La pragmatique étudie le rapport que les unités linguistiques entretiennent avec leur contexte, et en particulier leur contexte énonciatif, textuel et interactionnel. En ce sens, elle se refuse à travailler sur des unités isolées. Un tel objectif implique de privilégier une démarche « émergente » dans l’appréhension des phénomènes linguistiques, c'est-à-dire de considérer que la langue émerge de la parole en même temps qu’elle la structure.
En d’autres termes, la pragmatique entend étudier conjointement la mobilisation des unités linguistiques dans l’accomplissement d’activités pratiques et les contraintes que ces activités exercent sur l’utilisation de ces unités. Les unités linguistiques sont donc étudiées en tant que « formes pour et dans l’interaction ».
Cette démarche appelle une diversité d’approches, et notamment de travailler à l’intersection de la linguistique de l’énonciation (analyse des formes linguistiques en tant que traces d’opérations effectuées par les énonciateurs), de la linguistique textuelle (analyse des modes d’enchaînement des énoncés en termes de cohésion et de cohérence), de l’analyse conversationnelle (analyse des méthodes par lesquelles les locuteurs organisent et rendent reconnaissables leurs activités dans l’interaction verbale) et de la linguistique interactionnelle (analyse des formes morpho-syntaxiques telles qu’elles sont prises dans l’interaction).
Les phénomènes étudiés relèvent de divers ordres, parmi lesquels : les processus de construction, de co-construction et de réflexion dans l’élaboration des savoirs, linguistiques et non linguistiques; les pratiques de l’argumentation et du débat; les pratiques du raconter; les pratiques explicatives et plus généralement le caractère négocié de l’intercompréhension; la gestion de la participation dans les interactions institutionnelles; l’inscription de l’identité dans le langage-en-action. En outre, ces processus sont envisagés dans une perspective aussi bien monolingue que plurilingue.
Actuellement, deux thématiques font l’objet d’études communes : a) une réflexion sémiotique autour de la notion d’indice héritée de Peirce; b) une réflexion autour de la notion de réflexivité pour réinterroger des catégories apparemment stabilisées (notamment la notion de genres textuels).
Les phénomènes sont questionnés à partir d’une diversité de terrains : interactions médicales, communication publique et médiatique, interactions en classe, conversation quotidienne. Si cette variété permet d’atteindre un plus haut niveau de généralité, les terrains ne sont toutefois pas considérés comme de simples lieux d’apparition des pratiques étudiées : il s’agit à chaque fois de voir dans quelle mesure celles-ci participent à construire le cadre dans lequel elles s’inscrivent.
Penser les pratiques relativement aux terrains implique finalement une reconsidération de certains problèmes théoriques et méthodologiques généraux. Pour assurer la validité d’une analyse ne pouvant s’appuyer sur une représentativité statistique, il s’agit d’adopter au sein des sciences du langage une démarche qualitative prenant acte de l’importance des détails – saisis par une transcription fine des données – et de leur réunion en corpus structurés. C’est dans la rigueur des procédures de traitement et cette attention au détail des phénomènes que se fonde la pertinence des analyses. En outre, une approche attentive à la complexité des interactions verbales conduit à constater le caractère fondamentalement multimodal des pratiques : il s’agit non seulement d’associer l’analyse de la verbalité à une prise en compte de la mimo-gestualité (postures, gestes, mimiques) et de la proxémie (répartition des locuteurs dans l’espace), mais aussi de questionner l’opportunité de corpus hétérogènes, articulant documents écrits et données audio-visuelles. En ce sens, la construction des données et des corpus en pragmatique précède l’analyse tout autant qu’elle constitue un aboutissement théorique, analytique et méthodologique.