322 (2023/4) Antoine Meillet. Regards linguistiques et historiques sur sa vie et son œuvre

Professeur à l’École pratique des hautes études et au Collège de France, célèbre comparatiste et spécialiste de quasiment toutes les langues indo-européennes, le Français Antoine Meillet (1866-1936) fut considéré comme un maître des études linguistiques. Aujourd’hui encore, il est, par ses travaux, presque unanimement reconnu comme une figure incontournable de la discipline linguistique.

Consacré à la vie et à l’œuvre de Meillet, ce numéro réunit des réflexions à la fois linguistiques et historiques, des réévaluations des apports de ses orientations significatives (la linguistique grecque, la linguistique arménienne, les études homériques) et des contributions abordant des aspects encore peu traités de son héritage.

ZOOM SUR L’OUVRAGE

SOMMAIRE

Robin Meyer, Sébastien Moret — Introduction (p. 7-14)

Regards linguistiques

Daniel Kölligan — Ἀκίνητα καὶ κεκινημένα: notes sur les études d’Antoine Meillet sur le grec et l’indo-européen (p. 17-42)

Prenant comme exemples trois articles d’Antoine Meillet sur une question de reconstruction indo-européenne, sur une question de langue homérique et sur le développement des conjonctions, cet article montre que non seulement les questions abordées par Meillet, mais fréquemment aussi ses réponses sont encore pertinentes aujourd’hui, sinon toujours de dicto, du moins souvent de sensu, et que même sa présentation des données invite à une relecture profitable.

Martina Astrid Rodda — Antoine Meillet et la langue homérique: au-delà du «Parryisme» (p. 43-72)

Le rôle d’Antoine Meillet dans le développement de la théorie de l’oralité fut décisif: les contributions les plus récentes soulignent la continuité intellectuelle entre Meillet et Milman Parry, et le rôle essentiel que les idées du premier ont joué dans l’œuvre du second. Notre article examine dans quelle mesure les travaux de Meillet ont contribué à façonner le domaine des études homériques indépendamment ou parallèlement à Parry, en nous concentrant sur les écrits de Meillet sur les éditions homériques et sur la manière dont ceux-ci se reflètent dans des débats éditoriaux récents. Ce faisant, nous cherchons à montrer l’importance de l’héritage intellectuel de Meillet pour les études homériques au-delà du discours sur Meillet en tant que professeur de Parry.

Robin Meyer — Antoine Meillet, parrain de la linguistique arménienne (p. 73-96)

Alors que Heinrich Hübschmann est généralement considéré comme le fondateur de la linguistique arménienne moderne, les travaux d’Antoine Meillet dans ce domaine ont eu, durant tout le XXe siècle, et ont encore un impact plus profond et continu. Cet article examine son rôle dans le développement d’un nombre de sous-disciplines au sein de la linguistique et de la philologie arméniennes, notamment l’étymologie, la reconstruction et la phonologie historique, la syntaxe diachronique, les études de contact des langues et de traduction. En raison de la pertinence continue de son travail, Meillet mérite la même reconnaissance que son collègue allemand, à savoir celle de «parrain» de la linguistique arménienne.

Regards historiques

Francis Gandon — «J’avais rêvé un peu mieux.» Les désillusions du jeune Antoine, linguiste et voyageur en Arménie en 1891 (p. 99-124)

En 1891, Meillet entreprend un voyage de trois mois au Caucase, pour mettre en pratique et asseoir ses connaissances d’arménien. Durant ce séjour (Tiflis, Etchmiadzine, plaine de l’Ararat…), il se plaint constamment, dans sa correspondance et son journal, de la pauvreté des échanges, de la langue corrompue des journaux, de la faiblesse de la littérature. Il n’est pas jusqu’aux manuscrits du couvent d’Etchmiadzine qui ne soient décevants. Concomitamment, le jeune chercheur adopte, concernant l’histoire de la région et les tensions qui la travaillent, le superbe isolement de l’intellectuel impartial, renvoyant dos à dos les parties en présence (Arméniens et Turcs, Arméniens et Russes). De là un double paradoxe: Un séjour désenchanté, qui a pourtant forcément joué un rôle illuminateur et cathartique vu la carrière ultérieure du savant «auquel il faut toujours revenir en matière d’arménologie» (R. Grousset) et dont l’œuvre est imprégnée d’arménien de manière quasi chronique et souvent dans des travaux improbables; une antithèse entre une langue conçue comme un objet neutre (non problématique) et une conception ultérieure de la langue comme «objet social», la linguistique cousinant désormais avec la sociologie. Ce dernier paradoxe conduit en réalité à une contradiction à peu près inexplicable qui s’apparente plus à une schize analytique qu’à une aporie méthodologique.

