Pascale Forni et l'intérêt de l'enfant

Rencontre avec Pascale Forni, psychologue psychothérapeute.

csm_823-pascale-forni_51e35978c2.jpeg Mme Forni a travaillé à l'unité des Boréales en tant que psychologue responsable où elle occupait une fonction d'adjointe à la direction. Retraitée depuis peu, elle revient sur l'histoire de cette structure unique.

La maltraitance intra-familiale, un domaine relevant désormais de la santé publique

Les Boréales ont été créées en 2010 et sont rattachées au département de psychiatrie du CHUV. Elles sont composées de psychiatres, de psychologues et d’assistants sociaux. Le modèle de référence est l’approche systémique mais par ailleurs, on est tous tenus de suivre une formation en psycho-traumatologie. La création de cette unité résulte de la volonté politique d’inscrire le phénomène de maltraitance intra-familiale comme relevant d’une mission de santé publique.

La population concernée inclut des enfants, des adultes et des personnes du troisième âge qui ont exercé ou subi des mauvais traitements. C’est aussi une consultation qui prend en charge les victimes et les familles concernées par les abus sexuels. Les traitements individuels des auteurs d’abus sexuels sont pris en charge par le service de psychiatrie pénitentiaire du CHUV et par ESPAS.

Un modèle unique pour répondre à un vide institutionnel

En amont de la création de l’Unité des Boréales il y eu  un état des lieux afin de recenser tout ce qui existait déjà dans le canton. On a donc pris contact avec l’ensemble des institutions, afin de recenser les atouts déjà existants, de créer des synergies, et de proposer de nouvelles offres  afin d’assurer une prise en charge qui tienne en considération tous les cas de figure Donc, notre modèle visait à créer des synergies et des collaborations avec ces structures déjà existantes et combler les manquements.

Donc, une unité pour compléter et ne pas empiéter ?

Oui, exactement. Par exemple il se trouve que les auteurs d’abus sexuels nous les recevons mais ce sera pour la thérapie de famille, et uniquement s’ils ont reconnu les faits, qu’ils en assument complètement la responsabilité généralement après la peine de prison, après qu’ils aient  déjà fait un travail psychothérapeutique individuel au sein de l’unité de psychiatrie pénitentiaire. Il y a donc un ensemble de conditions spécifiques. Ou bien, par exemple, nous entrons également en matière dans les situations d’abus sexuels dans les fratries, des frères aînés sur les petits frères ou les petites sœurs. Dans ces cas, Espas fait le traitement des frères ou sœurs ayant vécu les abus, et aux Boréales nous accueillons l’agresseur pour des entretiens de famille avec les deux parents et la fratrie.

Un réseau de partenaires autour des enfants et adolescents

Donc il y a vraiment une collaboration, j’allais dire presque quotidienne, et de suivi de dossier par dossier, avec les autres entités qui travaillent également sur la question.

Oui, les demandes spontanées sont rares comme vous pouvez l’imaginer. Donc on nous réfère des situations. Les demandes proviennent de la justice, de la DGEJ, du Centre MalleyPrairie, du CanTeam et de la médecine des violences. Les médecins en libéral parfois adressent également des situations ainsi que les avocats et le centre LAVI.

Nous proposons des thérapies individuelles, de couples et de familles. Souvent les settings sont multiples, à savoir qu’on peut accueillir en entretiens individuels associés à des entretiens de familles. On offre aussi deux types de groupes : un pour les parents qui sont en conflit sévère après la séparation et un groupe de contes pour enfants. Tous ces groupes sont composés de personnes qui ont été confrontées aux mauvais traitements.

L’enfant doit être protégé pour qu’un travail psychothérapeutique puisse être initié

Notre philosophie c’est qu’il est impossible de traiter sans mesures de protection. Donc, avant de recevoir les patients, on réalise tout un travail de réseautage pour estimer, évaluer si les mesures de protection sont bien en place, notamment pour les enfants. Parce qu’on sait que si un enfant maltraité suit une thérapie, la thérapie l’aide à supporter les mauvais traitements ce qui est inacceptable. En procédant ainsi on le placerait alors dans une position absolument paradoxale. On a donc des critères bien définis pour dire si on accepte d’entrer en matière.

C’est à partir du moment où il y a cette protection que le travail thérapeutique va prendre une autre tournure, il ne sera plus seulement question de supporter mais bien de dépasser cette position paradoxale dont vous parlez ?

