 

On rajoute un secret à celui déjà vécu finalement

 

Absolument et c’est là que la DGEJ est importante parce que c’est à ce moment-là, à travers un signalement, la DGEJ pourra mettre en place des garde-fous pour que l’enfant reste dans un cadre protégé par rapport à ce qu’il va peut-être en dire. Tout en sachant que l’intervention ne permet pas de tout régler, de tout garantir...

 

Oui comme il y a toujours la vie à domicile qui continue sauf en cas de placement.

 

De la violence scolaire à la violence conjugale, en passant par la violence communautaire, à chaque espace, correspond des savoir-faire.

 

Le CAN-TEAM est responsable de la rédaction de constats de coups et blessures chez l'enfant qui est victime d’une agression et est amené en consultation à l’hôpital pédiatrique. On va établir, comme à l’UMV, un constat médico-légal et il y a plusieurs situations différentes.

À l’école

L’enfant qui est victime dans le cadre de l’école, et où les parents ne sont pas en cause comme auteurs de mauvais traitements. Mais les parents peuvent devenir partie prenante dans le sens où, quelquefois, ils ne vont rien oser faire, ils ne vont pas oser faire des démarches de peur de représailles, etc. Donc, quelque part, ils peuvent laisser cette situation de maltraitance, d’agressions, de violence se perpétuer. L’école étant donc aussi impliquée, on a un protocole de collaboration avec l’école qui fait que chaque enfant qui consulte pour de la violence qui est survenue dans le cadre scolaire ou sur le chemin de l’école, on élargit un petit peu la notion de cadre scolaire. Il y aura une transmission de l’information à la personne de référence qui gère toutes ses situations et son rôle sera d’aller vers les infirmières scolaires, afin de savoir si elles ont connaissance de la problématique. Si elles n’en ont pas connaissance, cela doit remonter à la hiérarchie (de l’enseignement), et si elles sont au courant, il s’agit de voir ce qui a été fait et si ce qui a été fait est suffisant pour mettre un terme à cette violence.

La violence communautaire

Et puis il y a la violence communautaire, ça c’est peut-être le côté le plus simple à gérer. C’est l’exemple de l’enfant qui est victime dans la rue d’une agression et où les parents sont protecteurs : ils vont l’entourer, le soutenir, faire les démarches nécessaires, que ce soit sur le plan somatique, psychologique ou encore juridique. L’enfant est adéquatement protégé.

La violence intrafamiliale

Et puis il y a les constats de coups qui découlent d’une violence intrafamiliale dont j’ai déjà parlé. Comme je le disais tout à l’heure, la violence intrafamiliale est surtout détectée à l’unité de médecine de violence (UMV) - même si une part de cette forme de maltraitance est détectée à l’Hôpital de l’Enfance. Dans ces constats de coups et blessures qu’on fait, ou dans les cas où l’enfant est amené par exemple par l’infirmière scolaire pour un constat de coups et blessures, cet enfant est dans une situation très embarrassante. Il y aura peut-être un des membres de la famille qui pourra le soutenir, attester qu’il est victime de la violence au sein de la famille ; mais par la consultation, par sa présence à l’hôpital, l’enfant met en cause l’auteur des violences. Alors, qu’est-ce qu’on fait après un constat de coups ? Est-ce que l’enfant rentre à domicile ? On convoque les parents, on discute avec eux ? L’enfant rentre-t-il à domicile ou, au contraire, doit-on l’hospitaliser et faire un signalement le temps qu’une protection soit mise en place ? C’est du cas par cas, c’est de l’appréciation personnelle.

 

Autant la violence communautaire c’est simple, autant la violence détectée de cette façon-là (constats de coups et blessures impliquant un parent), la violence intrafamiliale c’est compliqué. Souvent, on ne peut pas être certain que l’enfant est vraiment protégé.

Une multitude de spécialistes au service d'une équipe pluridisciplinaire

Mettre en œuvre la pluridisciplinarité

Et là, c’est l’importance d’avoir des spécialistes au sein des infrastructures, tel le CAN-TEAM qui peut mobiliser ou qui peut être mobilisé.

