Thomas Matthieu

Les limites du dicible en question. Socio-histoire de la loi antiraciste suisse

Sous la codirection de Philippe Gonzalez (UNIL) et Baudouin Dupret (Sciences Po Bordeaux).

En 1994, le peuple suisse vote l’entrée en vigueur d’une norme pénale contre le racisme. La Suisse rejoint le cercle des démocraties qui, au 20e siècle, se dotent de lois pour lutter contre les discriminations raciales, ethniques et religieuses. L’histoire de la loi antiraciste remonte aux années 1980 lorsque des associations antiracistes, des communautés juives et des politicien·ne·s de gauche comme de droite se mobilisent pour mettre en place une protection juridique contre les « actes de racisme ». Ces mobilisations s’inscrivent dans un contexte national tendu, au carrefour de trois problématiques fortement connectées : alors que la Suisse commence à légiférer sur la question de l’asile au début des années 1980, la fin de la décennie est marquée par une recrudescence des activités de groupes d’extrême droite et des violences commises envers les étranger·e·s ainsi que les requérant·e·s d’asile. La nécessité d’une loi contre le racisme s’impose progressivement. Après des années de travail législatif, la loi est adoptée par l’Assemblée fédérale en 1993. Contestée par référendum, principalement par plusieurs formations d’extrême droite, la loi est finalement soumise au peuple et acceptée en septembre 1994 à plus 54% des votant·e·s.

Ce projet de thèse a pour ambition de réaliser une socio-histoire de la norme pénale contre le racisme suisse. Il se décline en deux grands axes de recherche. Le premier axe retrace la genèse de la loi antiraciste (1980-1995) en analysant les mobilisations, les débats publics et le travail législatif dont elle a fait l’objet. Le second axe étudie l’application de la loi à partir de l’analyse de plusieurs affaires de discrimination raciale qui ont émergé dans l’espace public suisse, des jugements rendus et de la jurisprudence. Ces axes sont abordés au prisme d’une approche qualitative plurielle et d’un matériau empirique large croisant discours publics, archives, entretiens et observations.

Cette enquête socio-historique vise à montrer comment et pourquoi la Suisse s’est dotée d’une loi contre le racisme. Elle retrace les façons dont une pluralité de protagonistes investit les arènes publiques pour (re)définir l’espace du dicible et pour façonner notamment les contraintes juridiques qui pèsent sur la parole publique. Ce cas d’étude permet ainsi d’observer une collectivité politique aux prises avec les limites de sa liberté d’expression, un enjeu au cœur des sociétés démocratiques.

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