Biais de genre dans le recrutement académique

Les stéréotypes de genre, c’est quoi ? | Stéréotypes de genre & recrutement académique | Références
 

Les stéréotypes de genre, c’est quoi ?

Notre cerveau enregistre et catégorise automatiquement autrui en fonction de son sexe, ainsi que d’autres caractéristiques telles que l’âge, la couleur de peau, etc. Ce mécanisme cognitif de catégorisation nous permet de trier et réduire la masse d’information que nous recevons, d’interagir et de prendre des décisions rapidement. C’est un mécanisme inconscient naturel.

Toutefois, les stéréotypes ont un effet néfaste, car ils sont la plupart du temps erronés : ils simplifient à l’extrême les groupes qu’ils prétendent décrire et ignorent la complexité individuelle et la diversité au sein d’un groupe. Seul un auto-examen critique permet de les remettre en question.

Les stéréotypes de genre concernent les croyances socialement construites à propos de la féminité et de la masculinité, des compétences et des caractéristiques distinctes dont hommes et femmes disposeraient. Ainsi, les hommes sont en général considérés comme plus brillants et compétents que les femmes, dotés d’un esprit rationnel et d’un tempérament de leader. Les femmes, à l’inverse, sont considérées comme moins compétentes, plus émotives et chaleureuses.

Ces stéréotypes de genre créent non seulement une différence entre hommes et femmes, mais ils suggèrent également l’existence d’un ordre hiérarchique dans l’évaluation de ces différences. Par conséquent, les candidates féminines ont intrinsèquement moins de chances que les hommes d’être perçues comme remplissant les critères d’excellence scientifique et de leadership associés au professorat. 

Stéréotypes de genre & recrutement académique

Les stéréotypes de genre sont problématiques car ils interfèrent avec les critères de sélection établis pour le recrutement et avec les mérites supposés des candidat·e·s. Ils peuvent mener à des décisions biaisées, à l’encontre des principes méritocratiques et égalitaires prônés par l’université.

Par exemple, une étude menée auprès de membres d’une faculté des sciences aux Etats-Unis a montré qu’un même CV est évalué différemment lorsqu’il porte le nom de John ou de Jennifer (Moss-Racusin et al., 2012). Le candidat masculin a significativement plus de chances d’être recruté : son profil est considéré comme correspondant mieux au poste, un salaire plus élevé lui est proposé et davantage d’opportunités de coaching/mentoring lui sont offertes. Les résultats montrent aussi que ces biais de genre sont partagés autant par les hommes que les femmes ayant participé à l’étude.

Tout le monde est influencé par les stéréotypes de genre. Les biais de genre n’émanent pas d’une volonté de nuire à un groupe particulier mais bien d’un réflexe cognitif. Il est donc essentiel d’en prendre conscience lorsqu’on endosse un rôle d’évaluateur·trice.

Double standard d’évaluation

La notion de « double standard » désigne les différences d’appréciation des compétences des individus en fonction de leur appartenance à une catégorie sociale particulière. Le sexe, mais aussi la classe sociale ou l’ethnicité, peuvent constituer la base d’un traitement différencié. Les personnes appartenant au groupe dévalorisé ou de statut inférieur sont évaluées de manière plus stricte. À l’inverse, les individus de la catégorie sociale valorisée sont évalués selon des standards moins élevés et de manière plus positive.

Puisque les compétences attribuées génériquement aux femmes ne correspondent pas à celles valorisées pour la carrière académique, les femmes ont tendances à être considérées comme moins compétentes que les hommes dans ce domaine et leurs dossiers peuvent être évalués de manière plus stricte.

Une étude suédoise basée sur les évaluations des candidatures pour des bourses de recherche en médecine illustre bien ce phénomène (Wennerås & Wold, 1997). À productivité scientifique égale, la compétence scientifique des candidates a été jugée plus basse que celle des candidats. Les résultats montrent que pour obtenir un score équivalent, les femmes devaient être 2.5 fois plus productives que les hommes. Une étude américaine basée sur les parcours professionnels de 500 scientifiques en management confirme ces résultats : à performances équivalentes, les femmes reçoivent moins de reconnaissance pour leur travail (Treviño et al., 2015). Dix ans après l’obtention du doctorat, les chercheuses ont significativement moins de chances d’être professeures que les chercheurs. Ces analyses prennent en compte l’influence d’une série de facteurs tels que les années d’expérience, le nombre de publications, la discipline, la mobilité et la parentalité.

Par ailleurs, une recherche basée sur les rapports des commissions de présentation à l’UNIL montre que des caractéristiques similaires chez des candidates et des candidats à un poste professoral peuvent donner lieu à des interprétations différentes (Carvalho, 2010). Par exemple, une jeune candidate sera considérée comme inexpérimentée alors qu’un candidat du même âge sera présenté comme dynamique et prometteur. Les travaux de vulgarisation seront considérés comme peu scientifiques pour les femmes mais, du côté des hommes, comme porteurs pour la société.

Pour contrer l’effet discriminatoire du double standard d’évaluation, il est important de définir a priori les critères recherchés pour un poste et de les appliquer selon les mêmes standards à l’ensemble des candidat·e·s.

