À quoi bon les études littéraires?

Collectif, "À quoi bon les études littéraires?", tribune parue dans Le Temps, 16 décembre 2023.

Ce texte a été rédigé par les participant·e·s à la journée d'études "Le devenir des études en littérature au défi d'une transmission intermédiale?", organisée dans le cadre du programme de la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO) à l'Université de Lausanne, le 3 novembre 2023.

Il est reproduit avec l'aimable autorisation de ses auteur·e·s.

À quoi bon les études littéraires?

Contribution collective

Lettre ouverte à celles et ceux qui doutent encore que les études littéraires servent à quelque chose...

"À quoi sert ce que tu fais?"; "Tu es vraiment payé pour ça?"; "Tu passes vraiment toute ta journée à lire?" Face à ces questions récurrentes, pourquoi ne cesse-t-on de nous renvoyer au sentiment qu'étudier la littérature serait vain? Il ne manque pourtant pas de témoignages rappelant à quel point elle peut s'avérer nécessaire: "Les enseignants m'ont fait découvrir la littérature, et la littérature m'a sauvé la vie", déclarait récemment avec conviction le rappeur Abd al Malik sur le plateau de La Grande Librairie.

Or ces questions pourraient paraître banales si elles ne s'inscrivaient dans un air du temps symptomatique. La pertinence de la transmission et de la recherche en littérature est aujourd'hui remise en cause par une partie des instances économiques et politiques, invoquant un ésotérique pragmatisme, ainsi que la nécessité de s'adapter au monde tel qu'il serait censé évoluer. Dans le contexte anglo-saxon, certains diplômes de sciences humaines sont dorénavant qualifiés avec mépris de Mickey Mouse degrees. Parce qu'elles remettent en cause nos pratiques et notre domaine d'études, nous prenons ces cri­tiques au sérieux. Admettons un instant que l'ac­tivité visant à saisir et transmettre les enjeux d'une œuvre littéraire soit fandamentalement vaine. Dans ce monde-là, les œuvres continuent de circuler, mais elles ne sont inscrites ni dans le temps ni dans l'espace, et leurs esthétiques passent à la trappe. Elles sont likées ou détestées, à partir de réactions subjectives et sponta­nées. Tout est narratif, donc plus rien ne l'est: peu importe qui dit quoi ou dans quel contexte, les mots sont des signifiants creux, au mieux des "messages", univoques et essentiellement publi­citaires.

Une société qui oublie de donner de la valeur ou de l'utilité à ce qui n'est pas immédiatement commercialisable se nécrose. Nous refu­sons ce monde-là, radiclement, en défendant la recherche et la transmission en littérature comme des domaines essentiels à la vitalité démocratique d'un monde sans cesse plus polarisé. Comprendre, repérer, commenter le fonctionnement d'un texte, c'est toujours, en retour, appréhender un monde possible. Une telle lecture augmentée permet de l'ancrer dans des contextes et d'en saisir la polysémie. Nos outils, sans cesse repensés et réactualisés, sont appli­qués de longue date à plusieurs types de discours médiatiqµes journalistiques, politiques, etc., car transposables à l'ensemble des discours sociaux; l'étude du texte littéraire est partenaire des autres modes de communication et demeure un espace privilégié pour saisir le fonctionnement du langage lui-même. De fait, les récits verbaux sont les plus anciens et les plus libres pour l'ex­périmentation; ce sont aussi les plus facilement enseignables.

Trois ans après la fin de leur cursus, plus de 95% des alumni sont actifs dans de très nom­breux domaines professionnels

Les diplômés de la Faculté des lettres ont le taux d'employabilité le plus élevé de l'Université de Lausanne. Trois ans après la fin de leur cur­sus, plus de 95% des alumni sont actifs dans de très nombreux domaines professionnels. L'étude de la littérature n'est donc pas un privilège d'es­thètes hors du monde. Contre l'entre-soi et les tentatives de replis identitaires, la transmission de la littérature ouvre des espaces de dialogue, entre des auteurs et des lecteurs, entre des étudiants et des enseignants. En s'interrogeant sur sa motivation initiale à étudier la lit­térature, le chercheur William Marx faisait en 2020 le constat suivant: "À la différence des autres domaines, l'amour de la littérature est sans doute le moteur premier des études litté­raires. On n'étudie pas le cancer ou les atrocités de la Seconde Guerre mondiale pour les mêmes raisons, et cette motivation singulière suffit à mettre à part des autres sciences celle de la litté­rature comme celle des arts en général." Ce qui justifie notre amour de la littérature est certai­nement notre désir d'engager et de poursuivre ce dialogue. La possibilité de faire cause commune grâce à nos différences. Pour toutes ces raisons, oui, lire et étudier la littérature, aujourd'hui plus que jamais, sert à quelque chose.

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"A quoi bon les études littéraires?"

"A quoi bon les études littéraires? Une réponse"

Ancien chercheur en linguistique-informatique à l’Université de Genève et à l’EPFL et aussi ancien journaliste, André Linden revient sur un événement qui a influencé le sort des études littéraires à l’université, à Berkeley, en 1964. Cette lettre de lecteur fait suite à une tribune écrite par un collectif de doctorants en littérature de l'Université de Lausanne que Le Temps a publiée le 16 décembre 2023.

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