Interview avec Jean-Jacques Cheseaux

Responsable du CAN Team, CHUV

JJ Cheseaux.jpeg20 années de CAN-Team au CHUV à Lausanne : L’évolution des cas

Le CAN-Team (Child Abuse and Neglect) du CHUV à Lausanne fêtera cette année vingt ans d’existence. Cette structure pluridisciplinaire s’est développée en milieu hospitalier. Depuis sa fondation, elle a évalué plus de 4'000 cas, recouvrant toutes les formes de maltraitance (physique, psychologique, abus sexuels et négligences).

Le Dr. Jean-Jacques Cheseaux est à la tête de cette institution depuis sa fondation. Il répond à quelques questions générales sur l’institution qu’il dirige et sur son engagement.

 

Qu’est-ce que c’est le CAN-Team du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) ?

Le CAN-Team du CHUV est une structure qui réunit des compétences complémentaires en associant pédiatres, chirurgiens pédiatres, gynécologues, pédopsychiatres, psychiatres, travailleuses sociales, infirmières, sages-femmes. Il accueille également une infirmière puéricultrice, une personne faisant le lien avec les milieux spécialisés en addiction et une psychologue en lien avec les Boréales (lieu travaillant sur la violence familiale ou problèmes intraconjugaux).

Le CAN-Team se décline en plusieurs dimensions : l’équipe s’occupant des facteurs de risques (maternité du CHUV), réunit de 12 à 15 personnes. Les groupes de détection (CHUV, hôpital de l’enfance, etc.) 7 à 8. Le colloque de la maternité accueille aussi une personne déléguée par le Service de protection de la jeunesse (SPJ).

 

Justement, quel type de contact avez-vous avez le SPJ ?

Des contacts étroits ont été établis. Depuis 2013 il existe un protocole de collaboration qui permet d’identifier et de mettre en contact dans l’ensemble des hôpitaux un médecin responsable pour les questions de mauvais traitements et, de façon correspondante, une personne responsable pour chaque antenne régionale du SPJ.

 

Comment se font les rapports avec les autres milieux concernés ?

Un « chaînage » a été mis en place afin de permettre une intervention préventive bien coordonnée. L’Unité de médecine des violences (UMV) du CHUV, qui s’adresse aux couples confrontés à des problèmes de violence, identifie les situations dans lesquelles des enfants sont concernés. Ces situations spécifiques sont transmises au CAN-Team pour évaluation. De même, lorsqu’une prise en charge thérapeutique de la violence intrafamiliale est possible, une démarche est effectuée avec les Boréales. Une psychologue se joint alors à l’équipe pour l’évaluation et, dans ces cas, un rendez-vous est organisé au plus tard dans les 10 jours.

 

De combien de situations est-il question ?

Le CAN-Team traite bon an, mal an quelque 300 dossiers par année, desquels entre 60 à 80 proviennent de l’UMV. L’année dernière, ce nombre a passablement augmenté, pour dépasser pour la première fois une centaine de situations.

La mise sur pied de l’UMV et l’ouverture des Boréales ont fait croître les activités du CAN-Team. Après une forte croissance consécutive à ces événements, la croissance s’est stabilisée aux environs de 10%.

 

Après 20 années passées à la tête du CAN-Team, quels constats établissez-vous sur l’évolution des cas qui vous sont soumis dans le cadre de l’équipe ?

Trois faits sont marquants :

1. Le nombre de « bébés héroïnomanes », qu’il faut sevrer à la naissance, a drastiquement diminué. De 20 à 30 dans les années nonante, ce chiffre est descendu à moins de 5 ces dernières années. Les changements dans les usages des drogues, comme l’efficacité des politiques d’encadrement des toxicomanes, sont probablement à l’origine de cette situation. Ceci dit, d’autres problèmes sont apparus, liés en particulier aux mères dépendantes aux médicaments, avec là aussi des questions d’accoutumance.

2. Le nombre de situations d’abus sexuels est en légère régression. Il est possible que les campagnes de prévention menées depuis deux décennies font leur effet.

3. En revanche, les situations liées à la présence de maladie psychique chez l’un ou l’autre des conjoints ont explosé. Leur nombre n’a peut-être pas intrinsèquement augmenté ; mais elles sont mieux détectées aujourd’hui. On en reconnaît probablement mieux certains signes et symptômes, notamment dans la dépression postpartum.

L’importance du nombre de mauvais traitements physiques, quant à lui, est demeurée stable durant toutes ces années.

 

Avec le recul des années, quel regard portez-vous sur la situation actuelle des mauvais traitements infligés aux enfants ?

Il existe des situations dans lesquelles la perversion entre en ligne de compte. Mais cela ne concerne qu’un nombre limité de cas. En général, la maltraitance est à mettre en lien avec les difficultés rencontrées par les adultes dans la gestion des tensions quotidiennes d’une famille. Le stress mal géré se transforme en actes violents, maltraitants.

S’il est heureux que nos sociétés prennent des dispositions pour lutter contre les mauvais traitements et se donnent en partie les moyens d’y parvenir, il faut toutefois éviter tout extrémisme normatif qui pourrait conduire à fin contraire. La pluridisciplinarité de nos équipes permet justement de moduler notre regard en permettant de faire la part des choses entre notre désir de perfection, pour que chaque enfant puisse s’épanouir, et la confrontation aux réalités quotidiennes dont il faut tenir compte.

 

Pourriez-vous expliciter ce point de vue à l’aide d’un exemple ?

Une rencontre récente avec une jeune mère m’a montré combien les parents sont confrontés à une tâche complexe face à leurs enfants, combien ils sont parfois désemparés. Cette maman d’un petit bébé de quelques mois m’a dit durant la discussion : « Je sais que c’est pas bien de battre les enfants. Mais je ne sais pas comment faire autrement ». Ce type de remarques nous rend humble et montre l’important travail qui doit être mené pour ouvrir les parents aux alternatives à la violence.

 

Pourquoi avoir consacré une grande partie de votre vie professionnelle aux mauvais traitements envers les enfants ?

Mon intérêt pour les questions de la maltraitance à l’égard des enfants a été stimulé par mes contacts avec la pédopsychiatrie qui m’ont sensibilisé à l’importance des liens mère-bébé et aux conséquences à long terme des perturbations pouvant exister dans les relations enfants-parents. Il m’est petit à petit apparu qu’il fallait assurer aux enfants victimes de mauvais traitements autant d’attention qu’à ceux souffrant de maladie.

J’ai aussi découvert l’importance de garantir un suivi des parents en difficulté pour assurer le bien-être des enfants dans le long terme. Il faut agir sur l’environnement familial pour garantir des changements durables dans le parcours de vie des enfants.

 

Interview réalisée dans le cadre de l'étude Optimus, mai 2014.

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