ARCHIVE - Nouvelles Questions Féministes

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L'ambivalence du travail: entre exploitation et émancipation

Volume 27 No 2 2008

Coordination

Hélène Martin, Françoise Messant, Gaël Pannatier, Marta Roca i Escoda, Magdalena Rosende, Patricia Roux

 

 

Sommaire

Édito

Françoise Messant, Hélène Martin, Marta Roca i Escoda, Magdalena Rosende, Patricia Roux
Le travail, outil de libération des femmes?

Grand angle

Élise Lemercier
Travail et femmes migrantes: invisibilisation des qualifications, utilité sociale et parcours d'émancipation
Caroline Ibos
Les «nounous » africaines et leurs employeurs : une grammaire du mépris social
Irène Jonas, Djaouida Séhili
Les nouvelles images d'Épinal: émancipation ou aliénation féminines?
Céline Bessière
«Travailler à l'extérieur» : des implications ambivalentes pour les compagnes d'agriculteurs
Elsa Galerand, Danièle Kergoat
Le potentiel subversif du rapport des femmes au travail

Champ libre

Laetitia Carreras
Travailleuses domestiques « sans papier» en Suisse: comment s'en sortir, rester et résister?
Laetitia Dechaufour
Introduction au féminisme postcolonial

Parcours

Magdalena Rosende, Patricia Roux
De la sociologie du travail aux Études Genre. Un hommage à Françoise Messant

Comptes rendus

Séverine Rey
Nicole-Claude Mathieu (dir.): Une maison sans fille est une maison morte

Collectifs

Élodie de Weck
Comité de Mujeres de Inzá: la difficile conciliation entre la lutte pour l'émancipation féminine et celle pour l'autonomie paysanne
Pétition
Contre Michel Dubec, le psy qui légitime le viol
Joy Charnley
«Women in...»


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Résumés/Abstracts

Élise Lemercier. Travail et femmes migrantes: invisibilisation des qualifications, utilité sociale et parcours d'émancipation

Confrontées aux effets croisés et décuplés du racisme et du sexisme sur le marché du travail, les femmes des groupes ethniques minoritaires peuventelles
prendre appui sur le travail pour conquérir de nouveaux espaces de liberté? Cette recherche démontre que certaines femmes utilisent collectivement
la position de médiatrice interculturelle pour négocier des marges d'autonomie en dehors du couple et de la famille. À cette fin, elles se mobilisent dans une fonction d'utilité sociale permettant de réconcilier ambition individuelle et solidarité avec les membres de leur communauté d'origine.

Work and Migrant Women: Invisibilation of Qualifications, Social Utility and Ways towards Emancipation

Faced with the cross-cutting and ever increasing effects of racism and sexism in the labor market, how can ethnic minority women use paid work to win new forms of freedom and autonomy? This survey demonstrates that some women create collective positions in the area of intercultural mediation
to negociate autonomy outside the couple and family life. To this end, they offer much needed services as intermediaries that at the same time allow them to reconcile individual ambitions with community solidarity.


Caroline Ibos. Les «nounous» africaines et leurs employeurs: une grammaire du mépris social

Résultat d'une recherche ethnographique, ce travail examine comment les rapports sociaux de classe, de sexe et de race se croisent. Il interroge les formes sociales par lesquelles les employeuses à domicile concilient leur répertoire moral et le mépris qu'elles manifestent envers leurs «nounous». La contradiction entre les normes individualistes, rationnelles qui leur semblent évidentes et la mésestime qu'elles témoignent à l'employée, les conduit à bricoler un système de justification fondé en réalité sur le déjugement de la «nounou», déqualification de son identité sociale autant que disqualification de son identité morale. Cette expérience de la contradiction intérieure, sociologiquement analysée, éclaire une division du travail moral issue du mode historique de la domination masculine.

AfrIcan Nannies and their Employers: A Grammar of Social Contempt

Based on ethnographic research, this article examines the cross-cutting relations between class-based, sexual and racial social categorizations. It questions the discourses elaborated by women employers to reconcile their moral repertoire with the lack of respect they show to their nannies. The contradictions between their individualistic, rationalistic norms and their contempt for their houseworkers lead them to paste together a justificatory system grounded on the devaluation of their nannies that both discredits their moral integrity and disqualifies their social identities. The sociological analysis of this experience of interior dilemma sheds light on a division of moral labor that has its roots in historical male dominance.

Irène Jonas et Djaouida Séhili. Les nouvelles images d'Épinal: émancipation ou aliénation féminines?

L'image d'Épinal peut s'inscrire dans une stratégie de propagande au service de causes politiques et idéologiques. Les articles de magazines féminins et/ou managériaux, comme certains ouvrages «psy», semblent relever de la même logique: livrer une représentation enjolivée de l'assignation des femmes à la «conciliation famille-travail». Les femmes, selon ces nouvelles images d'Épinal, seraient aujourd'hui en mesure de réussir un triple challenge: initier une pacification du couple, faire fructifier ce «capital social» que constitue l'enfant et modifier l'univers professionnel. Le processus de «naturalisation» à l'oeuvre dans la définition des compétences féminines serait ainsi utile au néo-management, au couple « relationnel» et au nouveau travail maternel. Signe d'émancipation ou d'aliénation des femmes, telle est la question...

