Présentation des communications et des auteurs

Le Christ à la croisée des signes, usages syncrétiques de la figure messianique au tournant du XXe siècle

par Isabelle Saint-Martin

Si, dès les origines, la figure christique s’est constituée en empruntant des formes utilisées par d’autres univers de signes et en leur attribuant un sens particulier en régime chrétien, puis en développant des types spécifiques, des croisements d’un genre nouveau apparaissent au tournant du XXe siècle. Certains artistes, notamment dans la mouvance du symbolisme, vont se plaire à associer le thème du Messie avec des éléments iconiques relevant d’autres traditions spirituelles. L’influence des écrits ésotériques, ou d’une science comparée des religions qui se développe à la fin du XIXe siècle, a pu être rapprochée de ces tendances. Restituer la chronologie et le contexte de certaines de ces créations aide à dégager ce qui relève de tentatives d’interprétation syncrétique ou d’un effet de « mode ». Il reste à apprécier l’influence de ces croisements hors normes au regard de l’iconographie traditionnelle dans l’émancipation de la figure christique au XXe siècle et dans la mise en évidence d’une plasticité des formes et de libres appropriations susceptibles de prolongements jusqu’à l’époque contemporaine.

Isabelle Saint-Martin est maître de conférences en histoire de l’art à l’École pratique des Hautes Études (EPHE), section des sciences religieuses. Ses travaux portent sur les relations entre le christianisme et les arts visuels aux XIXe et XXe siècles. Elle a notamment publié Voir, savoir, croire. Catéchismes et pédagogie par l’image au XIXe siècle, Honoré Champion (2003), et en codirection avec E. Dianteill et D. Hervieu-Léger, La modernité rituelle. Rites politiques et religieux des sociétés modernes, L’Harmattan (2004), avec J.-M. Leniaud, Historiographie de l’histoire de l’art religieux en France à l’époque moderne et contemporaine. Bilan bibliographique (1975-2000) et perspectives, Brepols (2005), avec P. Decormeille et C. Béraud, Comprendre les faits religieux. Approches historiques et perspectives contemporaines, CNDP (2009), ainsi que de nombreux articles dont : « Christ, Pietà, Cène, à l’affiche : écart et transgression dans la publicité et le cinéma », Ethnologie française, "Censure et autocensure", n° 1-2006 ; « Un évangile en projections lumineuses. Pédagogie chrétienne et lanterne magique », dans La pédagogie par l’image en France et au Japon (M. Oikawa et A. Renonciat, dir.), PUR, 2009.

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Du sacré au profane. La photographie religieuse chrétienne (1900-1970)

par Nissan N. Perez

Depuis les premiers jours de son invention, et même pendant les années qui l’ont précédée, la photographie s’est activement occupée à représenter des sujets religieux chrétiens, le medium étant lui-même une invention essentiellement chrétienne. Issus des arts occidentaux, les thèmes religieux chrétiens repris par l'objectif photographique touchent à presque tous les domaines : de l’image de pure dévotion à la représentation politique et sociale, en passant par la mode et la publicité, la critique de l’église et l’attaque de la foi. Ce faisant, et en relation avec l’environnement religieux, social, économique et politique, les artistes ont souvent abusé de l’image christique, l’exposant à la critique du public qui parfois accepte difficilement les représentations non conventionnelles. D’autre part, l’usage des symboles religieux par des artistes photographes non chrétiens pose des problèmes différents mais tout aussi intéressants.

Nissan N. Perez est historien de la photographie et conservateur en chef du département de photographie au Musée d’Israël, à Jérusalem. Il rédige actuellement une thèse de doctorat à l’Université de Brighton (Royaume Uni). Après un début de carrière comme photographe, il a conçu et créé le département de photographie au Musée d’Israël et enseigné pendant 12 ans l’histoire de la photographie et l’esthétique à l’Académie d’Art et Design Bezalel à Jérusalem ainsi qu’au Collège Hadassah.

Il a assumé le commissariat de plus de 150 expositions en Israël et dans le monde, et publié nombre de livres et catalogues dont Corpus Christi - Les Représentations du Christ en photographie, 1855-2002, Marval, Paris, 2002 et Revelation: Representations of Christ in Photography, Merrell, London, 2003, ainsi que, entre autres:

Dreams Visions Metaphors, The Photographs of Manuel Alvarez Bravo, Andre Deutsch, London & The Israel Museum, Jerusalem, 1983 ; « Visions of the Imaginary, Dreams of the Intangible The Photographs of Manuel Alvarez Bravo », in Revelaciones: The Art of Manuel Alvarez Bravo, Museum of Photographic Arts, San Diego, 1990 ; Visions d’Orient, Israel Museum Products, Jerusalem, 1995 ; Focus East, Early Photography in the Near East, 1839-1885, Harry N. Abrams, N.Y and The Israel Museum, Jerusalem, 1988 ; Condition Report, Photography in Israel Today, The Israel Museum, Jerusalem, 1998 (CD) ; Under Ottoman Rule, Ministry of Culture, Istanbul, 1999; Time Frame: A century of Photography in the Land of Israel, The Israel Museum, Jerusalem, 2000; Beyond Time: Photographs from the Gary B. Sokol Collection, The Israel Museum, Jerusalem, 2006; Picturing Jerusalem: James Graham and Mendel Diness, Photographers, The Israel Museum, Jerusalem, 2007.
 

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"Ecce Homo" : Jésus homosexuel dans la photographie contemporaine

par Nathalie Dietschy

La fin du XXe sicèle et le début du XXIe marquent un intérêt profond pour les thèmes religieux. La photographie ultracontemporaine regorge de figures christiques, souvent non conventionnelles et subversives. Leo Steinberg (in La Sexualité du Christ dans l’art de la Renaissance et son refoulement moderne, 1987) avait analysé plusieurs Christ sexualisés de la Renaissance; aujourd’hui, la sexualité du Christ apparaît parfois même dans un milieu homoérotique. Edward Lucie-Smith (in Art Tomorrow, 2002) constate que les artistes contemporains abordent les thèmes religieux soit sur un mode agressif et polémique, soit dans une visée féministe, raciale ou homosexuelle (2). C’est le cas de l’artiste canadien Evergon, dont l’homosexualité transparaît dans les sujets bibliques (Descente de croix, 1985).

