Christophe Clivaz
Christophe Clivaz est professeur associé à l'Institut de géographie et durabilité de la Faculté des géosciences et de l'environnement. Il est également conseiller national. En 2019, il était à la tête du projet « Les refuges comme observatoire de la transition récréative en haute montagne », un des quatre projets seed funding soutenus par le CIRM cette année-là.
Entretien du 18 novembre 2020
Mélanie Clivaz (MC) : Pourquoi ce projet sur les refuges de montagne?
Christophe Clivaz (CC) : Il y a une évolution des pratiques sportives en montagne et des métiers qui sont associés à ces pratiques. Il y a un intérêt grandissant pour des activités comme le trail, le VTT ou encore la randonnée à ski. L’évolution de ces pratiques a un impact sur les activités des gardiens de refuges, des guides de montagne ou des accompagnateurs de moyenne montagne. L’idée de ce projet était donc d’étudier l’évolution de ces métiers, mais aussi de voir dans quelle mesure on pourrait prendre le refuge comme lieu d’entrée pour l’observation des pratiques sportives et récréative en montagne et pour l’observation de la montagne en général sous l’angle notamment du changement climatique. Le projet faisait écho au projet Refuge Sentinelle qui existe en France depuis quelques années.
MC: Vous avez organisé plusieurs ateliers avec des professionnels de la montagne, comment s’est passée cette collaboration ?
CC: Lorsqu’on demande leur avis, les milieux professionnels de la montagne se montrent intéressés à s’investir et à collaborer. Il y avait des guides de montagne, des accompagnateurs de moyenne montagne et des gardiens de refuges. L’enjeu est de trouver le moment idéal dans l’année pour organiser ce genre d’atelier car ils ont bien évidemment leurs propres agendas et leurs propres contraintes professionnelles. L’idée était aussi d’enrichir notre questionnement par rapport à leurs problématiques et leurs manières de percevoir les enjeux.
MC : Quels sont vos premiers résultats ? La pratique de la montagne évolue-t-elle ?
CC : Nous avons identifié une série d’évolutions des pratiques de la montagne qui impliquent de grands changements pour les guides et pour les gardiens de refuges. En lien avec le changement climatique, les professionnels de la montagne se questionnent par rapport à l’avenir, notamment par rapport aux problèmes logistiques comme celui de l’approvisionnement en eau, mais également la modification des itinéraires due aux aléas naturels ou encore le déplacement de certaines courses dans la saison. Il y a d’autres enjeux également qui ont été relevés par les professionnels : la responsabilité civile en cas d’accident, la formation sur les enjeux de la durabilité en général, etc. Ce projet nous a permis de préciser quels étaient les enjeux pour ces milieux professionnels et la disponibilité des acteurs à creuser ces aspects-là.
MC : En 2020, vous avez décroché un financement Lead Agency pour un projet qui porte également sur les refuges comme observatoire de la transition touristique. Quel est le lien avec le projet de 2019 ?
CC : C’est un projet qui a été directement développé à partir des résultats du projet Seed funding de 2019 avec les partenaires français qui s’occupent de Refuge Sentinelle. Le projet a vraiment été déposé sur la base de l’expérience du projet Refuge Sentinelle et des enseignements tirés du Seed funding. Il est évident que nous n’aurions pas pu déposer ce projet sans avoir eu en amont ce Seed funding. Le projet sera lancé en avril 2021.
MC : Quel seront les objectifs de ce nouveau projet ?
CC : Il y a trois axes qui sont explorés. Le premier objectif est de retracer et mesurer la fréquentation de la montagne. Il s’agira notamment de tester des méthodes (caméras, capteurs, etc.) pour essayer de voir les flux de randonneurs, de trailers, de vététistes, de skieurs de randonnée dans la montagne pour en connaître un peu plus sur les flux. Cela peut aussi être la mesure du passage dans les refuges.
Le deuxième axe concerne l’évolution des métiers associés à ces pratiques, notamment des métiers de gardiens de cabane, de guides de montagne ou d’accompagnateurs en moyenne montagne. Les fédérations professionnelles suisses et françaises ont d’ailleurs apporté leur soutien au projet au moyen de lettres de soutien. Il s’agira notamment de comprendre l’évolution de ces métiers dans le contexte de changement climatique, mais également par rapport aux aspects de sécurité et de responsabilité civile. Pour ces métiers, il y a également des enjeux sur la formation.