The New «Images d'Epinal» (Cliched Images) : Emancipation or Alienation of Women?

The «image d'Épinal» (cliched image) looks suspiciously like propaganda in the service of political and ideological causes. Articles in women's and/or coaching magazines, as in a certain pop-psychological literature, adhere to this same logic: to deliver an embellished representation of women's obligation to «combine family and working life». Today, according to these new « images d'Épinal», women should be able to respond to a triple challenge: to initiate «mutual comprehension» within their romantic couple, to increase the «social capital» of their children, and to reform the working world. The processes of «naturalization» at work in the definition of these supposedly typically female competencies can be read as particularly useful for new management regimes, for the « relational» couple and for the redefinition of motherhood. The question, however, is whether this a sign of the emancipation or of the alienation of women.

Céline Bessière. «Travailler à l'extérieur»: des implications ambivalentes pour les compagnes d'agriculteurs

Les jeunes compagnes d'agriculteurs occupent de plus en plus des emplois salariés, en dehors de l'exploitation de leur conjoint. Elles conçoivent l'emploi salarié comme la condition de leur émancipation financière et de l'autonomisation de leur activité professionnelle par rapport à leur conjoint, leurs beaux-parents et l'entreprise familiale. Elles cherchent à ne pas reproduire la condition d'aide familiale de leur belle-mère. À partir d'une enquête ethnographique de longue durée, menée dans les exploitations viticoles de la région de Cognac, cet article montre que les processus d'émancipation des compagnes de viticulteurs salariées à l'extérieur de l'exploitation doivent être nuancés et varient selon les positions sociales des un·e·s et des autres.

«Working out of the Home»: An Ambivalent Model of Emancipation for Farmers' Female Partners

Young women married to or sharing the lives of farmers tend increasingly to have their own paid jobs away from their husbands' or partners' farms. They regard paid employment as the condition of their material freedom and they value the fact of having their own professional activity distinct from that of their partners, their in-laws and the family business. They are determined not to reproduce the conditions of their mothers-in-law, whom they see as simply supplying free labor for the service of the family. Based on long-term ethnographic fieldwork carried out among wine-growing families in the area of Cognac, this article shows that the model of emancipation of younger women through paid work outside the family business is not unambiguous, and that emancipation depends more generally on the social position of the protagonists.

Elsa Galerand et Danièle Kergoat. Le potentiel subversif du rapport des femmes au travail

Cet article présente l'hypothèse selon laquelle c'est le rapport au travail, et non le travail lui-même, qui est potentiellement subversif, voire émancipateur pour les femmes. Il montre tout d'abord la congruence théorique de cette hypothèse avec l'épistémologie féministe. Puis, pour la tester empiriquement, les autrices examinent le rapport paradoxal que nombre de femmes entretiennent avec le travail salarié et montrent que, pour comprendre ce paradoxe, il faut revenir à une définition féministe du travail et en particulier à la remise en cause de la séparation entre travail professionnel et travail domestique. Finalement, les autrices tentent de donner des éléments permettant de penser la transformation de ce potentiel subversif en des pratiques collectives émancipatoires. Et elles insistent sur la nécessité pour le mouvement féministe de replacer le travail domestique au centre de sa réflexion sur le travail et l'émancipation des femmes.

The Subversive Potential of Women's Relation to Work

This article takes as hypothesis the idea that it is the relation to work, and not work itself, that holds subversive, not to say liberating, potential for women. First, it shows the theoretical congruence between this hypothesis and feminist epistemology. Then, in order to test the hypothesis empirically, the authors look at the paradoxical ways in which many women relate to paid work and they show that in order to understand this paradox, it is necessary to go back to a feminist definition of work by calling into question the separation between professional and domestic work. Finally, the authors attempt to provide elements that might make it possible to transform this subversive potential into collective emancipatory practices. They insist on the necessity for the feminist movement to put domestic work back at the center of its reflection on work and on the emancipation of women.

Laetitia Carreras. Travailleuses domestiques «sans papier» en Suisse: comment s'en sortir, rester et résister?

Dans un contexte de grande précarité et d'isolement, des travailleuses domestiques sans statut légal arrivent à supporter leur travail, s'y investissent et parviennent à en retirer une certaine satisfaction. Elles réussissent à définir des conditions de travail acceptables et à les négocier, du moins dans une certaine mesure, avec les personnes qui les emploient. Cet apprentissage s'acquiert dans un «collectif de travail différé», c'est-à-dire un lieu où peuvent s'élaborer des échanges informels entre pairs. Le sentiment de satisfaction au travail s'explique par la manière dont les travailleuses domestiques se situent dans leur trajectoire migratoire en se comparant à des personnes moins bien loties qu'elles et par l'attribution de sens à leur vécu et aux événements auxquels elles sont confrontées.

Undocumented Domestic Workers in Switzerland: How to Move up, to Stay and/or to Resist?