 

Tout à fait, et le bilan de la plupart du temps. Nous, au CAN-Team, ce qui manque assez, ce sont les éducateurs. On sort du sujet mais par exemple, les enfants qui font des crises clastiques, ce ne sont pas des malades psychiques – ce sont le plus souvent des enfants qui manquent de cadre éducatif et nous, on sent ce manque de ne pas avoir d’éducateurs à l’hôpital qui puissent apporter des compétences spécifiques dans la prise en charge ces enfants.

 

Dans le cadre du mandat du CAN-TEAM, je dirais que nous, on fait notre boulot jusqu’au bout. Mais, par rapport à cet exemple précis d’un trouble du comportement, on n’a pas toujours les moyens d’aller jusqu’au bout. C’est pour ça que l’hospitalisation devient quelquefois une (mauvaise) solution : il faut prendre conscience qu’il y a des moments où, dans un service général comme l’Hôpital de l’Enfance, il y a 30 % d’enfants qui n’y sont pas pour des malades somatiques, mais qui sont justement hospitalisés pour des troubles du comportement ou des problèmes purement éducatifs. Et donc, il y a une réflexion autour, je ne sais pas si un jour proche, il y aura un éducateur qui pourrait nous aider dans ce domaine car, à l’heure actuelle, on ne répond pas adéquatement aux besoins de ces enfants

 

D’accord, c’est un constat et c’est intéressant de pointer que pour faire le travail jusqu’au bout, comme vous dites, il y aurait besoin encore de moyens supplémentaires.

 

Des compétences spécifiques que ni les infirmiers, ni les médecins ont, à l’heure actuelle en tous les cas.

 

Dans la maltraitance, il y a cette valorisation peut-être plus qu’ailleurs de la pluri ou multidisciplinarité.

 

Oui alors ça je dirais, c’est un maître mot – la pluridisciplinarité. D’abord un, ne jamais travailler seul car c’est sûr que dès qu’on est confronté à une situation de maltraitance il y a un risque émotionnel qui peut faire prendre des mauvaises décisions. L’émotion est toujours présente quand un enfant est gravement maltraité, mais le problème c’est que cette émotion-là ne doit pas devenir le moteur de l’action parce que sinon, on va dans le mur, on ne prend pas les bonnes décisions. Donc, c’est pour éviter justement ces œillères, ou disons l’incapacité de pouvoir ouvrir notre champ de vision, qu’évaluer plusieurs solutions possibles par rapport à la situation est vital. La réponse est justement la pluridisciplinarité.

 

C’est facile de mettre en place la pluridisciplinarité !?

 

Oui. Enfin, chez nous, oui. Disons dans le CAN-TEAM, il y a une hiérarchie structurelle disons. C’est clair qu’il y a un médecin responsable, il y a un chef de clinique, il y a un médecin agréé – enfin il y a une histoire un peu pyramidale sur le plan purement structurel - mais sur le plan fonctionnel ce n’est pas du tout le cas. Cela veut dire qu’un psychologue, il aura la même fonction, la même mission qu’un médecin ou un assistant social. Il n’y a pas de concurrence entre les professions et ça a été d’emblée le cas ; et je pense que tous les collègues sont à l’aise dans leurs missions. Alors bien sûr, tout d’un coup, lorsqu’il y a besoin d’une compétence médicale, comme on disait tout à l’heure, ce n’est pas l’assistant social qui va déterminer quel examen faire par exemple.

 

Chacun garde, dans la pluridisciplinarité, ses compétences spécifiques. Mais le travail en commun c’est quelque chose qui est réalisé de façon je dirai très consensuelle, il n’y a pas du tout de rivalité. C’est un peu fort comme mot ; mais il n’y a pas de compétition disons entre les membres de l’équipe.

 

Comment cette articulation se fait-elle ? au nom de l’intérêt de l’enfant ? Mais on sait que ce concept est finalement très peu pragmatique quand on en vient au quotidien et à la détection de la maltraitance. Qu’est-ce qui est le socle ? Comment à partir de ces compétences diverses le travail est articulé pour réussir à améliorer la détection ?