Les années 80 voient apparaître le sida. Les homosexuels sont pointés du doigt, notamment par certains responsables d’Eglise qui interprètent cette épidémie comme une punition de Dieu. Plusieurs artistes, touchés de près par la maladie, réagissent à cette accusation. En 1998, l’artiste suédoise Elisabeth Ohlson Wallin présente Ecce Homo, une série de douze clichés de grand format (150 x 200 cm) retraçant des scènes marquantes de la vie du Christ dans un milieu homosexuel contemporain. Quant à l’artiste homosexuel et séropositif Ron Athey, il s’identifie au Christ dans des performances photographiées par Catherine Opie. Une couronne de seringues sur la tête, il est montré à la foule, véritable projection de l’artiste dans l’Homme de Douleur.

A travers l’analyse des cas cités, nous tenterons de comprendre les motivations de ces artistes et d’éclaircir les enjeux que leurs œuvres mettent en scène. L’artiste affirme-t-il que Jésus était homosexuel? Gilbert et Georges ont en effet clairement posé la question des penchants sexuels de Jésus dans un photomontage de 2005 (Was Jesus Heterosexual?). Le photographe s’identifie-t-il au Christ, dont il compare le calvaire à la discrimination personnelle dont il est victime? Jésus est-il simplement utilisé à des fins de propagande d’un message de tolérance et d’acceptation ou dans une visée polémique? Enfin, la figure christique homosexuelle est-elle un moyen de critiquer le clergé qui n’admet pas l’homosexualité? Il s’agira dès lors de répondre à ces questions, à travers également la réception des œuvres, véritable miroir des sensibilités.
 

Nathalie Dietschy est doctorante en Histoire de l’Art à l’Université de Lausanne. Sa thèse, Le Christ au miroir de la photographie contemporaine, s’inscrit dans le projet Usages de Jésus au XXe siècle. Littérature, cinéma, arts visuels financé par le FNS. Sa recherche s’oriente vers les usages provocateurs ou revendicateurs de Jésus et les types de détournement de l’iconographie traditionnelle mis en œuvre (Jésus féminin, Jésus noir, Jésus homosexuel, etc.). Son article « L’Autoportrait de Renee Cox : étude d’un scandale » est paru dans le numéro d’Etudes de Letttres consacré au projet (« Points de vue sur Jésus au XXe siècle », n°2/2008).

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Le crâne de Beckett, Jésus comme « déchet culturel » (Adorno)

par Thierry Laus

Où placer la "voix" critique ou d’analyse, s’il en est une? Sait-on ce que racontent Malone meurt, L’innommable, Pour finir encore, Mal vu mal dit au sujet desquels je vais tenter de dire deux ou trois choses?

Je me propose d’abord de rôder autour d’un "lieu commun" (dans Mal vu mal dit), lieudit du crâne, Golgotha, "déchet culturel" que la terre entière doit connaître, ou presque : "Au lieudit du crâne. Un après-midi d’avril. Descente faite". Et "[h]onni soit qui symboles y voit" (Watt), si le lieudit du crâne est bel et bien lieu dit : "Crâne lieu dernier noir vide dedans dehors" (Pour finir encore, je souligne). Je vais m’arrêter sur ce crâne-ci, celui de Pour finir encore, avec Évelyne Grossman (in L’angoisse de penser, Minuit, 2008). Dedans dehors, la critique expulsée (ou l’analyse), crâne dedans dehors, "c’est peut-être ça que je suis, la chose qui divise le monde en deux, d’une part le dehors, de l’autre le dedans, […] je suis la cloison, j’ai deux faces et pas d’épaisseur, […] je suis le tympan, d’un côté c’est le crâne, de l’autre le monde" (L’innommable).

Pour trouver un Jésus (ou deux, ou trois), je me pencherai ensuite sur l’idylle que Moll vit avec Macmann (dans Malone meurt):

«Un jour, alors que Macmann commençait à s’habituer à être aimé, […] il éloigna le visage de Moll du sien sous prétexte de vouloir inspecter ses boucles d’oreilles. Mais comme elle se disposait à revenir à la charge, il l’arrêta de nouveau, en demandant à tout hasard, Pourquoi deux Jésus? avec l’air de trouver qu’un seul suffisait largement. À quoi elle fit l’absurde réponse, Pourquoi deux oreilles? Mais elle se fit pardonner un instant plus tard, avec un sourire (elle souriait pour des riens), D’ailleurs ce sont les larrons, Jésus est dans ma bouche. Écartant alors ses mâchoires et ramenant entre pouce et index sa lippe vers sa barbiche elle découvrit […] une canine longue, jaune et profondément déchaussée, taillée à représenter le célèbre sacrifice, à la fraise probablement».

Où placer "Jésus" (un, deux, trois), lieudit du crâne : dans la bouche de Moll, laquelle "n’[a] jamais senti bon"? Comme celle de L’innommable, la "voix" critique ou d’analyse doit sans doute "diviser" (dehors dedans): "cloison", "deux faces et pas d’épaisseur", "tympan". Je tenterai de le faire avec Adorno dans ses Notes sur la littérature (première série):

«Ce qu’il y a de philosophie chez Beckett, il le dégrade en déchet culturel, tout comme les innombrables allusions et ferments culturels qu’il utilise conformément à la tradition de l’avant-garde anglo-saxonne, surtout celle de Joyce et Eliot»,

— y compris "Jésus".