Think leader, think male ?

Lorsqu’on se représente une image de leader, nos stéréotypes nous conduisent à penser à un homme plutôt qu’à une femme. Une expérience simple illustre ce phénomène : lorsqu’une femme préside une table de réunion où il y a également des hommes, on ne l’identifie pas systématiquement comme étant la cheffe. Mais dans le cas inverse, le chef est immédiatement identifié. Pourquoi ?

Cela est dû au fait que les caractéristiques attachées au leadership sont associées aux hommes : assurance, ambition et rationalité. A l’inverse, la sensibilité, la collaboration et l’empathie sont plus souvent attribuées aux femmes. Et lorsqu’une femme affiche un type de leadership typiquement masculin, elle transgresse les normes de genre et s’expose à la critique : elle peut alors être jugée de manière négative car considérée comme antipathique, agressive, etc., ce qui affecte ses perspectives d’avancement de carrière.

À l’université, l’excellence est construite sur la base d’éléments relevant de parcours professionnels masculins et dans l’imaginaire collectif, le scientifique est typiquement un homme plutôt qu’une femme. Or, ces stéréotypes de genre risquent de biaiser les procédures de recrutement aux postes professoraux. En effet, tous les hommes ne sont pas forcément ambitieux et toutes les femmes ne sont pas forcément sensibles. De plus, les caractéristiques considérées comme typiquement féminines telles que sensibilité, collaboration et empathie sont également des atouts pour les postes professoraux. L’université a donc tout à gagner à ce que ces compétences soient valorisées, ce aussi bien pour les candidates que les candidats.

Représentations genrées de la science et de l’excellence

La science et l’excellence sont automatiquement associées à une figure masculine. Lorsqu’on pense à un·e scientifique, on se représente généralement un homme plutôt qu’une femme. On associe plus volontiers le génie et l’intelligence « pure » aux hommes qu’aux femmes. De plus, la carrière scientifique « typique » reflète une trajectoire professionnelle masculine, où l’activité de recherche est intensive, ininterrompue et où la progression est linéaire. Or, cet idéal est défavorable aux chercheuses, car ces dernières sont davantage susceptibles d’avoir connu des interruptions pour des raisons familiales, d’avoir eu des contrats temporaires, d’avoir travaillé à temps partiel ou d’avoir des charges d’enseignement relativement importantes. Pourtant, la qualité de leur candidature n’en est pas pour autant moins bonne.

Le questionnement de la carrière linéaire comme modèle unique de succès est utile pour prendre en compte les mérites des candidat·e·s de manière plus équitable. D’ailleurs, une analyse des trajectoires des lauréat·e·s des bourses de recherche européennes (ERC) a montré que la carrière académique linéaire ne reflète qu’une partie des parcours professionnels des chercheurs et chercheuses (Vinkenburg, Herschberg, Connolly, & Fuchs, 2014). Les autres boursier·e·s - tout aussi excellent·e·s puisque primé·e·s - ont suivi des trajectoires non conventionnelles, parfois marquées par des interruptions. En pénalisant a priori des trajectoires alternatives, on risque d’écarter des candidatures de qualité, notamment féminines.

Le spectre de la maternité

La figure du scientifique est construite autour de l’idée d’une dévotion totale et ininterrompue à la recherche. Or, cette figure est en contradiction avec l’image et les normes sociales à propos de la parentalité, qui elle aussi est considérée comme une activité intensive, surtout pour les mères. Lors des procédures de recrutement, les charges familiales supposées ou réelles sont souvent relevées pour les candidatures féminines, mais elles demeurent invisibles dans l’analyse des dossiers masculins. En effet, la paternité n’est pas considérée comme impliquant un engagement aussi important que la maternité.

La recherche confirme l’existence d’une discrimination envers les mères. Un même CV, alternativement présenté comme celui d’un homme, d’une femme, d’un père ou d’une mère, a été évalué différemment par les participant·e·s d’une étude aux Etats-Unis. Les résultats indiquent que les mères avaient significativement moins de chances d’être recrutées, étaient considérées comme moins compétentes, étaient évaluées selon des standards plus stricts, et avaient de moindres perspectives de promotion et de salaire que les autres candidat·e·s. Ce mécanisme de discrimination est dû aux stéréotypes de genre à propos des mères, qui sont considérées comme moins compétentes.

Dans le monde académique, de tels biais de perception sont présents : les chercheuses sont considérées comme des mères potentielles, pour qui la parentalité aura un impact négatif sur leur production scientifique. Pourtant, parmi les jeunes générations, les chercheuses et chercheurs ont une productivité scientifique comparable. Lorsqu’on prend en compte le nombre d’années effectives de recherche, le biais introduit par le phénomène d’auto-référencement, et la position ainsi que les ressources institutionnelles des individus, les différences de publications entre hommes et femmes disparaissent.

