Ariane Devanthéry

Ariane Devanthéry

« Ne pas se laisser déborder par l’ampleur d’une tâche et arriver à hiérarchiser est une compétence fondamentale dans mon métier. »

290321_Devanthéry_Ariane_photo.jpg
Ariane Devanthéry
 a obtenu son doctorat ès Lettres à l’UNIL en 2008. Depuis 2015, elle est responsable patrimoine mobilier et immatériel au Service des affaires culturelles du Canton de Vaud.

Titre de la thèse : Itinéraires. Les guides de voyage en Suisse de la fin du XVIIIe siècle à 1914. Contribution à une histoire culturelle du tourisme.


GC : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
AD :
 Je suis historienne de la culture de formation. J'occupe actuellement un poste de responsable patrimoine mobilier et immatériel au Service des affaires culturelles du Canton de Vaud à 80%. Il me reste un jour par semaine pour mener des projets d'historienne indépendante, comme des visites guidées, l’écriture d’un article ou la préparation d’une conférence.

Pourquoi avez-vous choisi d’effectuer un doctorat ?
Ça a été le plus grand des hasards. Après ma licence, j’ai enseigné à l'école officielle vaudoise auprès d’élèves qui avaient entre 10 et 13 ans. J'ai démissionné après sept ans parce que je commençais à m'ennuyer ; j'aime enseigner pour la matière, mais pas pour le côté discipline en classe. En mars 2002, alors que je cherchais un nouvel emploi, j’ai eu un contact avec Claude Reichler (ndlr : alors professeur ordinaire de littérature française et d’histoire de la culture à la Faculté des lettres de l’UNIL) parce que nous étions membre de la même association. Je lui ai demandé s’il avait un petit travail à me proposer. J'imaginais un index de livre ou une petite recherche. Il m'a demandé si j'étais prête à faire un doctorat. Trois mois plus tard, il m’a annoncé qu’il avait trouvé un financement et un sujet. J'ai accepté.

Aviez-vous un plan de carrière durant votre doctorat ?
Je n’ai jamais eu de plan de carrière. On peut dire que ma vie professionnelle s'est construite de façon erratique, parce que les choses se sont faites un peu par hasard, par empilement et par opportunités. D’un autre côté, on peut aussi se dire que mon parcours n’est pas si erratique que cela. J’ai justement profité des opportunités quand elles se sont présentées. Je me suis régalée pendant les six ans du doctorat (cinq ans comme assistante et une année avec des bourses). J’ai adoré voir comment une pensée se construit et comment dépasser petit à petit les écueils que l’on rencontre au début de sa recherche. Cela n’a bien sûr pas été sans mal : j’ai eu beaucoup de doutes et un certain manque de confiance en moi. Après coup, je vois le doctorat comme une période tout à fait particulière de ma vie.

Vous êtes responsable patrimoine mobilier et immatériel au Service des affaires culturelles du Canton de Vaud. Le jour de votre soutenance, auriez-vous imaginé occuper ce poste aujourd’hui ?
Absolument pas. C’est un poste qui n’existait pas en 2008. Il a été créé en 2015 au moment où le Canton de Vaud a créé sa Loi sur le patrimoine mobilier et immatériel. Cette loi a instauré deux postes à 50% : un poste de responsable du patrimoine mobilier (des objets qui sont importants pour l'histoire du Canton de Vaud mais qui n’appartiennent pas à l’Etat) et un poste de conservateur du patrimoine immatériel. C'est un poste de conservateur de musée où je n’ai ni musée, ni collection, car le patrimoine immatériel rassemble des savoir-faire, des traditions et des coutumes, comme le guet de la cathédrale de Lausanne et la pratique du patois.