Thierry Laus est maître d’enseignement et de recherche en Histoire des institutions, des théologies et des imaginaires chrétiens à la faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne et à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Il est membre du comité de rédaction de la collection «Résonances de Maurice Blanchot» (Presses Universitaires de Paris 10). Ses recherches et ses publications se situent au croisement de l’histoire des religions (christianisme et judaïsme), de la littérature (Mallarmé, Blanchot et Beckett) et de la philosophie (Derrida, Nancy et Agamben). Il a notamment publié : «La lumière oubliée du temps dans L’attente l’oubli», in Éric HOPPENOT (éd.), L’Épreuve du temps chez Maurice Blanchot, Éditions Complicités, 2006 ; «La parole infinie, “cela ne s’achève pas”», in Éric HOPPENOT et Alain MILON (éd.), Emmanuel Lévinas-Maurice Blanchot, penser la différence, Presses Universitaires de Paris 10, 2007 ; «Corp(u)s», in Pierre GISEL (éd.), Le corps, lieu de ce qui nous arrive, Labor et Fides, 2008 ; «Croire Volodine. Entre biologie(s), historicité(s) et foutoir(s)», in Pierre GISEL (éd.), Les constellations du croire, Labor et Fides, 2009.

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Délires christiques. Marques et usages linguistiques de Jésus dans les écrits de la Collection de l'Art brut

par Vincent Capt

Les écrits archivés à la Collection de l’Art Brut de Lausanne recoupent différents genres de discours, parmi lesquels la lettre asilaire occupe une place de choix. Toutes rédigées durant la première moitié du XXe siècle, ces missives font souvent référence à la figure de Jésus: intrigant pour des productions censément défaites, d’après Jean Dubuffet, de tout conditionnement culturel.

L’examen linguistique d’un corpus transcrit pour ma recherche doctorale se fera sur des extraits circonscrits par le repérage de certains indices textuels ayant permis de trouver Jésus. Ces marques, comme les différentes appellations du Christ ou les nombreux motifs que sa figure égraine par exemple, véhiculent souvent des références "interdiscursives", engagent des effets polyphoniques au sein même des lettres et informent de leur visée illocutoire. Plus qu’un simple procès donc, "dire Jésus et/ou Christ", c’est aussi en faire un usage dans son discours, à des fins toujours particulières. Les emplois de Jésus seront ainsi abordés en fonction des orientations argumentatives, explicatives ou narratives des lettres examinées. Ils formeront également les lieux à partir desquels écrire Jésus interroge, sans finalisme psychologique, la valeur "poétique" de l’acte langagier intra muros du sujet de l’énonciation épistolaire.

Des textes (parfois inédits) d’Aloïse Corbaz, Samuel Daiber, Sylvain Lecoq et Jeanne Tripier serviront d’exemples, où l’étude des différentes mises en textes de Jésus-Christ éclaire in fine les prises de cette figure dans le "brut" de l’écriture.

Vincent Capt est assistant de recherche et d’enseignement en linguistique française à l’Université de Lausanne. Sous la direction du Professeur Jean-Michel Adam, il prépare une thèse en linguistique textuelle des discours provisoirement intitulée La Manie épistolaire. Analyse textuelle et discursive de la Manière des lettres asilaires archivées à la Collection de l’Art Brut de Lausanne (1866-1966), où les concepts de genre de discours et de manière, liés aux configurations énonciatives de la subjectivation artistique, constituent les facteurs majeurs de la discursivité des textes et de leur poéticité. Son premier travail Ecrivainer. Une lettre asilaire de Samuel Daiber paraîtra en 2009 en co-édition avec Infolio et la Collection de l’Art Brut.
 

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Le Christ figuré / défiguré dans la sculpture des années 1950

par Paul-Louis Rinuy

A partir de quelques sculptures majeures de la fin des années 1940 et du début des années 1950, de Germaine Richier, Josef Beuys, et Matisse entre autres, le but de cette communication est de montrer les ambitions, diverses et contradictoires, des sculpteurs de la Reconstruction de créer une figuration nouvelle du corps et du visage du Christ et les difficultés qu'ils ont rencontrées dans cette aventure.

Les moyens plastiques de renouvellement de ce langage figuratif ont permis d'inventer une image crédible, mais très éphémère historiquement, d'un Christ vrai homme et vrai Dieu, au sein d'un monde intellectuel et culturel lui-même en pleine mutation quant à son rapport à la personne du Christ.

Ces oeuvres sculpturales ont suscité des réserves et de violentss débats, en raison sans doute du rapport spécifique entre l'art de la sculpture et les représentations d'ordre sacré, mais elles ont d'une certaine manière anticipé le Concile de Vatican II, qui n'a, paradoxalement, guère suscité de renouveau plastique de la représentation du Christ.
 

Les Christ subversifs de Bacon, Soutter et Rainer

par Jérôme Cottin

Au début, milieu et fin du XXe siècle, trois artistes atypiques et provocateurs, issus de trois aires géographiques différentes (Grande-Bretagne, Suisse, Autriche) ont réinterprété la figure du Christ. Leur Christ disparaît au profit d'une gestuelle artistique unique et personnelle. Nous serons d'abord attentif à l'absolue nouveauté et sincérité de ces démarches artistiques. Nous tenterons ensuite de les articuler à des éléments de christologie contemporaine qui permettront à la foi chrétienne de se penser et se dire dans la modernité.

Jérôme Cottin, docteur en théologie des Universités de Genève et Strasbourg, est Professeur associé à la faculté de théologie protestante de Paris et à l'Institut catholique de Paris. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et ouvrages collectifs sur les relations entre le christianisme et les images, et particulier : Jésus-Christ en écriture d'images, Genève, Labor et Fides, 1990; Le regard et la Parole. Une théologie protestante de l'image, Genève, Labor et Fides, 1994; Dieu et la pub ! Paris-Genève, Cerf-PBU, 1997; Vers un christianisme virtuel ? Genève, Labor et Fides, 2003; La mystique de l'art. Art et christianisme de 1900 à nos jours, Paris, Cerf-Histoire, 2007; Calvin et la modernité de Dieu, Strasbourg, Signes, 2008.
 