 

Alors, juste pour rajouter un point par rapport à la pluridisciplinarité et à l’absence de compétition, et au contraire, la mise en commun des compétences, je souligne qu’on travaille souvent en binôme. Donc, je dirais, au début de la semaine, quand on a un certain nombre de situations, il y a un partage des situations et une évaluation des besoins pour chaque situation. Pour l’une, ce sera plutôt le psychologue qui la prendra en charge, qui sera « référente de la situation » mais, si c’est une situation complexe, ce sera la psychologue, plus l’assistante sociale ou la psychologue et le médecin.  L’assistante sociale a un rôle important lorsqu’il y a des difficultés liées aux migrations, -enfin, c’est dangereux de dire lié aux migrations mais disons où le phénomène de la migration est un élément du dysfonctionnement de la famille. L’assistante sociale sera donc en première ligne avec un psychologue ou un médecin, etc. Au début, on prenait beaucoup en charge individuellement les situations mais je pense que maintenant le pourcentage de prises en charge en binôme est plus de la moitié. Ça a basculé car les situations sont devenues aussi de plus en plus complexes.

 

C’est un changement de culture professionnel ? 

 

C’est un changement de culture professionnelle qui a un coût. Car là, on arrive au bout de nos ressources. On a fait des demandes de réallocations parce qu’on multiplie le nombre de cas par personne en travaillant en binôme et on arrive au bout des possibilités de l’équipe.

 

 

Si le contexte politique semble plutôt favorable depuis plusieurs années, si on va dans le bon sens, il y a cependant une marge pour le mieux.

L’indispensable soutien politique

C’est vrai que pour faire la comparaison avec d’autres cantons, en particulier avec le Valais où j’ai travaillé en milieu hospitalier 11 ans comme médecin chef et où j’ai mis aussi en place un CAN-TEAM, les moyens qui sont mis à disposition par les politiques, c’est le jour et la nuit. On a de la chance d’avoir un gouvernement qui a un côté plutôt social avec une sensibilité par rapport à ces phénomènes de maltraitance. Il mise beaucoup sur le bénéfice de la prévention et de la prise en charge et pas sur le coût du personnel. Enfin voilà, il y a des limites bien sûr mais nous sommes très gâtés par rapport aux autres cantons Romands, nous sommes très privilégiés.

 

 

Au niveau de la santé publique, c’était Monsieur Maillard, et ensuite Madame Ruiz qui est dans la même ligne, et puis du côté de Madame Amarelle – je pense qu’on a une très bonne collaboration avec la DEGJ. Très tôt, dès le début du Can-Team, on a discuté pendant des années d’inviter quelqu’un de la DGEJ à nos colloques mais en disant qu’on n’aurait plus notre liberté de décider, qu’on aurait des contraintes. Mais on a finalement franchi le pas un jour, d’abord dans le domaine de la prévention à la maternité, puis à l’hôpital de l’Enfance dans les cas de maltraitance avérée  : il s’est finalement avéré que c’est une jolie collaboration où chacun apporte justement des compétences sans imposer ses façons de faire.

Reconnaître les compétences et les limites de chacun

Est-ce que c’est nécessaire cette collaboration ? Enfin, en quoi est-ce nécessaire de collaborer au-delà des moyens ?

 

 

Déjà, on ne se connait pas, on parle des langages complétement différents, on a des formations différentes. On a des objectifs communs, c’est à dire la sécurité de l’enfant ou le bien de l’enfant dans son développement. Mais on n’a pas du tout les mêmes outils et les mêmes bases de réflexion pour y parvenir. Donc c’est vrai que le fait de se connaître est nécessaire : quand on se connait, on peut discuter dans les colloques. Par exemple, le Can-Team dit : « il faut faire un signalement parce que la DGEJ va faire telle et telle chose » et puis l’assistant(e) social(e) de la DGEJ nous dit : « Non mais attention, ça ne se passe pas comme ça. Nous on ne peut pas faire comme ça, on a des contraintes. Il y a la loi, il y a des procédures, etc. ».