La préférence pour “l’entre soi”

L’homophilie est le mécanisme par lequel nous avons tendance à nous sentir plus à l’aise et à nous rapprocher de personnes qui ont des caractéristiques similaires aux nôtres et avec lesquelles nous pouvons nous identifier (par exemple le sexe, l’âge, la classe sociale ou l’origine nationale ou ethnique). Ce mécanisme joue dans les procédures de recrutement, car la personne nominée est un·e futur·e collègue, avec qui les membres de la commission devront probablement travailler. De ce fait, les candidatures dont le profil est similaire à celui des évaluateurs et des évaluatrices risquent d’être avantagées indépendamment de leur mérite scientifique ou au détriment d’autres candidatures de qualité. La diversité homme-femme de la composition des commissions de présentation est donc particulièrement importante pour éviter un tel phénomène de « gatekeeping ».

L’homosocialité implique, par exemple, que les personnes de même sexe tissent des liens amicaux et/ou professionnels informels entre eux et fassent partie d’un même réseau de connaissances. Le réseautage est un aspect important pour l’avancement de la carrière académique, il permet de se faire connaître et d’obtenir des appuis lors des mises au concours. Les postes universitaires supérieurs étant occupés principalement par des hommes, les candidates sont défavorisées, car moins intégrées dans ces réseaux de sociabilité.

La présence de femmes dans les commissions de présentation est importante pour rendre le recrutement plus égalitaire et réduire les effets d’homophilie et d’homosocialité. Mais cela n’est pas suffisant, et un autre phénomène, connu sous le nom de « queen bee », peut également influencer la procédure. En effet les femmes seniors qui ont réussi dans un milieu particulièrement masculin, tel que l’université, peuvent avoir tendance à se distancier des femmes de la relève, à avoir des stéréotypes à leur propos et à nier l’existence de discriminations. Ce phénomène est particulièrement présent parmi les femmes seniors qui ont connu de nombreux obstacles dans leur propre parcours professionnel. En conclusion, il ne faut pas partir du principe que les membres femmes d’une commission de présentation seront automatiquement sensibles aux stéréotypes de genre. La sensibilisation de tou·te·s les membres de la commission - hommes et femmes - est donc essentielle.

 

Effets solo et halo

L’effet solo fait référence au fait d’être l’unique membre d’une catégorie sociale dans un groupe, par exemple une femme parmi un groupe d’hommes. La personne du groupe minoritaire est désavantagée, car elle devient particulièrement visible : son travail est jugé de façon plus critique, les différences avec le groupe majoritaire sont accentuées et elle se voit cantonnée à des rôles d’autant plus stéréotypés. Une telle situation peut affecter le bien-être de la personne du groupe social minoritaire, et elle devient un alibi – on parle alors de « tokenism ».

Plus grave encore, cette situation peut affecter les performances de la personne. Par exemple, une recherche aux Etats-Unis montre que les femmes ont de moins bonnes performances pour une même tâche lorsqu’elles la réalisent dans une situation « solo » qu’en compagnie d’autres femmes (Sekaquaptewa & Thompson, 2003). Ce mécanisme vaut pour des tâches où leur performance pourrait confirmer un stéréotype négatif qui les concerne, par exemple, les moindres compétences des femmes en mathématiques, ou lorsque le public est uniquement masculin. Ceci est le résultat d’un mécanisme appelé « stereotype threat ». En étant l’unique représentante d’une catégorie sociale, une personne est davantage vulnérable aux stéréotypes qui lui sont attribués et ses performances en sont affectées. Une autre étude montre cependant que des messages qui contredisent les stéréotypes négatifs associés aux femmes permettent de réduire cet effet sur les performances (Davies, Spencer, & Steele, 2005).

Dans le contexte du recrutement professoral, l’effet solo implique qu’une candidature féminine unique dans un pool de candidatures masculines risque d’être définie par ce trait-là uniquement et d’être évaluée en fonction de stéréotypes de genre. À l’inverse, les candidatures masculines seront appréciées pour les traits et qualités qui les distinguent. De plus, les performances des candidates, par exemple lors d’un entretien avec la commission de présentation, peuvent être affectées lorsque cette dernière n’est composée que d’hommes.

L’effet halo fait intervenir un autre type de biais cognitif : sur la base d’une impression générale positive d’une personne ou de ses compétences dans un certain domaine, on a tendance à lui attribuer de manière infondée des compétences concernant d’autres domaines.

Dans le contexte du recrutement professoral, ce mécanisme a pour conséquence d’avantager certaines candidatures qui nous font bonne impression, qui ont une bonne réputation ou qui excellent particulièrement dans l’un des critères d’évaluation. Etant donné que les femmes sont exposées aux biais de genre, qu’elles sont jugées selon des doubles standards et qu’elles ont un réseau de soutien généralement plus restreint que les hommes, leur candidature risque d’être désavantagée. Prendre conscience de ce mécanisme est important : un candidat qui a été recommandé pour son excellent réseau risquera d’être évalué de manière plus favorable également pour d’autres critères d’évaluation (par exemple, la production scientifique ou l’enseignement). Il est donc crucial de considérer chaque critère de sélection de manière indépendante et d’évaluer les qualités de chaque candidature avec les nuances qui les caractérisent.

Références

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