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"Jesus, niemand wie er" : Zur bleibenden Aktualität Jesu als literarischer Figur /

"Il n'est personne tel que lui" : De l'actualité persistante de Jésus comme figure littéraire

par Georg Langenhorst  (en traduction simultanée allemand-français)

In den 60er Jahren schien Jesus als literarische Figur ausgedient zu haben. Literaturwissenschaftler und Theologen riefen das "Ende der Jesus-Literatur" aus. Seit den 80er Jahren lässt sich jedoch eine Wiederentdeckung Jesu feststellen. Jahr für Jahr erscheinen literarische Jesusbücher auf dem Markt, werden verkauft, gelesen, diskutiert. Weltliterische Entwürfe stehen neben peripheren Tagesproduktionen. Unterschiedliche Techniken verbinden sich mit sehr verschiedenartigen Interessen und inhaltlichen Aussagen. Der Vortrag versucht, dieses Phänomen zu bündeln und zu erklären, allgemeine Entwicklungen neben exemplarische Deutungen zu stellen.

***

Dans les années soixante, Jésus semblait avoir été épuisé comme personnage littéraire. Les spécialistes de littérature et de théologie parlaient d’une "fin de la littérature sur Jésus". Cependant, depuis les années 1980, on peut constater une redécouverte de Jésus. D’années en années, des ouvrages littéraires sur Jésus apparaissent sur le marché et sont vendus, lus, discutés. Du bestseller universel à la production d’un jour très périphérique, ces ouvrages regroupent des techniques, des intérêts et des contenus très différents. Cette intervention vise à synthétiser et expliquer ce phénomène, en mêlant développements généraux et études de cas exemplaires.

 

Georg Langenhorst est professeur en Didactique de l’enseignement/la pédagogie de la religion catholique à la Faculté de théologie catholique de l’Université d’Augsburg. Après son habilitation de théologie à Tübingen et sa pratique de l’enseignement en tant que maître de gymnase, il a été conseiller académique en Théologie catholique et Pédagogie religieuse à la Haute Ecole Pédagogique de Weingarten, puis professeur de Didactique de l’enseignement religieux catholique à l’Université d’Erlangen/Nuremberg.

Il est l’auteur de nombreuses publications, essentiellement situées à la frontière entre la théologie et la littérature, tels que : Jesus ging nach Hollywood. Die Wiederentdeckung Jesu in Literatur und Film der Gegenwart (Düsseldorf 1998); Theologie und Literatur. Ein Handbuch (Darmstadt 2005); Christliche Literatur für unsere Zeit. 50 Leseempfehlungen (München 2007); „Ich gönne mir das Wort Gott“. Annäherungen an Gott in der Gegenwartsliteratur (Freiburg/Basel/Wien 2009).
 

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Parole d'Evangile. Représentation de Jésus dans l'argumentaire d'Intolérance (1916)

     

par Claire Dupré-la-Tour

Avec Intolerance en 1916, Griffith défend la liberté –en réponse aux vives attaques dont son film Naissance d'une nation (1915) à fait l'objet, accusé de racisme notamment. Intolerance est une démonstration, preuves à l'appui, du ravage de l'intolérance par la mise en parallèle de quatre histoires aboutissant chacune à la mise à mort d'innocents –la chute de Babylone (538 avant Jésus-Christ), la crucifixion de Jésus, le massacre de la Saint Barthélémy (France, 1572) et une histoire de l'Amérique de 1916 où un couple est malmené par la société. Ce film est dans la lignée des genres cinématographiques de son époque: scène de l'antiquité, Passion, drame historique et drame social contemporain.

Des quatre histoires, la plus courte et la plus elliptique est celle de Jésus, racontée en six épisodes:

  1. Une présentation de Jésus, de la Jérusalem ancienne, de la maison de Cana et du pouvoir des pharisiens;
  2. Les noces de Cana et le premier miracle : la transformation de l'eau en vin
  3. La femme adultère
  4. Un tableau de Jésus au milieu d'enfants
  5. La condamnation de Jésus
  6. La crucifixion.

L'histoire de Jésus est cependant capitale dans la démonstration :

  • Elle fait partie du savoir collectif. Ce qui permet de n'en montrer que des parties. C'est le principe des passions qui, dès les début du cinéma, aboutent des tableaux de la vie de Jésus.
  • Elle ne peut être remise en cause par la censure, la critique ou les pouvoirs religieux dans l'Amérique de l'époque.

Elle constitue donc un socle solide et irréfutable pour l'argumentation, la preuve par excellence qui va communiquer l'irréfutabilité aux autres histoires mises en parallèle. Pour ce faire, Griffith s'en tiendra aux représentations convenues. Il cite explicitement ses sources par l'intermédiaire des intertitres :

  • Une iconographie déjà connue et approuvée par le clergé, notamment la Bible illustrée par Joseph-Jacques Tissot, source principale pour les costumes et des décors.
  • Une référence aux travaux d'érudits : A. Sayce, auteur de Israel and the Surrounding Nations ; J. Hastings, auteur de The Encyclopedia of Religion, A Dictionnary of the Bible et The Dictionnary of Christ and the Gospels, et les travaux de l'universitaire Francis Brown.
  • La citations explicite et mot pour mot des évangiles de Jean et de Mathieu

Griffith utilise à plein les potentiels de l'intertitre, alors que ce procédé se déploie et se généralise en même temps que le film s'allonge. L'utilisation de la minuscule permet d'inscrire des textes plus longs. La discursivité des textes peut se manifester plus nettement, ce qui sera utile pour la démonstration. L'écrit prend l'allure du texte savant avec des notes érudites et des références des textes cités. La citation sera le plus souvent explicite dans l'histoire de Jésus qui indique le chapitre et les versets des évangiles cités, alors quelle sera le plus souvent implicite ou non précisée dans les multiples références ou autres citations littéraires des autres histoires. Les intertitres des autres histoires reprennent souvent la terminologie des Evangiles ou de la Bible dans un parallélisme avec l'Ecriture par excellence. On a là une démonstration de l'universalité du récit christique.

Bien que la presse à la sortie du film célèbre principalement la magnificence de l'histoire babylonienne, ses décors et costumes notamment, la représentation de Jésus et de son histoire suscite des réactions et remarques. La revue de presse d'Intolerance collectée par Griffith et conservée au Museum of Moderne Art de New York nous permet d'analyser la perception de cette représentation de Jésus en 1916.
 

