269 (2004/4) Poétique d'Aristophane et langue d'Euripide en dialogue - Edité par Claude Calame

L'image critique et parodique qu'Aristophane nous donne de la tragédie attique est bien connue, en particulier à travers le conflit supposé entre Eschyle et Euripide. Mais, en retour, on a été jusqu'ici peu sensible aux aspects finalement euripidéens du langage et de la rhétorique de ses comédies elles-mêmes, dans un contexte politique et intellectuel identique. En fait, tout en critiquant les procédures poétiques de sa cible tragique préférée, Aristophane le comique reprend souvent dans ses propres drames des partiques analogues, dans la transgression des règles du genre. La parodie d'Euripide ne fait qu'enrichir une poétique, une esthétique qui sont loin d'être aussi conservatrices qu'on a voulu l'affirmer ; ceci autant du point de vue du rythme métrique adopté dans les dialogues (M. Steinrück), de l'usage métaphorique et scénique des objets (F. Müller) ou des procédures de l'objectivation verbale (M. Vamvouri), des stratégies rhétoriques évoquant l'art des sophistes (P. Voelke), des ressorts du tragi-comique par les jeux du masque (O. Thévenaz) ou encore de la dérision du pouvoir créateur de l'auteur comique lui-même (D. Bouvier). « La tragédie d'Aristophane », c'était l'intitulé de la quatorzième rencontre à Lille des enseignants et doctorants en poétique grecque des Universités de Cornell, Harvard, Lausanne, Lille 3 et Princeton ; les contributions lausannoises à ce colloque composent le présent volume.

SOMMAIRE

Introduction de Claude CALAME - Poétiques grecques en réseau (Cornell, Harvard, Lausanne, Lille 3, Princeton) (p. 3-8)

David BOUVIER - «Rendre l'homme meilleur!» Ou quand la comédie interroge la tragédie sur sa finalité: à propos des Grenouilles d'Aristophane (p. 9-26)

Critiquant l'interprétation, historiquement marquée, de Werner Jaeger qui insistait sur l'ambition éthique d'Aristophane militant, dans les Grenouilles, pour une poésie susceptible d'éduquer les citoyens, cette étude se concentre plus spécialement sur la devise, revendiquée par le personnage d'Euripide, d'une poésie capable de «rendre l'homme meilleur». Mot d'ordre sérieux? Certains l'ont affirmé. Mais Aristophane joue du double sens du verbe poiein, «créer» et «procréer», pour soumettre la création poétique et la responsabilité du poète à une série d'exigences aristocratiques qui se révèlent, dans la crise que traverse Athènes à la fin du Ve siècle, dérisoires.

Frank MÜLLER - Vers armés et «perte de fiole» : transactions tragi-comiques de mots et d'objets dans les Grenouilles d'Aristophane (p. 27-58)

Dans le cadre de l'agôn entre deux poètes tragiques intervenant comme des figures comiques dans les Grenouilles d'Aristophane, les mots constituent les armes proprement dites de la joute verbale et acquièrent un poids métaphorique. Les vers tragiques cités, parodiés, commentés, jouent ainsi le rôle d'armes comiques. Inversement, dans la fameuse scène du lécythe, Eschyle exerce sa critique sur les prologues d'Euripide en interrompant et en adaptant tout à la fois les vers de ce dernier au moyen d'un objet qui acquiert par ce biais une substance verbale. Un jeu s'opère ainsi entre les mots et les objets, le verbal et le matériel, et ce dans le prisme de la superposition des registres comique et tragique.

Martin STEINRÜCK - Sur le parfum tragique des côla métriques chez Aristophane (p. 59-70)

Du point de vue métrique, le trimètre iambique de l'iambos archaïque ne ressemble pas du tout au trimètre comique. On dirait plutôt que c'est la tragédie d'Eschyle qui a repris Archiloque, et non pas Aristophane. Nous expliquons le paradoxe par une «re-rythmisation»; l'ambivalence de ce processus est encore visible au Ve siècle. Il y a donc deux traditions rythmiques à l'époque d'Aristophane: une ancienne et une nouvelle. C'est dans leur jeu qu'on peut trouver un rythme «tragique» propre au discours comique.

Olivier THÉVENAZ - Comment déjouer la tragédie? Marques tragiques et travestissements comiques dans l'Amphitryon de Plaute et les Acharniens d'Aristophane (p. 71-94)

Malgré l'absence de lien direct entre comédie ancienne et comédie latine, comparer la «tragédie de Plaute» à la «tragédie d'Aristophane» permet de distinguer des spécificités de leurs poétiques respectives. Dans la comédie à sujet tragique qu'est l'Amphitryon de Plaute, Mercure affirme qu'il pourrait certes transformer la tragédie en comédie sans changer un seul vers, mais que les différents statuts sociaux des acteurs en font nécessairement une pièce hybride, une «tragi-comédie». En prenant ces explications au mot, on constate que l'ambiguïté du genre se reflète dans des stratégies de dédoublement et de travestissement que l'on peut comparer à celles qui sont à l'oeuvre dans les Acharniens d'Aristophane, définis par le protagoniste comme une «trugédie». Même si leur étude révèle, au niveau des formes et des déguisements, des dialectiques assez différentes dans les pièces latine et grecque, les jeux avec l'illusion, instruments de la déconstruction comique du tragique d'Euripide en particulier, apparaissent comme des éléments constitutifs de l'art dramatique de ces deux auteurs.

Maria VAMVOURI-RUFFI - Interprétations comiques des métaphores d'Euripide dans les Grenouilles d'Aristophane (p. 95-116)

Euripide est une source d'inspiration majeure pour le projet comique d'Aristophane. Un examen attentif des paroles de Dionysos dans les vers 96-107 et 307-11 des Grenouilles permet de le comprendre. Le dieu utilise en effet des expressions empruntées à Euripide dont la teneur métaphorique non seulement matérialise verbalement des entités abstraites, mais va jusqu'à les présenter comme des éléments concrets, dotés d'une consistance solide. Au terme d'une analyse centrée sur les modalités de ces emprunts métaphoriques, sur le contrat interprétatif différent qui leur est réservé d'un genre à l'autre ainsi que sur l'effet comique de leur emploi dans la pièce d'Aristophane, on comprend que les métaphores d'Euripide contribuent à la création d'un monde fabuleux où l'abstrait, le concret et le banal se côtoient sans cesse et constituent un contrepoids à l'élévation morale et spirituelle, proposée par Eschyle.

Pierre VOELKE - Euripide, héros et poète comique : à propos des Acharniens et des Thesmophories d'Aristophane (p. 117-138)

Par l'inventivité et l'habileté qui le caractérisent, l'Euripide d'Aristophane présente des similitudes tout à la fois avec la figure du héros et celle du poète comiques. Tout en suggérant de telles similitudes, Aristophane en fait payer le prix au poète tragique par diverses stratégies. Ainsi dans les Acharniens, Euripide se voit dépouillé de son propre art par un Dikaiopolis qui utilise contre lui le harcèlement rhétorique dont Euripide a montré l'exemple à travers son héros Télèphe. Dans les Thesmophories, Euripide se voit transformé en poète comique, à travers le reproche qui lui est fait de «mal parler des femmes», et il ne parvient à ses fins qu'en se prêtant à un jeu qui évoque la comédie la plus ordinaire, celle précisément dont Aristophane lui-même prétend se démarquer.

TABLE DES MATIÈRES 2004 (p. 139-141)

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ISBN 978-2-940331-06-2

Dans la presse :

L'Antiquité classique 75 2006, p. 285-286

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