259 (2001/3) La Rationalité en Asie / Rationality in Asia - Edité par Johannes Bronkhorst

La rationalité est-elle universelle? Ou est-elle la prérogative de certaines civilisations, tandis que d'autres ne la possèderaient pas? Tout dépend, bien évidemment, de ce que l’on appelle "rationalité". La question est pourtant d’importance. Une certaine forme de rationalité a joué un rôle essentiel dans le monde occidental; on peut alors se demander si cette même forme de rationalité s'exprime également ailleurs, ou peut-être: si la rationalité s'exprime de la même façon ailleurs. En Asie, deux grandes civilisations dominent tout au long de l'histoire: celle de l'Inde et celle de la Chine. Ces deux civilisations sont profondément différentes l'une de l'autre. Mais ces différences concernent-elles également la rationalité? Et dans ce cas, certaines de ces différences sont-elles dues à une différence de rationalité, ou à une autre attitude par rapport à la rationalité? Voilà quelques-unes des questions qu'abordent les articles réunis dans ce volume.

SOMMAIRE

Johannes BRONKHORST - Avant-Propos (p. 5-6)

Johannes BRONKHORST - Pourquoi la philosophie existe-t-elle en Inde? (p. 7-48)

Cet article attire l'attention sur la présence en Inde d'une longue tradition de débat rationnel. Il compare cette présence avec l'absence d'une tradition similaire en Chine, et s'interroge sur la question suivante: pourquoi la Grèce et l'Inde semblent être les seules à avoir produit une telle tradition? Il se tourne ensuite vers la question centrale: pourquoi et comment cette tradition s'est-elle développée en Inde? Cette investigation passe par la scolastique bouddhique et par des fouilles archéologiques en Afghanistan, avant d'aboutir à une réponse plus ou moins probable.

Ben-Ami SCHARFSTEIN - Relativisme et unicité (p. 49-58)

L’article qui suit est une tentative de démontrer que les raisons pour lesquelles on néglige la philosophie non occidentale sont de mauvaises raisons, basées sur l’étroitesse d’esprit et l’ignorance. L’intérêt philosophique de la philosophie chinoise est illustré par certains arguments tirés du relativisme de Chuang-tzu (Zhuangzi), et l’intérêt philosophique de la philosophie indienne est illustré par l’attaque contre toute philosophie constructive de la part du sceptique et mystique indien, Shriharsha (Sriharsa). Lorsqu’on l’examine soigneusement, cas par cas, l’argument qui veut que des concepts non occidentaux perdent leur caractère culturel unique et leur pertinence philosophique lorsqu’ils sont traduits, s’avère exagéré et faux, eu égard à la déjà longue histoire des rencontres philosophiques entre différentes cultures.

Frits STAAL - Article one (p. 59-96)

Professor Bronkorst has characterized a particular tradition of rational inquiry (I’ll call it “B-rationality”) which he suggests Indians share with Euro-Americans but not with Chinese. Whether this is so should be decided by Sinologists. Section I argues that such issues are also within the jurisdiction of Universal Grammar which addresses, for example, nominalization. Chinese may not have a nominalizing suffix such as Sanskrit -ta or -tva (= Greek -tès or English -ty), but it possesses the nominalizing particle che that may distinguish “that which is white” from “white.” Greek and Indo-European happened by but Plato might have been Chinese. Section II discusses logical features of Universal Grammar. For example, all languages that possess negation (i.e., all human languages), adopt the principle of non-contradiction which expresses its basic property. Universal Grammar supports Quine’s statement that “the more absurd or exotic the beliefs imputed to a people, the more suspicious we are entitled to be of the translations.” Since B-rationality is one of infinitely many possible operations that owe their existence to the logical structure of human language, Section III does not ask whether it happens to be ubiquitous but why it is universally intelligible — like the principle of non-contradiction that all humans implicitly use but do not explicitly teach. Rules of grammar, including syntax, are “followed,” even if most of them remain unconscious. Syntactic structures may express logical structures as in the Sanskrit expression “A-iti cen na B-tvat” which expresses the same as “B therefore not-A.” B-rationality, explicit or not, can only be discussed in terms of rationality. Hence Article One of the Universal Declaration of Human Rights: “All human beings … are endowed with reason.”