Claire Dupré la Tour est chercheur international en thèse au Research Institute for History and Culture de l'Université d'Utrecht où elle termine son doctorat sur l'intertitre. Membre de Domitor, de l'AFRHC et de l'AFECCAV, elle a dirigé le colloque de la Cinémathèque française Intertitre et film, Histoire, théorie, restauration / Intertitle and Film. History, Theory, Restoration en 1999 (dont les actes sont à paraître dans Iris n°31-32), est co-éditrice de la revue Iris et a co-dirigé plusieurs publications collectives dont Le Cinéma au tournant du siècle / Cinema at the Turn of the Century, avec André Gaudreault et Roberta Pearson (Québec et Lausanne, Nota Bene et Payot, 1999).

Elle est auteur de plusieurs communications et articles, notamment sur l'intertitre et le cinéma des premiers temps, dont «Intertitles in Intolerance», in Paolo Cherchi-Usaï (dir.), The D.W. Griffith Project, London, British Film Institute, 2005, pp.81-88, «Titles and Intertitles», in Richard Abel (dir.), The Encyclopedia of Early Cinema, London, Routledge, 2005, pp.326-331, «Les 540 premiers titres de la firme Pathé, un aperçu lexical. Pour une étude des titres des films des premiers temps », in Michel Marie et Laurent Le Forestier (dir.), La Firme Pathé Frères, 1896-1914, Paris, AFRHC et Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2004, pp.253-259, «Un procédé filmique: l'intertitre. Retour aux sources», in Laurence Schifano (dir.), Cinéma et littérature : d'une écriture l'autre, RITM Recherches interdisciplinaires sur les textes modernes, hors série n° 6, Université Paris X Nanterre, 2002, pp.11-36.

 

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"Ein Film der Menschlichkeit" : Zu Robert Wienes I.N.R.I. (1923) /

"Un film de l'humanité" : I.N.R.I. de Robert Wiene (1923)

par Reinhold Zwick   (en traduction simultanée)

 

Der sehr aufwendig und mit einem Staraufgebot (u.a. Asta Nielsen, Henny Porten, Werner Krauß) produzierte deutsche Stummfilm I.N.R.I. gehört zu den großen Unbekannten des Jesusfilm-Genres, obwohl er seinerzeit mit dem Vorsatz angetreten war, das Weltkino zu erobern. Auf der Grundlage des gleichnamigen Romans von Peter Rosegger inszenierte der mit Das Cabinet des Dr. Caligari in die Filmgeschichte eingegangene Robert Wiene den Stoff in einer eigenwilligen Mischung aus post-expressionistischer Stilisierung und frommer Erbaulichkeit. Obgleich das Publikum diesem Konzept die Gefolgschaft verweigerte und der Film bald in Vergessenheit geriet, ist er ein überaus interessantes film- und glaubens¬geschicht¬liches Dokument, das immer noch auf seine Rekonstruktion und Neuveröffentlichung wartet.

Der Vortrag interessiert sich besonders für das Christusbild des Films, das Image der jüdischen Gegner Jesu und wie beides mit der zeitgeschichtlichen Situation korreliert ist. Wichtig wird in diesem Zusammenhang auch die Frage nach Wienes Positionierung hinsichtlich der politischen Relevanz der Botschaft Jesu.

Der Vortrag wird begleitet mit Ausschnitten aus der im Fragment erhaltenen Kopie des Bundesarchivs/Filmarchiv (Berlin).

***

Le prestigieux film muet allemand I.N.R.I., une production très coûteuse réunissant des stars de l’époque telles qu’Asta Nielsen, Henny Porten et Werner Krauss, est l’un des "films sur Jésus" les plus méconnus, alors même qu’il avait à l’origine l’ambition d’une diffusion universelle. Le réalisateur Robert Wiene –entré dans l’histoire du cinéma avec le Cabinet du Dr. Caligari– a adapté le roman homonyme de Peter Rosegger en mêlant de manière originale stylisation post-expressionniste et édification religieuse. Si le public a refusé ce concept et si le film est très vite tombé dans l’oubli, cette production reste un document extrêmement intéressant quant à l’histoire du cinéma et de la foi, document qui attend toujours sa restauration et mérite d’être reconsidéré.

Cette intervention s’intéressera plus particulièrement à la manière dont le film travaille la représentation du Christ, l’image des adversaires juifs de Jésus, et leur corrélation avec la situation historique contemporaine à la production. La question du positionnement de Wiene quant à la pertinence politique du message de Jésus émergera ainsi de manière cruciale.
 

Cette intervention sera accompagnée par des extraits du film, dont des fragments subsistent à la filmothèque de Berlin (copie fournie par la Bundesarchiv/Filmarchiv).

 

Reinhold Zwick est professeur à la Faculté de Théologie catholique de l'Université Guillaume de Westphalie de Münster, où il enseigne la Théologie biblique et sa didactique. Il reçoit son doctorat et son habilitation (1996) à la Faculté de Théologie catholique de l'Université de Regensburg, avant d'enseigner l'Exégèse de l'Ancien et du Nouveau Testament en Pédagogie de la Religion à la Haute Ecole Catholique de Fribourg (1996-2001). Membre de la commission catholique du cinéma d'Allemagne, du groupe de recherche international "Film et Théologie" (dont il a été le coordinateur entre 1997 et 2003), il s'est  notamment spécialisé dans la relation entre Cinéma - Bible - Théologie, comme en atteste la liste sélective de ses publications suivante:

Evangelienrezeption im Jesusfilm. Ein Beitrag zur intermedialen Wirkungsgeschichte des Neuen Testaments (Würzburg: Echter, 1997); [dir. avec Otto Huber] Von Oberammergau nach Hollywood. Wege der Darstellung Jesu im Film (Köln: Katholisches Institut für Medieninformation, 1999); [dir. avec Stefan Orth et Joachim Valentin] Göttliche Komödien. Religiöse Dimensionen des Komischen im Kino (Köln: Katholisches Institut für Medieninformation, 2001); [dir. avec Thomas Lentes] Die Passion Christi. Der Film von Mel Gibson und seine theologischen und kunstgeschichtlichen Kontexte (Münster: Aschendorff, 2004); [dir. avec Dagmar Reichardt] Pier Paolo Pasolini, Der heilige Paulus (Marburg: Schüren, 2007).