 

Et puis, de l’autre côté, la même chose. Les assistants sociaux de la DGEJ nous envoient un enfant en disant : « les médecins vont nous dire s’il est maltraité, et puis ils évalueront le degré de gravité ». Mais non, ça ne se passe pas comme ça. On ne peut pas faire un scanner et dire : « Eh bien voilà, le résultat prouve que c’est un mauvais traitement» … il y a plein de choses qui ne se voient pas, à commencer par la maltraitance psychologique !

 

Donc on apprend justement des limites de chacun, des limites de chaque profession. Et après, il y a le réseau inter personnel qui se crée de cette façon. C’est quand même plus facile de prendre son téléphone et de s'entretenir avec l’assistant social ou le psychologue qu’on connait parce qu’il participe à nos colloques plutôt qu’à l’assistant social lambda dont on ne sait pas qui il est, on ne sait pas quelle formation ou quelle sensibilité il a.

Les tripartites, un outil central

À la suite d’un signalement, la DGEJ convoque le signalant avec les parents. On appelle ça des réunions tripartites, on trouve ça assez génial. Parce que, plutôt que de faire un signalement et puis que la DGEJ décortique le signalement et convoque la famille en disant : « Les médecins ont dit que … » et que la famille réponde «  Mais non, ils n’ont rien compris, ce n’est pas comme ça que ça se passe chez nous », et bien durant ces réunions, les trois parties est les trois (signalant, les parents et l’assistante social de la DGEJ) sont présent ; le signalant reprend le contenu de son signalement et explique pourquoi il a écrit telle ou telle chose …en fonctionnant ainsi tout le monde entend la même chose, au même moment.

 

 

Mais c’est vrai que cette collaboration transparente, encore une fois le fait de pouvoir se connaître et de parler ensemble – permet d’éviter des malentendus.

 

C’est intéressant parce que si on fait des liens avec la littérature, il y a quand même une valorisation de l’expertise médicale avec l’idée que le médecin pourrait justement dire s’il y a maltraitance ou non. Mais, en plus de la pression que cela met sur vos épaules, vous dites que ce n’est pas aussi simple « On fait un scanner et on voit ce qu’il en est ». Mais lorsqu’on parle de pluridisciplinarité, la médecine est systématiquement citée comme « Oui, il y a une lecture de la maltraitance qui est différente et qui est valide et légitime et qu’il faut aller chercher ». Donc ça contre balance avec ce que vous dites.

 

 

Ces limites des pratiques professionnelles, ce n’est pas seulement avec la DGEJ. Nous, on peut avoir un bébé qui a été secoué. On est sûr qu’il a été secoué, il montre des lésions typiques d’un secouement et on a éliminé toutes les maladies où les malformations qui auraient pu constituer un diagnostic différentiel, ce qui nous conduit à faire une dénonciation pénale. Et, on finit par se trouver face à un procureur qui nous dit : « Je suis vraiment embêté parce que je ne conteste pas que l’enfant ait été maltraité mais je suis obligé de clore, je suis obligé de classer le dossier car je ne sais pas qui l’a maltraité : le papa dit : « Ce n’est pas moi » - la maman dit : « Ce n’est pas moi » donc on ne peut pas accuser, condamner quelqu’un envers qui on n’a pas la preuve d’une maltraitance. Donc, il peut y avoir une reconnaissance des faits après une expertise médicale mais pas de condamnation. En fait, nous on s’en fiche qu’un parent maltraitant subisse des sanctions pénales ou non, ce n’est pas de notre compétence. Ce n’est pas notre souci ça. Ce qui nous inquiète nous, c’est que le statut de victime de l’enfant ne soit pas reconnu. C’est quand même assez grave qu’un enfant soit gravement maltraité et puis qu’on ne puisse jamais lui dire avec certitude, « oui, c’est vrai, tu as un handicap parce que tu as été battu ». Il y a un problème assécurologique aussi : un enfant maltraité, c’est un enfant qui a subi un traumatisme, avec des séquelles qui peuvent nécessiter des soins prolongés, une réadaptation ou encore une incapacité de travailler, des mesures AI, etc. : qui va payer tout cela si la cause du handicap n’est pas reconnue ?

