Grégoire Millet

Grégoire Millet est professeur à l’Institut des sciences du sport (ISSUL) de l’Université de Lausanne. Il est spécialiste des adaptations à l’exercice effectué dans différentes conditions environnementales. 


Interview du 6 octobre 2023
 

Mélanie Clivaz (MC) : Quels sont vos axes de recherche ?  

Grégoire Millet (GM) : Je me définis comme un physiologiste de l'exercice et physiologiste environnemental. Mon champ d'intérêt se concentre sur les réponses des individus, lorsqu'ils s'engagent dans des activités physiques dans conditions environnementales particulières. Pendant un certain temps, ma recherche a été principalement axée sur l'altitude et l'hypoxie, mais j'élargis de plus en plus mes investigations pour explorer divers facteurs environnementaux. Outre l'hypoxie, nous avons commencé à examiner l'impact de la chaleur, notamment par le biais de bains chauds, ainsi que l'influence du froid, en cherchant à combiner altitude et basses températures. En effet, dans la réalité, les conditions en altitude varient considérablement, avec des températures pouvant être élevées le jour et très basses la nuit.

De plus, j'ai récemment étendu mes travaux à l'étude des environnements pollués, en collaboration avec l’équipe de la professeure Nancy Hopf d'Unisanté. Certaines régions montagneuses peuvent être fortement affectées par la pollution, en particulier dans les zones où la circulation automobile est importante et où il y a peu de circulation d'air.

Ces divers facteurs environnementaux et comment ils interagissent constituent des domaines clés de ma recherche.  Nous essayons aussi de mieux comprendre les différences liées au sexe biologique et les spécificités féminines.

En résumé, mon domaine de recherche porte sur les effets de l'hypoxie, de la chaleur, du froid et de la pollution sur les individus lorsqu'ils pratiquent une activité physique. Mes sujets d'étude sont variés, allant des individus en bonne santé, tels que les sportifs et les personnes ordinaires, aux personnes atteintes de diverses pathologies, notamment le surpoids, l'hypertension et certaines personnes âgées.

 

 

MC : Vous avez beaucoup travaillé sur l’hypoxie. Est-ce qu’aujourd’hui on peut dire que l'entraînement hypoxique apporte des avantages aux sportifs ? 

GM : L'entraînement en altitude n'est pas une pratique récente. Il a fait son apparition pour les Jeux Olympiques de 1968. Pendant plus de 40 ans, on avait la croyance que l'altitude était principalement bénéfique uniquement pour les sportifs d'endurance tels que dans le cyclisme, le triathlon ou la natation. L'équipe suisse a effectué son premier stage en altitude à St-Moritz en 1966, marquant le début de la création des principaux centres d'entraînement en altitude dans le monde, situés à des altitudes comprises entre 1800 et 1900 mètres. À cette époque, on pensait que c’était l'altitude optimale et qu’elle favorisait uniquement l'érythropoïèse, c'est-à-dire la production d'érythropoïétine par l'organisme pour augmenter la production de globules rouges. La mesure de l'augmentation de l'hémoglobine dans le sang reste le principal indicateur. Si l'on se limitait à ce mécanisme, il semblait inutile d'entraîner des athlètes pratiquant des sports collectifs tels que le football ou le rugby en altitude, car leur besoin en endurance diffère de celui des cyclistes ou des triathlètes.

Cependant, au cours des dix dernières années, mon laboratoire a développé une nouvelle méthode d'entraînement axée sur des sprints répétés à des altitudes élevées. Cette méthode implique des séquences de sprints de 5 à 15 secondes, pouvant être effectuées en conditions réelles en prenant un téléphérique jusqu'à 3 000 mètres d'altitude ou en altitude simulée en utilisant une chambre hypoxique. Nous avons été les pionniers de cette approche, l'avons testée, validée et avons œuvré pour sa diffusion et sa vulgarisation. J’interviens notamment auprès de l'Union cycliste internationale (UCI) pour former des entraîneurs, et plusieurs livres ont été rédigés sur cette méthode, rendant ces connaissances accessibles aux sportifs et aux entraîneurs.