Parmi ses articles qui se sont en outre focalisés sur autant de «Jesus-Films » que La Vie et la Passion de Jésus-Christ des frères Lumière, Der Galiläer de Dimitri Buchowetzki, Jésus de Montréal de Denys Arcand et La Passion du Christ de Mel Gibson, citons: «Und das Wort ist Bild geworden. Zu theologischen und ästhetischen Aspekten des Jesus-Films», in: K.-E.Hagmann/P.Hasenberg (dir.), Film-dienst EXTRA (Jesus in der Hauptrolle), November 1992; «Christusfiguren im Musikvideo», Kunst und Kirche 57 (1994); «Das Kino als christologisches Laboratorium», in: K.Müller (dir.), Fundamentaltheologie - Fluchtlinien und gegenwärtige Herausforderungen (Regensburg: Pustet, 1998); «Von Nazareth in alle Welt. Neue Tendenzen im Jesusfilm», Herder Korrespondenz Spezial (Jesus von Nazareth. Annäherungen im 21. Jahrhundert), 2007; «Der Antichrist im Film», in: M. Delgado/V. Leppin (dir.), Antichrist (Freiburg/Berlin: Universitätsverlag/Kohlhammer, im Druck).

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"Acheiro-poiétique" du cinéma : La révélation du Christ par l'écran

par Valentine Robert

Selon la tradition orientale, les représentations de Jésus trouveraient toutes leur origine dans les images acheiropoïètes, c’est-à-dire dans des figurations de la "Sainte Face" du Christ non faites de main d’homme, mais survenues par apparition divine –sur le voile de Véronique, le Saint Suaire, le mandylion d’Edesse, etc. Ces images qui, pour des théologiens de l’icône tels que Léonide Ouspensky, ne sont rien moins que "la manifestation du miracle fondamental : la venue du Créateur dans sa création" (in L’Image du Christ non faite de main d’homme, 1989), ont toujours été le ferment d’expérimentations multiples chez les peintres et les sculpteurs.

Mais la réflexion artistique s’est cristallisée au moment où ces images sont devenues l’apanage de médiums issus de "l’ère de la reproductibilité technique" chère à Benjamin. En effet, les images "théographes" auraient pour spécificité d’être engendrées et de se multiplier par empreinte immédiate: une toile quelconque n’aurait qu’à être touchée par le visage du Christ pour devenir instantanément le support du divin portrait, et acquérir dès lors le "pouvoir reconnu aux acheiropoïètes de créer des doubles de même valeur, par simple contact" (François Boespflug, Dieu et ses images. Une histoire de l’Eternel dans l’art, 2008). Comment mieux faire écho aux principes mêmes de l’image (ciné)photographique, générée par indicialité et reproductibilité? André Bazin a eu l’intuition de cette parenté dans le cadre de sa théorisation sur le pouvoir "révélateur" de l’image (ciné)photographique qui selon lui procéderait "par sa genèse" de "l’ontologie du modèle" et "serait" le modèle; il a évoqué le Saint Suaire de Turin comme rejouant, voire emblématisant cette même "ontologie de l’image photographique" (dans l'article homonyme de 1945). Si Bazin ne développe pas plus avant ses considérations, la corrélation des dispositifs (ciné)photographique et acheiropoïète a connu un questionnement « en actes », au sein des films cherchant à représenter Jésus.

Cette intervention s’intéressera donc à ces expérimentations, à commencer par un projet de film d’Abel Gance de 1947, resté inachevé, où le suaire de Turin devait se transformer en écran de cinéma. Plusieurs autres productions seront abordées, telles que Civilization ou The Robe, qui explorent les effets visuels permis par la pellicule pour montrer le Christ en surimpression, dans une sorte d’"apparition technologique", ou telles que The Jesus Film ou The Passion of the Christ, dont la projection a été reçue par certains publics comme une apparition sacrée réactualisant l’Incarnation. Les modalités de la représentation des images acheiropoïètes et plus généralement de l’apparition de Jésus à l’écran seront enfin évoquées – de la tradition hollywoodiennes qui consistait à refuser l’accès de la "Sainte Face" à la pellicule et de la rejeter hors-champ jusqu’aux séquences d’Ecce Homo de Scorsese et Zeffirelli, en passant par la révélation visuelle inaugurant The King of Kings, qui pousse à son paroxysme la collusion entre apparition divine et apparition cinématographique.
 

Assistante diplômée enseignant à la Section d’Histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne (Faculté des Lettres), Valentine Robert participe en tant que chercheuse-doctorante au projet FNS Usages de Jésus au XXe siècle. Littérature, cinéma, arts visuels. Elle prépare actuellement, sous la direction du professeur François Albera, une thèse de doctorat intitulée Le cinéma en tableau vivant. L’iconographie christique entre tableau et plan.

Elle est l'auteur de plusieurs articles et communications portant sur les relations entre le cinéma et l’iconographie picturale, tels que, notamment: «Quand le film raconte l’image. Variations cinématographiques sur la Cène de Vinci», Cahiers de Narratologie. n°16, avril 2009 ; «La Belle Noiseuse, une création en deux actes: pictural et filmique» in P.H. Frangne, G. Mouellic & C. Viart (dir.) Filmer l'acte de création. Rennes: PUR, 2009 ; «L’Evangile au miroir déformant du cinéma. La voie décalée de La Vie de Brian des Monty Python», in J.-C. Gardes & G. Doizy (dir.) Caricature et religion(s). Brest: Ridiculosa, 2008 et «Regards croisés sur la crucifixion. Les points de vue du cinéma» in J. Kaempfer, A. Boillat, P. Gisel & P. Kaenel (dir.) Points de vue sur Jésus au XXe siècle. A la croisée des disciplines. Lausanne: Etudes de Lettres, 2008.