En ce qui concerne les enfants, on ne va pas accepter les mandats si on estime que l’enfant n’est pas suffisamment protégé. Cela nous permet de ne pas devenir complice de la maltraitance.

En revanche, si vous avez une femme adulte qui se fait régulièrement taper par son époux et qu’elle continue à retourner vers lui, et qu’il n’y a pas d’enfant, on va recevoir la femme et essayer de faire en sorte qu’elle puisse apprendre à se protéger.

Le discours est très différent si le demandeur est un adulte ou si le patient est un enfant, et là on est régi par la loi sur la protection de l’enfance.

Quand le patient est un enfant, est-ce que ça implique jusqu’à ses 18 ans, c’est le critère légal de 18 ans qui joue ou est-ce qu’en pratique, il y a des différences ?

En fait, on s’appuie sur une règle et la règle dit que si on a connaissance d’un mineur qui subit des mauvais traitements, on est obligé de signaler. Donc jusqu’à 18 ans, on est soumis à cette règle et on l’applique scrupuleusement.

            Et dans ce cas-là, la protection dont vous parliez devra être mise en place, avant de pouvoir mettre en place le suivi dans de bonnes conditions.

Oui, on sera proactifs dans la construction de la protection, en donnant des suggestions, en discutant avec la DGEJ afin d’évaluer qu’elle serait, selon nous, la meilleure façon de mener des entretiens. Dès lors que le cadre est posé, et qu’il nous parait suffisamment protecteur, là, on pourra recevoir la famille.

On agit ainsi parce que toutes les théories sur la psycho-traumatologie indiquent bien que pour sortir d’un « PTSD » ou d’un état dissociatif, il faut que la personne ne soit plus confrontée à la situation traumatisante. Donc, on se mettrait dans une position paradoxale qui n’aurait aucun sens en acceptant que l’enfant consulte tout en étant encore régulièrement exposé à la source du traumatisme.

 

La crise sanitaire du Covid, un révélateur des limites du système de protection

           En termes de moyens, est-ce qu’il y a des difficultés à coordonner ou à mettre en place ce cadre protecteur dont vous parlez ?

Alors, on a remarqué que le COVID avait fait augmenter – c’est documenté statistiquement - les demandes de 30%. Ce n’est donc pas qu’une impression. On était unité sentinelle, ce qui signifie qu’on a toujours été ouvert et on recevait en présentiel. On a ainsi eu un gros surcroit de travail. Dans ces cas, on a remarqué qu’au niveau des moyens, lorsqu’il s’est agi de trouver une famille d’accueil, de trouver un placement, de trouver des ressources sur le terrain, il y a eu des moments d’impossibilité. On a l’impression que le système a été débordé.

Mais je ne sais pas si l’arrivée du COVID est la seule et unique raison. Par exemple, lorsqu’on prend contact avec la DGEJ, et qu’on dit : « cet enfant est en danger, il faudrait en tous cas un placement provisoire afin de pouvoir mieux réfléchir, le protéger et voir ce qui est mobilisable », on peut nous répondre : « oui Madame, on est d’accord mais tout est over pris ». Même chose, les hôpitaux sont chroniquement surchargés. Notre liste d’attente a beaucoup augmenté.

            Quels sont les délais d’attente ?

Alors, ça dépend car il y a la consultation du Centre, c’est-à-dire à Lausanne, puis on a 3 antennes dans le Nord, dans l’Est et dans l’Ouest. Dans certaines antennes, il y a une liste d’attente de 8 mois ; au Centre, on est actuellement autour de 4 mois. Donc on travaille à flux tendu.

Oser briser le silence, un changement sociétal de fond

Donc une immense pression. Vous disiez que c’est peut-être lié au COVID mais pas uniquement. Actuellement, on parle beaucoup de la nécessité de protéger les enfants, je pense notamment à ce qui s’est passé en France avec le fameux livre La Familia grande. Mais est-ce qu’il y a aussi, et certainement que votre expérience sur un temps plus long peut nous éclairer – une évolution au niveau de la capacité de la société à écouter, à voir, et à entendre ces maltraitances ? Est-ce que c’est ça aussi qui fait qu’il y a une plus grande demande ?