Vladimir Jaboyedoff — Antoine Meillet et Matteo Bartoli: la langue comme outil de civilisation au service de l’idéologie nationale (p. 125-154)

Antoine Meillet (1866-1936) en France et Matteo G. Bartoli (1873-1946) en Italie travaillent simultanément à l’élaboration de leur linguistique respective: grammaire comparée et sociolinguistique pour le premier, et néolinguistique pour le deuxième. Revendiquant une certaine porosité à l’extralinguistique, ils apparentent la langue à un «instrument de culture nationale» identifiable à une civilisation spécifique. L’expansion, la régression ou la disparition d’une langue permettent dès lors au linguiste de témoigner des forces et des faiblesses des peuples, évaluables selon des critères souvent flous, comme l’unité et le prestige. En cette première moitié de XXe siècle mouvementée, ces conceptions communes structurent non seulement leur système théorique respectif, mais également des positions glottopolitiques. Il s’agit dès lors de saisir les modalités qui rendent l’avènement de ce type de discours possible. Quel impact les contextes nationaux et internationaux ont-ils? Quels présupposés théoriques communs sont à l’œuvre? L’examen de cette dialectique entre science et conditionnements d’époque offre l’occasion d’analyser et de mieux comprendre les accents semblables ou dissonants des raisonnements des deux linguistes.

Hava Bat-Zeev Shyldkrot — Les comptes rendus doubles de Meillet (p. 155-188)

Le but de cet article qui fait partie d’un travail de longue haleine est d’analyser les écrits de Meillet en nous focalisant sur ce que nous appelons ses «écrits mineurs». Ce terme inclut les comptes rendus, les préfaces, les notes, les actes de conférence, les chroniques de journaux, qui, tous, concernent les langues romanes et le français en particulier. Ce faisant, nous mettons en avant l’idée de «compte rendu double» qui concerne des livres que Meillet a recensés plus d’une fois, soit sur la même plateforme à l’occasion d’une nouvelle édition ou de la parution d’un volume supplémentaire, soit dans des revues différentes, probablement pour faire connaître le livre à un public varié. Nous expliquerons les raisons pour lesquelles un livre a été évalué plusieurs fois, démontrant ainsi l’importance que Meillet accordait à certains sujets ou chercheurs, définissant ainsi le domaine de la linguistique de son époque.

Sébastien Moret — Meillet historien de la linguistique (p. 189-220)

Meillet s’est intéressé à tout ce qui touchait à la linguistique. Au sein de la linguistique indo-européenne d’abord, où ses intérêts, compétences et publications touchaient l’ensemble des langues de la famille. Mais plus généralement aussi au sein de la discipline linguistique – comme le montrent ses très nombreuses recensions – dont il a suivi les différentes orientations de recherche et dont il a interrogé le développement futur et la place parmi les sciences. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans sa bibliographie plusieurs coups d’œil rétrospectifs sur l’histoire de la linguistique. Si son «Aperçu du développement de la grammaire comparée» publié pour la première fois en 1903 est bien connu, de nombreux autres textes existent, qui témoignent d’une réflexion sur l’histoire, le développement et l’orientation de sa discipline. On pense par exemple à son article «Ce que la linguistique doit aux savants allemands» (1923) et à plusieurs textes sur des confrères disparus (Saussure, Thomsen, Louis Havet). À partir de ces publications (et d’autres encore), nous tenterons de dégager la vision la plus panoramique et la plus précise possible que Meillet se faisait de l’histoire de la linguistique.

Sébastien Moret, Robin Meyer — La voix de Meillet: sur deux enregistrements des Archives de la parole (p. 221-228)

La voix d’Antoine Meillet n’a pas définitivement disparu. Il en reste aujourd’hui une trace sous la forme de deux enregistrements sonores effectués en mars 1927 dans le cadre du projet des Archives de la parole et disponibles sur Gallica. Sur ce disque double-face se laisse entendre la voix frêle de Meillet qui parle de «L’histoire des langues» et de «La carte linguistique du monde». Ces deux productions sonores du savant n’ont pas été recensées dans les essais de bibliographie de son œuvre et sont retranscrites ici pour la première fois à notre connaissance.

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ISBN 978-2-940331-83-3

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