Cette méthode, aujourd'hui reconnue comme efficace, a élargi son application à d'autres populations de sportifs. Par exemple, l'équipe nationale de rugby du Pays de Galles, l'une des meilleures au monde, a effectué trois stages en altitude entre Fiesch et Fiescheralp, dormant à 2’212 mètres d'altitude à Fiescheralp et s'entraînant à une altitude plus basse, à Fiesch (1’050 mètres). Cette approche, baptisée "Vivre en haut, s'entraîner en bas", permet de développer à la fois l'endurance et la capacité à répéter des sprints, une caractéristique essentielle pour les sports collectifs comme le rugby.

Aujourd'hui, il est généralement admis que notre méthode a révolutionné la manière dont l'entraînement en altitude est utilisé. Mon travail dans ce domaine a débuté bien avant mon arrivée à Lausanne il y a 15 ans. J'ai conçu cette méthode pendant mes quatre années passées au Qatar en tant que Senior Physiologist dans un centre d'entraînement. Cependant, sa validation scientifique s'est réalisée à l'ISSUL à Lausanne, avec plusieurs thèses de doctorat menées sur ce sujet. Au fil de nos travaux, nous avons découvert que l'utilisation de l'altitude ouvrait aussi de nombreuses perspectives cliniques, ce qui nous a amenés à développer des méthodes adaptées à des populations cliniques spécifiques.

 

MC : L’altitude a donc des effets positifs sur la santé ? 

GM : Une relation inverse a été observée entre l'altitude de résidence et la mortalité liée au cancer du sein chez les femmes et au cancer colorectal chez les hommes. Il est intéressant de noter que, malgré des taux de prévalence similaires, la mortalité semble plus faible chez les individus vivant à une altitude modérée, comprise entre 400 mètres et 1’600 mètres d’altitude. Cela suggère que l'altitude ou d'autres facteurs pourraient influencer les mécanismes de défense contre la progression des cancers. Il est possible que les habitants de ces altitudes aient des modes de vie plus actifs, des habitudes alimentaires différentes, des parcours de vie uniques, ou soient moins soumis au stress. D'un autre côté, il se peut que les populations à ces altitudes soient davantage exposées aux rayons solaires, augmentant potentiellement le risque de développer d’autres types de cancer.

Nous avions soumis un projet Synergia au FNS dans l'objectif de démêler ces facteurs, mais malheureusement, nous n'avons pas obtenu de financement. Je tiens à exprimer ma gratitude envers le CIRM, qui a soutenu un projet de Seed funding pour préparer ce projet. Il s'agissait d'un projet ambitieux visant à explorer les différents facteurs et à déterminer si l'altitude avait un effet indépendant d’un point de vue biologique. Des mécanismes moléculaires laissent entrevoir cette possibilité, notamment en lien avec les recherches récompensées par le prix Nobel de physiologie et de médecine en 2019, qui ont éclairé les adaptations cellulaires à des niveaux variables d'oxygène.

Outre l'altitude modérée, notre laboratoire se penche sur une autre modalité, à savoir l'hypoxie intermittente. Cette approche consiste à exposer les sujets à des cycles alternant entre des périodes d'hypoxie (moins d'oxygène) et de normoxie ou d'hyperoxie (plus d'oxygène), en utilisant un masque. Au lieu des 20,93 % d'oxygène présents dans l'air ambiant, les participants respirent pendant quelques minutes à 10-12 % d'oxygène (hypoxie), puis à 28-30 % (hyperoxie). Cette méthode entraîne la désoxygénation et la réoxygénation des vaisseaux sanguins et du cerveau, renforçant ainsi le système vasculaire et le cerveau du sujet pour mieux faire face aux effets du vieillissement ou à certaines pathologies. Cela s'inscrit dans le concept de "conditionnement hypoxique" ou "conditionnement hypoxique hyperoxique". Nous avons actuellement mis en place ce protocole avec des sujets hypertendus, dont la pression artérielle est élevée. L'altitude, qui tend à aggraver l'hypertension, ne peut pas être utilisée sans précaution, sauf si elle est régulée de manière adaptée en termes d'altitude et de durée. Cela permet d'habituer le système à résister plus efficacement. Cela s'inscrit dans le principe de l'hormèse : "ce qui ne me tue pas me rend plus fort". Ce principe est proche de ce qu’on observe dans le domaine sportif, où l'entraînement soumet les muscles à des charges supérieures à celles rencontrées au quotidien, renforçant ainsi l'endurance. Je suis convaincu que ce type d’application clinique de l’hypoxie peut être particulièrement bénéfique dans les régions montagneuses et mériterait un soutien financier, car elle pourrait avoir un impact significatif sur le système de santé de ces régions. Par exemple, il convient de se demander s'il est toujours opportun d'avoir des établissements médico-sociaux (EMS) à des altitudes plus basses, étant donné les bienfaits potentiels de l'altitude modérée sur la santé des personnes âgées.