 

Il y a beaucoup de réticence ? Vous parliez des différents professionnels qui ont été progressivement inclus, des différences de sensibilité par rapport à la lutte contre la maltraitance envers les enfants ?

 

 

C’est vrai que c’est compliqué. Alors le ménage, je pense qu’il faut d’abord le faire chez nous parce qu’il y a des médecins qui sont incapables d’accepter cette réalité qu’est la maltraitance. Et on a divers exemples : des lésions chez des bébés secoués qu’on attribue à une convulsion ou à des vaccins, des fractures non-expliquées qu’on dit être dues à une hyper-laxité ligamentaire, des bleus qu’on explique par une peau « qui marque » trop facilement, … il y a effectivement des médecins qui ont une cécité complète sur l’existence des mauvais traitements et qui et qui écrivent des choses improbables pour justifier tel ou tel symptôme et qui éludent le fait que ces symptômes peuvent être en lien avec la maltraitance. Et puis, pour compliquer le tout, on peut avoir une maladie des os de verre ET être aussi maltraité !

Des histoires transgénérationnelles

 

Cela étant, il y a les histoires transgénérationnelles qui sont compliquées parce que certains enfants n’ont pas vécu d’autres méthodes éducatives que la violence. Je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit dans le cadre de l’OME, mais j’ai souvent raconté cette histoire ailleurs : j’avais été très touché par une mère qui venait d’accoucher à la maternité, qui tenait son bébé dans ses bras et qui se projetait un peu dans l’avenir en disant : « je sais qu’il ne faut pas frapper les bébés, mais je ne sais pas comment faire autrement (« elle sous-entendait : « Quand il désobéira, comment je vais faire ?). Et cette dame qui avait des malformations visibles dans son aspect extérieur (on sait que d’être un l’enfant « différent » est un facteur qui accroît le risque d’être maltraité) avait été vraiment maltraitée sévèrement par son père et sa mère pendant toute son enfance, c’était son unique modèle d’éducation. C’est ce à quoi elle faisait référence quand elle disait : « Je ne sais pas comment faire autrement ». Et c’est vrai que c’est un élément très fort en termes de risque de reproduction de la maltraitance.

 

Et puis, à un autre niveau, je me souviens d’un père que j’avais reçu à l’hôpital de l’enfance qui avait mis une gifle sur la figure de son enfant. Cette gifle avait fait une surpression dans le conduit auditif, c’est-à-dire qu’elle avait percé le tympan. J’avais dit à ce père que c’était grave, qu’il avait fait une lésion importante à son enfant et il se justifiait en disant : « Il faut éduquer les enfants comme ça. » C’est quelqu’un qui avait une certaine réussite sociale, une position sociale au sens libéral du terme et il avait bien réussi dans la vie disons ! Et il disait : « Mon père il m’a élevé comme ça et c’est comme ça qu’il faut éduquer les enfants. Moi je ne serais pas à la place où je suis si mon père n’avait pas été dur avec moi ». Donc il y a l’exemple, il y a l’histoire transgénérationnelle, et puis il y a cet héritage qu’on reçoit avec un facteur loyauté : « Si mon père il a fait comme ça, c’est qu’il a raison ». C’est dur pour un enfant, même à l’âge adulte, de critiquer, enfin, de dire que son père n’a pas fait juste. Donc ce facteur loyauté, il est très fort dans certaines cultures et ça, c’est vraiment un frein à la reconnaissance des effets des mauvais traitements sur le développement de l’enfant. Je pense, enfin j’espère - parce que je n’ai pas de chiffres pour mesurer ça -, mais j’espère qu’il y a quand même un changement dans la population qui est dû à l’éducation justement, à l’école, tout ce qui se passe dans les écoles, tout ce qu’on enseigne par rapport aux risques d’abus sexuels, de maltraitances, etc …

 

Je pense que de générations en générations, on progresse dans ce domaine-là ; mais voilà, les progrès, ils sont mesurables sur un laps de temps qui correspond à une génération. Donc c’est difficile à chiffrer mais je pense, ayant moi-même une génération de décalage par rapport à mon activité au CAN-TEAM, je pense effectivement qu’il y a une amélioration de la perception de ce qui est maltraitant et de ce qui ne l’est pas. On peut être optimiste je crois.