Quelles sont vos missions principales et comment décririez-vous votre rôle ?
Ce sont des missions de préservation et de valorisation. On ne conserve pas de la même manière un objet, un savoir-faire ou une tradition ; on ne valorise pas non plus de la même manière un objet et une tradition. J’ai un rôle de conseil auprès des détenteur·trice·s. Je suis la secrétaire de la Commission du patrimoine mobilier non cantonal et immatériel, celle qui discute avec les personnes en recherche de soutien et qui les aide à définir précisément leur demande. Une demande bien formulée a en effet beaucoup plus de chances d’être soutenue. En ce qui concerne le patrimoine mobilier, des propriétaires de biens culturels peuvent nous contacter pour savoir comment ils peuvent protéger certains objets dont ils ont la charge. Dans ce cas, nous pouvons faire faire un inventaire et/ou une expertise pour connaître l’importance historique et patrimoniale de ces objets pour l’histoire du Canton de Vaud en vue d’une inscription à l’Inventaire cantonal du patrimoine mobilier. A nouveau, je suis la personne de référence avec qui discuter des mesures possibles et définir un projet précis. Quand elles nous arrivent, les demandes sont souvent un peu confuses et un travail d’éclaircissement est fréquemment nécessaire.

Qu’aimez-vous le plus dans cette fonction ?
J'aime aider les gens, soutenir les projets enthousiastes et penser que l’on œuvre pour un bien commun. Durant mes études, je me suis toujours dit que j’adorerais pouvoir participer à la protection du patrimoine. Je n’imaginais même pas pouvoir protéger du patrimoine mobilier. C’est en grande partie un travail de sensibilisation et de conseil auprès des propriétaires. J’apprécie le simple fait de dire aux propriétaires d’objets que leur objet est important pour l’histoire du Canton de Vaud, que l’on peut leur donner des conseils en matière de conservation, d’entreposage, de nettoyage en cas d’utilisation ou des adresses de restaurateur·trice·s et contribuer à un soutien financier.

Quelles sont les compétences essentielles pour exercer cette mission ?
Ne pas avoir peur d’un travail considérable et extrêmement varié où chaque cas est particulier. Il faut être capable de définir les procédures (relationnelles, matérielles, administratives et légales) et de sérier et de hiérarchiser les problèmes. Lors du doctorat, on apprend à gérer des problèmes complexes. Lorsque l’on commence sa thèse ou que l’on débute un chapitre, on a une montagne devant nous que l’on n’arrivera pas à aborder de front : il faudra partager le sujet, le découper en parties. Cette compétence m’est aujourd’hui extrêmement utile. Ne pas se laisser déborder par l’ampleur d’une tâche et arriver à hiérarchiser est une compétence fondamentale dans mon métier.

Que répondez-vous à celles et ceux qui estiment que le doctorat n’est pas pertinent pour une carrière non-académique ?
Je pense qu’une personne qui n'a pas fait de doctorat a vraiment de la peine à comprendre les compétences que l'on développe pendant la thèse. C'est à nous de les montrer et de les faire valoir. Je dois rédiger beaucoup de rapports et c'est essentiel d'avoir un vocabulaire précis. Cette compétence est l’un des grands apports du doctorat. J’ai été sensibilisée à une rédaction extrêmement claire, à l'ordonnancement des idées, à la logique d'une argumentation, à tout un travail de rhétorique qui est très utile et important lorsque l’on doit rédiger une note pour essayer de convaincre un·e chef·fe de service ou un·e conseiller·ère d'Etat de faire ce que vous lui proposez pour sauvegarder le patrimoine.

Quel conseil donneriez-vous à un·e doctorant·e ou à un·e post-doc qui prépare la prochaine étape de sa carrière ?
De ne pas avoir peur du futur et d’oser se lancer. Avant d’avoir le poste que j’occupe actuellement, j'ai fait le recensement du patrimoine immatériel du Canton de Vaud. Lorsque l’on m’a proposé cette mission, ma première réponse a été : « pourquoi pas, mais je n’y connais rien ». J’étais alors à la recherche d’un travail. Je me suis dit que ce poste allait m’occuper pendant six mois, ce qui me laissait le temps de trouver un autre emploi. Finalement, j’ai été historienne indépendante pendant cinq ans, j’ai continué à m’occuper du patrimoine immatériel et je me suis créée un nouveau domaine de compétences. Je pense qu’il est très utile d’avoir suffisamment confiance dans ce que l’on est capable de faire pour se lancer dans des choses que l’on ne connaît pas encore et que l’on ne maîtrise pas. Surtout, c’est d’aller là où on a du plaisir à faire les choses. C’est le meilleur conseil que je puisse donner.



Portrait publié le 29 mars 2021

Suivez nous:  
Partagez:
Unicentre  -  CH-1015 Lausanne
Suisse
Tél. +41 21 692 21 29
Fax +41 21 692 20 15