En ce qui concerne la politique de développement des centres interdisciplinaires de l'Université de Lausanne, je la trouve particulièrement pertinente. Bien que le temps ne nous permette pas de participer à toutes les activités proposées, ces centres offrent un ancrage solide et facilitent la transmission de nos recherches à la population. Non seulement ils proposent des cycles de conférences, mais ils encouragent également le développement de thèmes ancrés dans le territoire, ce qui est enrichissant.

 

MC : Vous menez également des travaux sur le trail et l’ultra-trail, pouvez-vous nous en dire plus ?  

GM : Lorsque je me suis plongé dans le monde du sport, mon intérêt s'est d'abord porté sur les disciplines d'endurance, pour ensuite s'étendre aux sports plus collectifs. Sur le plan personnel, j'ai été un adepte des sports d'endurance et j'ai même pratiqué le triathlon à un haut niveau dans ma jeunesse. Par la suite, j'ai exploré le trail, et actuellement, je m'adonne au ski de randonnée et à la randonnée, évidemment en montagne. Cependant, je n'ai pas eu l'occasion de m'aventurer à des altitudes très élevées, à l'exception d'un voyage à 7'250 mètres sur le Cho Oyu. Malheureusement, les conditions météorologiques ne nous ont pas permis d'atteindre le sommet.

Mon expérience personnelle m'a également conduit à m'intéresser au Tor des Géants, une course épique de 340 kilomètres avec un dénivelé de 29'000 mètres, d’abord en tant que coureur puis en tant que chercheur. C'est la huitième année que nous menons des études scientifiques sur cette compétition. Cette année, notre attention s'est portée sur l'augmentation du volume hydrique dans le corps, en particulier le volume sanguin, car nous savons qu'une inflammation chronique se développe lors de ces longues courses, provoquant des œdèmes, notamment au niveau des jambes et parfois du visage chez les coureurs à l'arrivée. Nous avons donc mesuré l'augmentation du volume sanguin et du volume plasmatique, ainsi que la masse d'hémoglobine. Nous avons également évalué la fatigue des muscles respiratoires, qui sont sollicités pendant l'effort. La respiration devient moins efficace à mesure que ces muscles se fatiguent.

Au cours des années précédentes, nos études ont couvert un large éventail de mécanismes, de la fatigue cérébrale à la fatigue cardiaque, des ajustements dans la technique de course des athlètes à l'augmentation du volume des pieds provoquée par ce type d’effort.

Nous aspirons à élargir notre champ d'étude pour inclure des athlètes pratiquant le ski alpinisme, car ce sport englobe tous les aspects qui nous intéressent, notamment l'altitude, le déplacement vertical, l'endurance, tout en présentant une complexité énergétique notable. Aux Jeux Olympiques, les épreuves de ski-alpinisme sont de courte durée comme le sprint et les relais. Le ski alpinisme offre une perspective intéressante pour nos recherches et nous pouvons en retour fournir des informations pertinentes aux entraineurs et aux athlètes.

 

MC : Quels sont les effets des épreuves d’ultra-trail sur la santé ?