Sans doute, alors ce livre – en tous cas dans le monde francophone, a fait un bien fou. Déjà, personnellement, je le trouve remarquable, c’est vraiment un exemple typique, à savoir que même dans une famille extrêmement prestigieuse, ce genre de choses peut avoir lieu et qu’une femme qui avait tout à perdre ose briser le silence. C’est vraiment un exemple précieux. Tout un ensemble de femmes a ensuite osé parler, elles se sont dit : « Mais si cette femme l’a fait, pourquoi, moi, je ne le ferais pas. »

La libération de la parole doit s’accompagner d’un temps pour la réflexion

Mais j’aimerais pointer un paradoxe en lien, me semble-t-il, avec le fait que dans la société il y a toujours des mouvements de balancier, je m’explique : il y a eu toute la phase où la parole de l’enfant n’était pas vraiment écoutée, où la question de l’abus sexuel était taboue. Désormais, on assiste à un retour du balancier dans le sens où à la moindre allégation, il y a tout de suite pénalisation de la situation, sans se donner le temps de prendre un peu de recul et de mettre un peu de bon sens. Donc par rapport à cette tendance, que je perçois depuis environ 3 ans, je me dis : « soyons prudents, ne nous précipitons pas tête baissée. »

Cependant, j’insiste sur le fait que les allégations d’abus sexuels sont toujours une urgence, ils vont passer avant la liste d’attente. Mais il faut se donner le temps de la réflexion, car parfois on a l’impression qu’on pourrait avoir tendance, la société aurait tendance à se protéger - par crainte qu’on lui adresse des reproches -, plutôt qu’à vraiment mentaliser la situation et essayer de comprendre les tenants et aboutissants de certaines allégations. Mais je peux aussi comprendre que ce message soit complexe à entendre et à comprendre.

            Disons, je l’entends et je trouve pertinent de le pointer par rapport à cette pression que vous évoquiez, et finalement, je me dis qu’il y a aussi le danger que ces temps de réflexion disparaissent ou s’amenuisent face à cette pression mise sur les professionnels.

Au début de ma pratique, lorsqu’il y avait une allégation, je rencontrais les parents, la mère ou les parents, puis j’essayais de me faire une idée de comment cette allégation était venue. Je m’interrogeais sur le risque de manipulation ou d’instrumentalisation de la parole de l’enfant, ainsi que sur le risque que des jeux qui peuvent être réputés plus ou moins normaux (typiquement le jeu du touche pipi) pourraient être interprété du domaine de l’abus sexuel par un individu particulièrement sensible et particulièrement stressé. Et c’est sûr que j’aurais tendance à continuer de procéder ainsi.

Mais à l’heure actuelle, dès lors qu’il y allégation d’abus sexuel, il y a la tendance à signaler à la DGEJ qui souvent dépose plainte. Or, le dépôt de la plainte risque de faire beaucoup plus de mal que de bien. À savoir que du fait des délais de la justice pénale, si l’allégation est fausse ou s’il y a eu une mauvaise interprétation - et qu’in fine un non-lieu est prononcé –, pendant toute cette période, en général, les pères, les beaux-pères ou les grands-pères (ou autres) n’ont plus accès à l’enfant et des haines se développent. Il est vrai que dans la majorité des cas les allégations sont justes, mais il arrive aussi qu’elles soient dictées par une grande angoisse ou par des manipulations. C’est une minorité mais cela arrive, il faut donc que nous soyons prudents et prenions le temps de réfléchir.

            Et de ce fait, comme vous le disiez, sous l’influence de la peur, on assiste à un effet de surprotection et certaines erreurs peuvent être commises : erreurs qui ont aussi un impact sur toutes les personnes qui sont engagées dans cette situation.

Oui effectivement, de telles procédures peuvent faire du mal à une famille. Mais on a bien vu comment, s’il y a effectivement abus sexuels à l’intérieur d’une famille, cela détruit l’individu également.

            Oui, finalement, dans les 2 cas, vrai ou pas, il y a des destructions, même si probablement de natures différentes.

L’accompagnement nécessite la mise au travail des parents

Sur ce point, il est important que je précise le fonctionnement de notre modèle.

Une fois que l’on s’est assuré que les mesures de protection minimale sont offertes et qu’on entre dans la situation, on procède à l’évaluation de cette situation et au bout d’environ 3 mois - mais cela peut s’étirer davantage – nous pouvons dire à la famille et à l’envoyeur, si on considère qu’on peut faire quelque chose ou pas.  Si la famille est traitable ou pas.