Le troisième axe concerne le rôle potentiel des refuges dans le fonctionnement de l’écosystème touristique en montagne. Jusqu’à aujourd’hui, on a beaucoup été focalisé sur la station et le domaine skiable qui est accolé à cette station et on s’est moins intéressé à ce qu’on appelle la « montagne peu aménagée ». On se pose la question du rôle des refuges dans cette montagne peu aménagée. L’idée est de faire l’hypothèse qu’il y a une transition et qu’ils ont un rôle à jouer dans la gouvernance de ces pratiques et activités qui prennent de l’importance. A l’avenir, pour les territoires touristiques, le vrai enjeu et le potentiel de développement se trouvera peut-être dans cette montagne peu aménagée alors qu'à l’intérieur du périmètre de la station, l’enjeu est de maintenir ce qu’il y a maintenant sans grand potentiel de développement.
MC : Qui sera impliqué dans ce projet ?
CC : Du côté français, le projet est piloté par l’Université Grenoble-Alpes et les chercheurs Philippe Bourdeau et Marc Langenbach, tandis que du côté suisse, le projet est piloté par Laine Chanteloup et moi. Pour mener à bien ce projet, deux postes de doctorants ainsi qu’un poste d’ingénieur de recherche seront mis au concours. Une personne sera engagée à 20% à l’UNIL pour assurer la coordination de l’ensemble du projet, car il y aura beaucoup d’échanges avec les acteurs du terrain, des ateliers à organiser, etc.
MC : Les acteurs de terrain seront-ils impliqués dans cette nouvelle phase du projet ?
CC : Oui, nous prévoyons de les impliquer dès le début, notamment pour finaliser les questions de recherche.
MC : En parallèle à ta carrière de professeur, tu mènes une carrière politique puisque tu es conseiller national. Est-il difficile de porter ces deux casquettes ?
CC : Oui. Il est notamment important de toujours préciser à quel titre je parle, notamment lors des interventions avec les médias. Quand je donne des conférences, en général on sait à quel titre je suis là. Il faut faire attention. Le plus difficile, c’est que ce sont deux milieux (politique et académique) qui travaillent avec des logiques assez différentes : le monde politique est plutôt dans le court terme et dans la réaction à l’actualité alors que dans le monde universitaire, on travaille plus sur le moyen-long terme.
Une des difficultés pour moi est de gérer l’agenda entre la recherche et la politique. L’enjeu est de m’offrir des plages un peu plus tranquilles pendant au moins une journée pour essayer d’avancer sur des projets. Cependant, la politique ne peut pas attendre des réactions pendant 24 heures ; quand il y a des choses qui se passent, il faut être présent tout de suite. Au Conseil National nous n’avons pas un agenda régulier sur l’année : nous avons 4 sessions dans l’année où nous sommes 3 semaines à Berne. S’il se passe quelque chose au niveau du travail universitaire durant ces trois semaines, cela devient un peu compliqué.
Une partie du monde scientifique considère que ce n’est pas compatible d’être un chercheur et de faire de la politique. J’ai l’impression que sur certaines thématiques, les scientifiques ont envie d’être plus présents dans le débat comme experts, mais franchir le pas de s’engager en politique, c’est encore difficilement compatible, notamment quand l’activité politique prend du temps. Avoir une activité annexe dans un parlement ou dans une commune n’est, à mon avis, pas trop compliqué. C’est toutefois compliqué de mettre cela en parallèle à une carrière académique, car dans le monde académique, tout le monde travaille à 100% et 100% c’est peu dire. D’ailleurs il est difficile parfois pour moi de faire comprendre que je ne suis pas à 100% et que je ne peux par conséquent pas faire la même chose qu’un chercheur employé à 100%.
Ce sont deux mondes complètement différents mais assez compétitifs où il faut savoir tout ce qu’il se passe. Je ne peux pas aller à toutes les séances à l’UNIL, mais je dois quand même être à jour ; il faut donc que je relise tous les PV, par ex. en ce qui concerne l’institut afin d’éviter de manquer quelque chose. Au niveau politique, en tous cas dans mon groupe politique, il y a une majorité de personnes qui font uniquement de la politique ou presque. Mais c’est un choix que j’assume car l’enseignement et la recherche me nourrissent.
Où la double casquette suscite un intérêt, c’est auprès des médias. Le fait d’être à l’interface entre le politique et le monde scientifique, c’est quelque chose qui intéresse certains médias.