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Les Passions filmées du cinéma des premiers temps et le paradigme de la nouveauté

par André Gaudreault et Philippe Gauthier

La mise en marché des Passions filmées semble avoir été un véritable défi pour les différents éditeurs de vues, dans la mesure où chacune de ces vues raconte, à peu de chose près, toujours la même « histoire ». Comment, en effet, un éditeur de vue peut-il convaincre un exploitant de salle d’acheter une copie de sa Passion filmée plutôt que celle du concurrent? Pis encore, comment convaincre l’exploitant de salle d’acheter la toute nouvelle Passion filmée, plutôt que de projeter, encore et encore, l’ancienne version achetée précédemment? Par ailleurs, comment l’éditeur de vue peut-il renouveler la mise en film d’une "histoire" mille fois racontée? Ces préoccupations seront au centre de cette communication, qui propose une réflexion sur ce que nous appellerons le paradigme de la nouveauté, à travers le cas précis des Passions filmées produites par des éditeurs de vues français (Pathé, Gaumont, etc.).

Nous chercherons plus précisément à dégager les traits principaux sur lesquels s’érige la nouveauté des vues animées, mais aussi à expliquer comment les différents discours inventent la nouveauté à partir des nouvelles potentialités offertes par le cinématographe. La nouveauté relève largement d’une construction discursive: c’est dans les discours qu’elle se manifeste et prend forme. Elle se révèle également dans les vues elles-mêmes à travers des "propositions esthétiques" d’un ordre nouveau et joue ainsi un rôle important pour attirer les spectateurs et nourrir chez eux des attentes spécifiques. Il s’agira d’analyser différentes Passions filmées ainsi que les discours journalistiques et promotionnels de l’époque (catalogue de vente, annonces publicitaires dans la presse corporative, etc.) qui les accompagnent, afin de déterminer les moyens mis en avant par les éditeurs de vue pour élargir leur public, stimuler son engouement et s’imposer comme le véritable divertissement de l’ère moderne.

André Gaudreault (1952) est professeur titulaire au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, où il est responsable du GRAFICS (Groupe de recherche sur l’avènement et la formation des institutions cinématographique et scénique). Professeur invité de plusieurs universités (Bologna, Buenos Aires, École Normale Supérieure (Paris), École Européenne Supérieure de l'Image (Angoulême), Paris 1– Panthéon-Sorbonne, Paris 3– Sorbonne Nouvelle, Santiago de Compostela et São Paulo), il a signé des ouvrages portant notamment sur le cinéma des premiers temps, dans une perspective narratologique ou historique : Du littéraire au filmique. Système du récit (édition revue et augmentée, 1999), Le Récit cinématographique (1991 – avec F. Jost), Pathé 1900. Fragments d’une filmographie analytique du cinéma des premiers temps (1993), Au pays des ennemis du cinéma (1996 – avec G. Lacasse et J.-P. Sirois-Trahan), Cinema delle origini: O della “cinematografia-attrazione” (2004), Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe (2008), American Cinema, 1890-1909. Themes and Variations (2009) et From Plato to Lumière: Narration and Monstration in Literature and Cinema (2009). Il est aussi directeur de la revue savante Cinémas.

Philippe Gauthier est doctorant en cotutelle à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Lausanne (Suisse) sous la direction d’André Gaudreault et François Albera. À Montréal, il est auxiliaire de recherche au Groupe de recherche sur l’avènement et la formation des institutions cinématographique et scénique (GRAFICS). Il s’intéresse notamment au montage aux premiers temps du cinéma (Cinema & Cie – International Film Studies Journal, automne 2007 et, en collaboration avec André Gaudreault, dans The Griffith Project, vol. 12, sous la direction de Paolo Cherchi Usai, 2008). Il est l’auteur de Le montage alterné avant Griffith : le cas Pathé (L’Harmattan, 2008). Philippe Gauthier a également collaboré à la revue 1895 – Revue d’histoire du cinéma (juin 2008). Sa thèse porte sur l’historiographie du cinéma à travers les pratiques du montage. Il a reçu en octobre dernier le Graduate Student Writing Award offert par l’Association internationale pour le développement de la recherche sur le cinéma des premiers temps (DOMITOR).

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Jésus vu par Malraux : Lectures de la légende du "Christ espagnol"

par Myriam Sunnen

Malraux et Jésus: le rapprochement semble pour le moins surprenant, non seulement en raison de l’agnosticisme souvent affiché de l’écrivain mais aussi à cause de la place a priori très modeste que la figure du Christ occupe dans son œuvre. Publié en 1937, L’Espoir comporte toutefois un passage souvent commenté dans lequel un ancien moine espagnol raconte l’histoire de la seconde naissance du Christ, dans la région des Hurdes. Reprise dans Antimémoires et annoncée par un dense réseau d’images chrétiennes et christiques, cette "légende du Christ espagnol" sera lue à la lumière du contexte politique dans lequel Malraux a écrit son roman sur la guerre d’Espagne et comme une illustration de sa vision fondamentalement épique du christianisme.

Myriam Sunnen est née en 1975. Elle a fait des études de sanskrit et de littérature française, d’abord au Centre Universitaire de Luxembourg, ensuite à l’Université Paris III, où elle a enseigné de 1999 à 2004. En 2004, elle a soutenu une thèse sur Malraux et le christianisme (actuellement en cours d’impression aux éditions Honoré Champion). En 2005-2006, elle a effectué une recherche postdoctorale à l’Université de Lausanne sur la place du paysage dans la construction des identités collectives. Elle a publié plusieurs articles sur l’œuvre romanesque et les écrits esthétiques de Malraux et elle a donné des conférences en France, au Luxembourg, au Maroc et en Suisse. Elle est actuellement chargée de cours à l’Université du Luxembourg.