 

 

Les difficiles liens entre la recherche et la clinique, l’Université et la Cité

 

Une dernière question par rapport aux liens et à ce que l’Observatoire de la maltraitance – quel rôle pourrait ? Alors son sait qu’il a un rôle de formation, de recherche. Est-ce qu’il y a eu des liens fort entre l’OME et le CAN-TEAM ou quelle pourrait être la fonction de l’OME ?

Alors c’est vrai que c’est un problème un peu complexe qui tient peut-être à nos missions qui sont fondamentalement différentes. L’OME a été fondé à un certain moment où on voulait créer des passerelles entre l’Université et la Cité. On voulait enlever certains gaps qu’il y avait entre les « intellectuels-chercheurs » qui cherchaient dans leurs bureaux puis il y a ce qui se passe vraiment dans la population. Au début, c’était un peu râpé dans le sens où il y avait très peu de gens de terrain – peut-être que j’étais le seul. Il y avait bien sûr toutes les disciplines qui étaient représentées : le droit, la sociologie, la psychologie mais il y avait carrément peu de liens. Puis René Knüsel a quand même renversé un tout petit peu cette tendance. Il nous a demandé de collaborer en lui ouvrant la porte de nos urgences p. ex., en lui donnant accès à nos patients pour mener à bien certaines de ses études. Cela a été en particulier vrai lors d’une recherche sur la détection de la maltraitance dans le cadre des urgences.

 

Enfin, il y a eu d’autres exemples de ce type-là, mais si vous voulez René, pour prendre son exemple, Pascal Roman c’est certainement la même chose, ils ont dans leur cahier des charges une mission de recherche. Nous cliniciens, on est sur une autre échelle, c’est-à-dire qu’on est là pour soigner les enfants avant de faire des études. Donc, c’est vrai qu’au moment où on a fait ce lien entre le chercheur et le clinicien, on aurait aimé que notre rôle soit plus participatif dans ces études. Et probablement qu’on est resté un petit peu éloigné les uns des autres après avoir discuté du projet, après avoir défini le collectif, après avoir donné accès au collectif, on a l’impression qu’on n’a pas été associé à ce travail de recherche jusqu’au bout de l’analyse.

 

Donc voilà, moi si vous voulez par rapport à nos collaborations – très souvent dans le cadre des séances qu’on a eu à l’OME j’ai dit : « Mais nous on a 7OO enfants par année enfin je veux dire qu’il y a de quoi développer des projets de recherche – Venez vers nous, demandez-nous de quoi vous avez besoin, etc. et puis il n’y a peut-être pas eu une collaboration suffisante à ce niveau-là. Cependant, je dirai que dans le cadre de la formation parce que l’OME a quand même fait beaucoup pour la formation, là, je pense qu’on a une très bonne collaboration et qu’on a été sollicité à chaque fois. Et là, je suis très satisfait disons de cette collaboration.

C’est vrai que sur le plan de la recherche, j’aurais pu imaginer qu’on en fasse un petit peu plus.

 

C’est vrai que sur le plan de la recherche, le manque de moyens car l’OME n’a pas de fonds spécifiques pour effectuer des recherches – autrement que sur mandat et appel d’offre -, mais ça rejoint la question et aussi l’engagement politique. Quels moyens sont donnés quand on veut mettre ensemble l’UNI et la CITE et faire qu’il puisse y avoir des recherches qui sont produites avec une utilité sociale qui serait directement associée à vos besoins même si on n’est pas directement dans la recherche appliquée.

 

Oui mais ça s’explique – au niveau des besoins parce que c’est vrai que bien sûr, la recherche permet de comprendre certains phénomènes, de répondre aux questions qu’on se pose, etc.

Ça n’a peut-être pas une utilité directe par rapport à la population. Mais c’est vrai que moi je pense qu’en tant que soignants, on aurait pu apporter davantage. Quand on parlait de pluridisciplinarité, de compétences spécifiques, je pense qu’on aurait pu plus apporter que ce qu’on a apporté jusqu’à maintenant. Après voilà, l’avenir va peut-être changer les choses.

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