Il faut comprendre que ce ne sont pas toutes les familles adressées qui peuvent bénéficier d’une prise en charge psychothérapeutique. Par exemple, la justice nous adresse de plus en plus de situations de divorce avec des éléments conflictuels. Ce qui revient à dire que l’enfant est maltraité, en tous cas psychologiquement. Il est pris en otage, et très souvent, ses besoins ne sont pas pris en compte et la haine de l’autre parent est plus importante que l’amour à l’égard de l’enfant. Donc, la justice leur ordonne de venir et, admettons, on va voir le père d’un côté et la mère de l’autre côté. En général, les parents sont adressés pour un travail sur la coparentalité. Mais si dans le discours des deux parents on se rend compte qu’ils ne se remettent pas en question, que c’est toujours la faute de l’autre parent, qu’il y a des disqualifications constantes par rapport à l’autre parent, que tout ce qui est dit est récupéré pour rejudiciariser le conflit, et que l’intérêt de l’enfant n’est absolument pas pris en considération, alors on répondra à la justice qu’on ne peut pas faire un travail sur la coparentalité. Parce qu’il n’y a aucune remise en question et qu’ils ne se mettent pas au travail.

         Vous travaillez quand les personnes sont prêtes à travailler en quelque sorte et dans le cas contraire, comment cela se passe-t-il ?

Dans ces cas, on transmettra à la justice et à la DGEJ qu’un travail sur la coparentalité n’est pas possible, puis on donnera des indications sur ce qui peut être fait. Ces indications peuvent être multiples. Notre résultat d’évaluation peut amener les autorités au placement de l’enfant. On peut aussi recommander que chaque parent soit pris en charge avant le travail sur la coparentalité. Ou encore, on peut pointer qu’il faut absolument un intermédiaire qui aide, qui soit hyper stricte par rapport aux droits de visite et au contact entre l’enfant et les parents. Très souvent, on les inscrira dans les groupes de parents. Il y a donc plusieurs options. De toute façon on reste vigilants par rapport aux conflits de post divorce.

           D’accord, donc il y a finalement des solutions qui vont être adaptées en fonction des situations et de ce qui est possible de faire avec chaque famille, des traitements singuliers sont proposés et travaillés avec la justice.

On peut arriver à la conclusion que madame et les enfants ont été pendant des années dans une relation d’emprise, et que faire collaborer madame et monsieur pour la coparentalité n’a aucun sens car c’est une façon, pour monsieur, de remettre madame sous emprise. On indique qu’il est préférable de faire un travail mère/enfant et on pourra faire un travail de parentalité mère/enfant – père/enfant mais sans avoir ces deux parents qui se mettent d’accord sur des méthodes éducatives convergentes.

En termes d’objectifs thérapeutiques, l’enfant est au centre, le couple est secondaire

Cette manière de parler de la parentalité fait écho à la conférence de Madame Chaperon sur les parentalités et les différents modèles de parentalité. De fait, le travail que vous faites au quotidien définit, par la pratique, des nouvelles formes de parentalité, avec d’un côté la parentalité de la mère et de l’autre la parentalité du père. D’une certaine manière si j’extrapole un peu, c’est aussi créer des nouvelles manières d’être parent, est-ce qu’une telle réflexion fait sens ?

 

Je ne sais pas si c’est une nouvelle manière mais c’est une façon qui a pour but de rendre attentif chaque parent aux besoins de l’enfant et faire en sorte qu’on se centre tout le temps sur les besoins de l’enfant plutôt que de parler tout le temps de combien l’autre est inadéquat. On se centre toujours sur l’enfant. Parce que vous voyez, souvent, les juges nous demandent un travail de coparentalité en espérant que ce couple puisse tomber d’accord. Mais il y a des couples pour qui les blessures sont telles, et la haine est telle, que c’est mission impossible et croire qu’on puisse le faire est un leurre.

 

Oui l’intérêt de l’enfant et la réalité font que ce couple, certes voulu par la justice, n’existe pas et donc, par le travail que vous faites, vous proposer d’autres solutions.

 

Oui, l’objectif « couple » est un peu moins important que l’intérêt de l’enfant. Il est évident que tout le monde aimerait avoir un papa et une maman qui, même après le divorce, boivent des cafés ensemble, s’entendent bien, se solidarisent - dans la majorité des cas c’est ainsi ; sauf dans les situations vues aux Boréales. Dans certains cas, il faut faire le deuil, arrêter d’espérer. Dans d’autres cas, ce n’est qu’après la période d’évaluation qu’on pourra, un jour, leur permettre de se mettre d’accord.

Un fonctionnement pensé afin de protéger les professionnel.le.s

            Je reviens sur le travail qui est fait par les professionnels. Vous avez des temps de réflexion, de supervisions, d’intervisions ? Tout cela a encore le temps d’être fait pour justement éviter ces difficultés et les risques évoqués.