GM : Pour le moment, nous ne disposons pas d'éléments suggérant que la pratique de l'ultra-trail serait néfaste, à l'exception peut-être des impacts sur les articulations. En ce qui concerne les aspects cérébraux et vasculaires, les intensités demeurent relativement modérées. Par exemple, il a été démontré que la force musculaire diminue moins à la fin du Tor des Géants par rapport à la fin de l'UTMB, malgré la durée plus longue de la première épreuve. En ralentissant le rythme, les dommages sont moins importants. La fatigue cardiaque suit une tendance similaire. Bien sûr, à l'arrivée, les participants sont extrêmement fatigués en raison de la privation de sommeil. Un point qui peut potentiellement poser problème est la combinaison de la privation de sommeil avec l'inflammation, du point de vue de la réponse cellulaire. Cependant, nous manquons encore de recul sur cette question, même si l'UTMB a déjà célébré ses 20 ans d'existence.

En ce qui concerne l'évaluation d'effets véritablement néfastes, je dirais que dès lors qu'une récupération appropriée suit une telle course, cela semble plutôt positif, à l'exception des impacts sur les cartilages, car il s'agit d'un puissant moteur de motivation. Les participants à ces courses sont conscients qu'une préparation adéquate est nécessaire pour ne pas compromettre leur santé, à moins d'agir de manière totalement insouciante. Il est important de noter que les ultra-traileurs ne s'entraînent pas nécessairement plus que les marathoniens. Ils sont soumis à des contraintes liées à leur disponibilité, telles que l'emploi et la famille, et s'ils en font trop d'un coup, ils risquent de se blesser, car il s'agit d'une activité exigeante pour l'appareil ostéo-articulaire.

 

MC : Quelles sont les études que vous menez avec des sujets cliniques ?

GM : Il est extrêmement difficile d'obtenir un financement du FNS pour des projets axés sur le sport. Mes premières études menées sur l’hypoxie ont été en partie financée par Swiss Olympic au début des années 2010. J'ai ensuite réussi à obtenir des financements du FNS pour des projets axés sur la santé. Par exemple, nous avons travaillé sur un projet impliquant des sujets nés prématurés (à moins de 30 semaines) âgés de 20 à 25 ans. Nous les avons emmenés en altitude, dans un refuge situé à 3'450 mètres, et nous leur avons fait passer des tests. Ce projet est désormais achevé.

Nous menons également des recherches approfondies sur les effets de l'altitude sur les femmes. Nous avons emmené des femmes valaisannes dans ce même refuge en altitude, et préalablement elles ont effectuées des tests à Sion à trois moments différents de leur cycle menstruel : au début  et  au milieu de la phase folliculaire et à la fin du cycle (phase lutéale). Les variations hormonales associées à ces phases peuvent influencer divers aspects de la réponse des femmes, notamment leur réponse ventilatoire et la microcirculation. Ce projet est toujours en cours, et son objectif est de déterminer si les femmes présentent un risque accru de mal aigu des montagnes, statistiquement suggéré, en fonction de la phase de leur cycle menstruel. Cette recherche pourrait aider les femmes qui envisagent de gravir un sommet de décider si elles devraient préférer la première moitié de leur cycle menstruel ou la seconde.

Les questions relatives au cycle menstruel et à la pratique sportive suscitent un grand intérêt parmi les athlètes féminines. Il existe actuellement des théories suggérant que pendant la première phase du cycle, les femmes développent davantage de masse musculaire, ce qui pourrait favoriser des séances de musculation à ce moment-là. En revanche, pendant la période ovulatoire, une plus grande laxité peut augmenter le risque de blessures, ce qui devrait inciter à la prudence. Enfin, dans la phase lutéale, il pourrait être bénéfique de privilégier des activités axées sur l'endurance. Les effets combinés avec l’altitude restent méconnus.

Suivez nous:  
Partagez:
Site de Sion - Ch. de l’Institut 18 - 1967 Bramois/Sion
Suisse
Tél. +41 27 205 73 22