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Lorsque des écrivains juifs racontent l'"histoire de Jésus"...

par Lucie Kaennel

S’inscrivant dans les silences et exploitant les non-dits des évangiles, les réécritures fictionnelles et les recompositions romanesques de la "vie de Jésus" ne sont pas l’apanage d’écrivains marqués par la tradition ou un contexte chrétiens. Dans le prolongement de la quête du Jésus historique et sous l’impulsion initiale de la Wissenschaft des Judentums, des penseurs et des écrivains juifs vont s’employer, dès la seconde moitié du XIXe siècle, à réhabiliter l’image d’un Jésus juif (pratiquant) et à lui restituer sa judéité, nonobstant le fait que la figure de Jésus constitue depuis toujours une pierre d’achoppement pour le judaïsme en cristallisant toutes les divergences entre juifs et chrétiens. Le Nazaréen (1939) de Shalom Asch, Sur un sentier étroit, Jésus (1937) d’Aharon Abraham Kabak, Jésus raconté par le Juif errant (1934) d’Edmond Fleg, Judas (1963) d’Igal Mossinsohn, ou encore « La naissance de l’Antéchrist » (1921) de Leo Perutz, sont à compter au nombre des mises en scène littéraires de Jésus dans ce qu’il a de spécifiquement juif. Prêtant notre voix au Juif errant, à Judas et à d’autres témoins encore, nous nous attacherons à conter quelques-unes de ces « histoires de Jésus » juives.

Lucie Kaennel a été assistante en théologie systématique et en judaïsme à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne, et attachée temporaire d’enseignement et de recherche à la Section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études de Paris. Elle est doctorante en cotutelle à l’Université de Lausanne et à l’École pratique des hautes études de Paris, sa thèse est consacrée au Protestantisme de l’Allemagne wilhelmienne (1870-1914/18) dans son rapport au judaïsme. Elle est l’auteur de : Luther était-il antisémite ? (Genève, Labor et Fides, 1997) et, avec Pierre Gisel, La création du monde. Discours religieux, discours scientifiques, discours de foi (Genève / Bienne, Labor et Fides / Société biblique suisse, 1999). Elle a notamment édité : avec Pierre Gisel, l’Encyclopédie du protestantisme (Paris / Genève, PUF / Labor et Fides, 20062) et Réceptions de la cabale (Paris / Tel Aviv, Éditions de l’éclat, 2007) ; avec André Birmelé, Pierre Bühler et Jean-Daniel Causse, Introduction à la théologie systématique (Genève, Labor et Fides, 2008) ; avec Bernard Reymond, Les peurs, la mort, l’espérance : autour de Paul Tillich (Münster, Lit, 2009) ; avec Patrik Fridlund et Catharina Stenqvist, Plural Voices. Intradisciplinary Perspectives in Interreligious Issues (Leuven, Peeters, 2009).

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Jésus à hue et à dia. Sur les multiples usages du motif du crucifié au XXe siècle, notamment depuis 1960

par François Boespflug

Pour qui observe l’évolution des principaux motifs de l’art chrétien depuis le XIXe siècle, il ne fait aucun doute que la figure de Jésus crucifié a suscité à partir des années 1870 puis tout au long du XXe siècle une prodigieuse variété de reprises avec transformations plus ou moins radicales de sa forme et de son sens. Sans se priver de citer des exemples plus anciens, cette présentation se concentre sur les usages du motif du crucifié apparus lors du dernier demi siècle.

Elle tente d’abord, à la lumière d’une sélection de cas, de classer les principales transformations affectant le motif traditionnel de l’homme en croix selon qu’elles portent sur la figure elle-même (son attitude, sa corporéité, son sexe), sur la croix (sa forme, sa matière) ou encore sur la situation du spectateur. Cette esquisse de typologie conduit ensuite à se demander comment qualifier ces transformations et donc à soulever le problème du lexique (désacralisation, laïcisation, réappropriation esthétique et expérimentation ludique, exculturation, sécularisation, dérégulation et dédogmatisation, "déport" ou déportation, caricature, dérision, profanation, réquisition militante, usage purement rhétorique, etc.) auxquels recourent les historiens de l’art et autres analystes des langages iconiques pour éclairer le sens même dudit phénomène.

François Bœspflug, né en 1945, dominicain, est professeur d'histoire des religions à la Faculté de théologique catholique de l'Université de Strasbourg. Spécialiste d’iconographie chrétienne depuis sa thèse sur Dieu dans l’art, il enseigne au Centre Sèvres (Paris) et co-anime avec Y. Zaluska un séminaire sur la Bible moralisée à l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (CNRS, Paris).

Parmi ses publications portant sur l’histoire des religions : Pour une mémoire des religions, avec F. Dunand et J.-P. Willaime (1996) ; Le comparatisme et l'histoire des religions, avec F. Dunand (1997) ; S'initier aux religions. Une expérience de formation continue dans l'enseignement public (1995-1999), avec É. Martini (1999) ; Voir les Dieux, voir Dieu, avec Fr. Dunand (2002) ; Cent lieux pour raconter l’histoire des religions, avec Fr. Bayle (2008).

S’agissant de ses recherches sur l'histoire des représentations de Dieu, outre une centaine d’articles érudits, signalons : Dieu dans l'art (1984) ; Le Credo de Sienne (1985) ; Nicée II, 787-1987 (dir., avec N. Lossky, 1987) ; Arcabas, Saint-Hugues de Chartreuse (1988, 21994) ; Arcabas et les Pèlerins d’Emmaüs (1996, 22004) ; Traité des saintes images (1570 et 1594) de Molanus (1996, avec O. Christin et B. Tassel) ; Les Très Belles Heures de Jean de France, duc de Berry (1998, avec E. König) ; Le Christ dans l’art, des origines jusqu’à nos jours (2000, avec V. Da Costa, Chr. Heck et J.-M. Spieser) ; La Trinité dans l’art d’Occident (1400-1460). Sept chefs-d’œuvre de la peinture (2000, 22006) ; Caricaturer Dieu ? Pouvoirs et dangers des images (2006) ; Arcabas, Saint-Hugues de Chartreuse et autres œuvres (2008) ; Dieu et ses images. Histoire de l’Éternel dans l’art (2008).

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