Bart DESSEIN - Climbing a tree to catch fish: some reflections on Plato, Aristotle, and China (p. 97-126)

Scholarly opinion differs on the number of scientific traditions that developed in the history of mankind. Frits Staal (1993: 16) is of the opinion that there are three such traditions: the West Eurasian tradition which includes the European and Islamic scientific traditions, the Indian tradition, and the Chinese tradition. The Indian cultural tradition, as the Greek, and to the exclusion of the Chinese, is characterized by the accentuation of formal logic. This made some scholars claim that only two rational traditions can be differentiated: the Western and the Indian. We further may not overlook the impact of cultural (philosophical) borrowings in genuine developments. Some scholars have claimed that, e.g., Greek philosophy is indebted to Indian philosophy. Richard Garbe (1897: 39-46) ascribes a definite Indian influence to Pythagoras (6th. century BC) via way of Persia. Jean Przyluski (1932: 286) has laid emphasis on the Iranian borrowings in both the Greek and the Indian culture. This would practically reduce the number of scientific traditions to two: the Indo-Greek tradition and the Chinese tradition. For the Chinese tradition, we further have to take the impact of Indian Buddhism into account.

Christoph HARBSMEIER - La rationalité dans l’histoire intellectuelle de la Chine (p. 127-152)

Cet article traite de l’organisation et de la justification systématiques argumentatives du savoir en Chine traditionnelle. Il explore, notamment, les diverses manières par lesquelles l’administration bureaucratique de l’empire chinois a encouragé des approches hautement rationnelles envers l’organisation encyclopédique du savoir, dans de gigantesques manuels organisés sous l’autorité de l’état. Essentiellement, ce sont les besoins pratiques d’une vaste bureaucratie qui ont rendu la rationalité nécessaire. Historiquement, ce lien avec la bureaucratie impériale a imposé certaines limitations au nombre de sujets auxquels de libres arguments rationnels pouvaient être appliqués. D’un autre côté, il apparaît que tous ces facteurs ont laissé une vaste marge au doute et à l’argumentation rationalistes en Chine traditionnelle.

J. C. HEESTERMAN - Rituel et rationalité (p. 153-164)

C’est à partir de la réflexion sur la fête agonistique du sacrifice et de la réforme fondamentale du rituel sacrificiel qui s’ensuivit, que la pensée rationnelle se fit jour en Inde. On peut suivre ce développement dans la transition des joutes oratoires à énigmes concernant le bráhman (brahmodya) aux énoncés des textes rituels en prose (brahmana), qui remplacent l’énigme par les équivalences des éléments du rituel et ceux du macro- et du microcosme.

Jan E. M. HOUBEN - ‘Verschriftlichung’ and the relation between the pramanas in the history of samkhya (why did rationality thrive but hardly survive in kapila’s ‘system’? part II) (p. 165-194)

“Why did rationality thrive, but hardly survive in Kapila's system?” Problems in connection with this question have been investigated in this paper. ‘Rationality’ has been characterised in a general and loose way as an attitude which accords a high value to the ratio – that is, to reason and reasoning, reflected in reasoned argument – in arriving at reliable knowledge. To this corresponds an operational definition of rationality as the attitude which accords a high value to anumàna in arriving at reliable knowledge. Samkhya shared circumstances favoring reflection and reconsiderations of established beliefs with other early movements and schools. It is next argued that one factor contributing to the disappearance of the ancient Samkhya-text the Sastitantra, which apparently displayed a high degree of “rationality”, is the method of knowledge transmission: this was an extremely laborious process, presupposing devotion to a tradition. In the course of time, the method of knowledge transmission quite generally strengthened and reinforced traditionality, and marginalized rational criticism on traditional truths, by some sort of “natural selection”. This happened also in Sàmkhya which gradually transformed from a relatively heterogeneous rational movement (reflected e.g. in passages in the Mahabharata) into the doctrinal system represented in the Samkhya-Karikas. Further questions regarding rationality and irrationality are addressed in connection with the developments observed in Samkhya.

Johannes BRONKHORST - Pour comprendre la philosophie indienne (p. 195-222)

Cet article souligne l'importance de la tradition de débat rationnel pour le développement de la philosophie indienne. Le rôle central de cette tradition nous permet souvent de découvrir la logique interne de ce développement. Les doctrines d'école furent constamment soumises à la critique impitoyable des penseurs d'autres écoles. Les modifications et innovations qui résultent de cette interaction intellectuelle entre penseurs expliquent une grande partie des développements des écoles de pensée indiennes.

Noms et adresses des auteurs (p. 223)

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