Working in precarious and isolated situations, undocumented domestic workers manage to endure their tasks, and to commit themselves quite seriously, arriving at certain forms of fulfillment. To a certain extent, they even succeed in defining and negotiating their working conditions with their employers. This learning process is acquired in a «deferred workers' collective», that is, through informal exchange among peers. The feeling of fulfillment can be explained by the manner in which domestic migrant workers perceive their migration histories as compared to other migrant workers who are less fortunate than they, and by the ways in which they attribute meaning to their experiences and to the various situations which they have to deal with.

Laetitia Dechaufour. Introduction au féminisme postcolonial

Cet article vise à dresser un portrait introductif du féminisme postcolonial et à proposer des pistes de lecture pour approfondir cette pensée en nommant certains des débats importants qui l'agitent et certaines de ses protagonistes. Il s'agit de montrer dans un premier temps que le féminisme postcolonial s'inscrit dans la filiation des études postcoloniales (incarné entre autres par Edward Said), des Subaltern Studies (le projet de Ranajit Guha) et des féminismes dissidents (black feminism, chicana feminism, féminisme indigène, etc.). Mais aussi de rappeler que c'est en rupture avec l'androcentrisme des études postcoloniales et avec l'ethnocentrisme du féminisme hégémonique, mais aussi dans leur continuité critique, que s'est constitué ce courant qui vise avant tout à repenser l'oppression des femmes à la lumière de l'histoire coloniale et esclavagiste. Le féminisme postcolonial propose une lecture complexe de l'articulation des rapports de sexe et de race, et en appelle à une remise en question constructive des savoirs produits par les féministes blanches.

An Introduction to Postcolonial Feminism

This article aims at introducing the readers to postcolonial feminism through its main debates and authors. First, we will show that postcolonial feminism has its roots in Postcolonial Studies (with Edward Said as the main protagonist), in the Subaltern Studies project (led by Ranajit Guha), and in dissident feminisms such as Black, Chicana or Indigenous feminisms. Second, we will examine how postcolonial feminism emerged in reaction to androcentric analyses within Postcolonial Studies and to the ethnocentric dimensions of hegemonic feminism, though filiations are acknowledged. The principal objective of postcolonial feminism is to rethink the oppression of women through the lens of colonization and slavery. Its authors develop a complex understanding of the articulation of gender and race relations, and constructively call into question knowledge produced by White feminists.

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Communiqué de presse

L'ambivalence du travail : entre exploitation et émancipation

Le travail salarié est-il un outil d'émancipation des femmes ? Dans les années 70 du Mouvement de Libération des Femmes, la réponse paraissait évidente : avoir un emploi devait permettre aux femmes d'être matériellement indépendantes et de renforcer leurs moyens de lutte contre la domination des hommes, en particulier au sein du mariage hétérosexuel. Aujourd'hui, la réponse est plus complexe, car si les femmes ont en effet investi massivement le marché de l'emploi, elles restent fortement discriminées (salaire, temps partiel, plafond de verre notamment), et continuent à assumer, en plus, la très grande partie du travail domestique et éducatif.
Le message fort qui émane des autrices est le suivant : le sort des femmes ne se joue pas dans le seul monde du travail rémunéré. Si solution d'émancipation il y a, c'est dans la prise en compte de l'interdépendance entre sphères privée et professionnelle. Autrement dit, la concentration de tous les efforts sur le seul emploi, au vu du fait, incontestable, que rien ne change au niveau du « partage des tâches domestiques », est un traquenard.
Les contributions traitent toutes de cette interdépendance, mais à partir de points de vue et de domaines très différents. Une recherche porte par exemple sur des compagnes de viticulteurs qui exercent un emploi salarié hors de l'exploitation familiale et qui, pour s'affranchir de la famille élargie, sont davantage contraintes que leurs aînées aux travaux ménagers. Examinant la relation entre une « nounou » africaine et une employeuse blanche, de milieu social élevé, un autre article analyse les implications contradictoires de leur assignation respective au travail domestique. L'une connaît l'exil, le racisme, l'autre délègue une large partie de « son » travail à une autre femme qu'elle exploite.
La complexité des voies de l'émancipation ressort aussi de trois autres contributions qui proposent, chacune à leur manière, qu'un travail professionnel effectué dans la continuité du travail domestique peut permettre aux femmes de développer un rapport à leur emploi subversif, voire émancipateur. A partir d'exemples (aide-ménagères, infirmières, médiatrices interculturelles, travailleuses domestiques sans statut légal), il apparaît que les femmes dont les emplois ont une relation avec les activités dans la sphère privée peuvent avoir un rapport positif à leur travail rémunéré, notamment se sentir utiles dans ce qu'elles y font. Restons cependant vigilantes : si une forme de continuité entre les univers privé et professionnel peut procurer un sentiment d'utilité, cela ne doit pas nous faire oublier la pénibilité, la faible rétribution et la non-reconnaissance de ce type d'emplois. C'est là toute l'ambivalence du travail féminin dans nos sociétés.

Contact pour ce numéro:Françoise.MessantLaurent(at)unil.ch

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