Premièrement, on savait par expérience et aussi par toutes les revues de la littérature que créer une unité où on s’occupe uniquement de mauvais traitements, comporte plusieurs difficultés. Une tient au fait que les familles maltraitantes sont extrêmement clivantes et que ses membres vont exporter leur clivage interne au niveau des intervenants. Donc, on savait qu’il y avait de hauts risques de frictions.

Deuxièmement, on savait aussi qu’en étant confronté à la maltraitance, on prenait le risque d’être exposé au traumatisme vicariant. Cette notion fait référence au fait que lorsque vous écoutez quelqu’un vous raconter son traumatisme, vous pouvez ressentir vous-même les effets négatifs du traumatisme et avoir des symptômes comme si vous l’aviez vécu. On pense que cet effet tient aux capacités emphatiques et aussi à la question des neurones miroirs.

Pour contenir ces effets, on a fait en sorte que toutes nos interventions soient toujours en co-thérapie, c’est-à-dire que nous sommes systématiquement deux, sauf certains traitements individuels. De plus, tous nos assistants sont régulièrement supervisés en interne et en externe, soit deux heures par semaine, et toutes les situations sont présentées au colloque. L’objectif d’une telle configuration est de faire en sorte que les personnes qui travaillent aux Boréales soient continuellement encadrées. Par ailleurs, on a un nombre de formations extrêmement considérable afin d’augmenter nos compétences, notamment nos capacités de mentalisation.

Au fil des années, une orientation certaine vers la recherche

       Donc autant de gardes fous, si on peut dire, qui étaient documentés dans la littérature. Est-ce qu’il y a un côté recherche/publication sur le travail qui est fait aux Boréales ?

Il n’y a pas encore eu de publication mais on est en train de collecter un ensemble de données : pour chaque situation, on a un questionnaire à remplir, le but étant d’avoir des statistiques bien précises par rapport au phénomène de maltraitance intra-familiale.

De manière très concise, je dirais qu’on s’intéresse plus précisément au type de violence, qui les subit les violences, à la question de la reconnaissance ou du déni, puis on documente si on a pu terminer le bilan d’évaluation et faire un traitement. Mais rien n’a encore été publié.

            Ce travail complète l’une des missions que l’OME s’est donné, à savoir documenter notamment statistiquement, ce qu’il en est de la maltraitance envers les enfants en Suisse. C’est vrai que c’est un projet pertinent et nécessaire afin de pouvoir avoir des données sur le phénomène.

Le travail de recherche mis en place se complexifie. Au début, donc depuis quelques années, on remplit les cases de questionnaires ; mais maintenant, il y a toute une équipe de recherche affiliée au département de psychiatrie. Pour cet autre volet de recherche, il a par exemple fallu consulter le comité d’éthique, en particulier vis-à-vis de la question de la confidentialité. Mais c’est un processus en cours, je n’en dis donc pas plus, il y a encore du travail.

          Ce travail s’inscrit dans une logique de recherche action. Car finalement, c’est à partir de ces données que l’on peut penser et agir. Peut-être, 2 dernières questions sur ce point : on voit en France qu’il y a eu pas mal de nouvelles commissions mises en place et des réformes par rapport à la maltraitance envers les enfants et au niveau de la loi sur l’inceste. En Suisse, ou dans le canton de Vaud tout du moins, quelles seraient les prochaines étapes ou que faudrait-il faire pour améliorer la situation ?

Disons que les situations d’inceste, heureusement, sont minoritaires par rapport aux situations pour lesquelles on est vraiment très sollicités. La majorité des situations accueillies concerne les conflits parentaux, la violence conjugale et l’exposition d’un enfant à la violence conjugale et les maltraitances sur l’enfant. Dieu merci, les situations d’inceste sont moins importantes que les autres formes de violence.

Toutefois, actuellement, sur la thématique de l’inceste, il y a toute la problématique autour du consentement chez un enfant, notamment en raison du fait qu’il y a eu des situations encore un peu limite pour lesquelles il était débattu du fait que l’enfant n’avait pas dit non. Mais cette question ne devrait pas se poser du moment où un enfant est un enfant et qu’il est du devoir de l’adulte de se responsabiliser, de se dire qu’il ne doit pas franchir le cap.

Autrement, au niveau des situations de séparations, les directives seraient surtout : plus vite on intervient - pas forcément les Boréales - moins le conflit risque de se chroniciser et d’augmenter.

L’hypothèse est que la reconnaissance des tords vécus ne se fait plus au tribunal

            Des interventions plus rapides donc !

Oui, et avec le regard d’un tiers plus vite. A savoir que j’ai l’impression, qu’à une époque, lorsqu’un couple divorçait, il y avait cette idée de culpabilité et la désignation d’un coupable, une faute était attribuée à l’un des deux. Pendant la séparation et le divorce, des choses étaient dites ; les gens avaient l’impression qu’il y avait eu une reconnaissance du tort subi. Actuellement, afin d’alléger toutes les procédures, au tribunal, il suffit que les deux parents soient d’accord sur la pension et sur la garde. Néanmoins, les raisons de la séparation, du divorce, ne sont pas évoquées. C’est comme si, quelque chose ne se dit pas, quelque chose n’est pas « élaborable ». Cela reste, entre les partenaires et on le retrouve des années après dans des conflits « sévère » de séparation. C’est du moins une hypothèse.

            Donc le travail de reconnaissance qui se fait par les processus judiciaires serait moins conséquent ou ça ne se ferait plus dans ce contexte du tribunal, ce qui ressortirait des années plus tard ou dans d’autres sphères finalement.

Personnellement, j’ai effectivement l’impression que lorsque les juges identifiaient un coupable, ce travail permettait, du moins dans les têtes des personnes, d’obtenir une forme de reconnaissance du préjudice subi. Mais si cette reconnaissance n’a pas lieu, ensuite, le conflit s’envenime. Cela reste une hypothèse mais je pense que plus vite on intervient dans les situations, moins les enfants sont exposés à ce genre de chantage affectif, pris dans cette triangulation, dans un conflit sans fin.

Sur ce point, il y a eu un discours, qu’au demeurant on ne tient plus, sur ce fameux diagnostic - qui n’existe d’ailleurs pas -, d’aliénation parentale. Toutefois, il est vrai qu’on assiste à un phénomène – qu’on appelle comme on veut - et qui correspond au fait d’enfants qui se mettent à détester le parent non-gardien et à ne plus jamais vouloir le voir. Cela implique des positions de toute puissance extrêmement préoccupantes et je pense que si les situations étaient dépistées plus vite, il n’y aurait pas ces ruptures de liens dramatiques et ces positionnements extrêmement tranchants, disons blanc ou noir.

Pour ces affaires, on réfléchit à l’importance de la spécialisation de la justice. Auparavant, les juges s’occupaient de multiples affaires : financières, administratives, etc… toutes rattachées à des droits différents. Or, de plus en plus, on en vient à penser que s’il y avait des procureurs ou bien des juges plus formés typiquement aux questions familiales et à la question des mauvais traitements, probablement, il y aurait des interventions plus précoces.

De l’hypothèse à la pratique, le rôle de l’OME dans la paysage de la lutte contre la maltraitance envers les enfants

           Peut-être une dernière question, plus large ou plus en lien avec l’OME : selon vous, quel pourrait être dans ce paysage de la maltraitance envers les enfants, le travail de l’OME ? En quoi il peut être utile aux professionnels comme vous ?

Et bien, je trouve que de pouvoir récolter des données, mener des recherches, compiler des données objectives sur lesquelles s’appuyer, c’est extrêmement important. Cela permet de sortir de l’hypothèse pour entrer dans quelque chose de vraiment plus étayé. On se réfère énormément au modèle canadien, aux recherches conduites au Québec sur toutes sortes de maltraitances.

On a, par ailleurs, des grilles conceptuelles mais c’était Robert Posé qui est professeur à l’université du Québec. Ils nous ont fait des cadres conceptuels du fonctionnement familial sur les facteurs prédisposants, les facteurs précipitants pour les négligences, pour les mauvais traitements psychologiques, pour les mauvais traitements physiques, pour l’inceste. Donc, quand on fait nos rapports pour la justice, on s’étaye sur ces critères pour pouvoir donner aussi une réponse qui suive une certaine rigueur scientifique. De plus, cela fonctionne aussi tels des rappels pour se demander si nous avons bien pris en compte toutes les dimensions – c’est une façon de pouvoir faire converser la clinique avec la recherche. Le croisement des données brutes et des données plus cliniques – c’est ce qui aiguise notre rigueur.  Donc, toutes activités de recherche de l’OME, qui aboutiraient à des publications sur lesquelles on peut s’étayer pour permettre au travail thérapeutique clinique de devenir plus rigoureux, sont importantes et utiles.

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